La droite pousse à la privatisation de La Poste. Alternative Post (entreprise postale privée) mise sur des zones urbaines denses et des clients rentables (3 articles)

mardi 17 novembre 2009.
 

1) Un objectif, la rentabilité

Avec un chiffre d’affaires de 1,2 million d’euros en 2008, Alternative Post est loin de porter ombrage au mastodonte de La Poste, qui a réalisé la même année 11,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Les dirigeants de la société (primée en début d’année comme « meilleur espoir » lors de la fête de l’entreprise organisée par l’organisation patronale CGPME) ont toutefois les dents longues, puisqu’ils tablent sur un doublement du chiffre d’affaires en 2009 (4,2 millions d’euros attendus) puis de nouveau en 2010 (8 millions d’euros).

Surtout, leur stratégie de développement illustre parfaitement le phénomène d’« écrémage » que va provoquer l’ouverture à la concurrence, le privé ne se développant que pour les zones et les clients rentables, autrement dit pour les envois en nombre des entreprises, et dans les zones urbaines denses. « Pour s’intéresser aux courriers de grand-mère, il faudrait avoir le réseau de La Poste et ne pas vouloir faire de bénéfices », indiquait ainsi Alternative Post en décembre 2008 dans le magazine Lyon Capitale. De fait, la société, qui affirme proposer des tarifs inférieurs de 17 % à 40 % à ceux de La Poste, ne traite que des envois de plus de 500 exemplaires (des entreprises, donc) et vise essentiellement les grosses agglomérations. « L’objectif d’Alternative Post, c’est d’abord d’élargir la zone de distribution en Île-de-France, puis de s’installer dans dix villes supplémentaires d’ici 2011, indique la porte-parole de l’entreprise. Pour choisir les implantations, on regarde le nombre d’habitants et la densité. Une boîte aux lettres tous les 5 kilomètres, ça ne nous intéresse pas. » L’entreprise illustre aussi le type d’emplois que va « créer » l’ouverture à la concurrence. D’après nos informations, les emplois chez Alternative Post sont du type McDo  : temps partiel fréquent, smic horaire, conditions de travail « physiques » du fait de tournées à vélo bien plus longues qu’à La Poste. D’où une majorité de jeunes et un turnover important.

F.D.

2) Des facteurs privés à la barbe du monopole

Depuis deux ans, la société Alternative Post distribue du courrier de moins de 50 grammes, en principe réservé à La Poste. Sans que l’Arcep, le gendarme de la concurrence, ne lève le petit doigt.

Ils s’appellent « facteurs », ils distribuent du courrier à vélo, mais leur tenue est rouge et noir et ils ne travaillent pas pour La Poste. Depuis septembre 2007, la société Alternative Post étend sa toile, encore modeste, sur le marché postal. Basée à Lyon, c’est dans cette ville qu’elle a lancé dans les rues ses premiers facteurs, avant d’élargir en 2008 son activité à l’Île-de-France, à Toulouse, Nantes, Clermont-Ferrand, Saint-Étienne et Angers. L’entreprise emploie aujourd’hui 350 personnes dont 300 facteurs, distribue 2 millions de plis par mois et proclame son ambition de devenir le « leader de la distribution postale alternative privée ».

Marcher sur les platesbandes de La Poste est aujourd’hui parfaitement légal… dans une certaine mesure. Les directives européennes ont depuis dix ans progressivement libéralisé le marché, en réduisant par paliers le monopole accordé à l’opérateur historique. Depuis le 1er janvier 2006, ce pré carré est limité aux envois de moins de 50 g, et ce jusqu’à la prochaine étape du 1er janvier 2011, où le secteur sera totalement ouvert à la concurrence.

GROSSE FICELLE DU GÉOCODAGE

En principe donc, seule La Poste a le droit de distribuer les plis de moins de 50 g (83 % du volume du courrier en France), sorte de trésor de guerre lui permettant de financer les missions de service public. Pourtant, dans les villes où Alternative Post est implantée, de tels plis arrivent bel et bien dans les boîtes aux lettres, avec l’estampille de la société privée. À Paris, des courriers de l’agence Intégrale, qui gère des abonnements pour la RATP, ont par exemple été distribués par Alternative Post… qui n’en fait pas mystère. « On a trouvé une astuce, explique une porte-parole de l’entreprise. On travaille avec un géocodage, qui remplace l’adresse du destinataire. Le nom de la personne figure sur la lettre, mais plus son adresse. Ce courrier est alors considéré comme du courrier non adressé, et ce type de marché est libre. » À y regarder de plus près, la ficelle est grosse. Alternative Post a découpé ses secteurs de distribution en zones (ZAP) auxquelles elle affecte un code, suivi d’un autre code pour le nom de la rue, puis du numéro de la boîte aux lettres. Le « géocodage » figurant sur la lettre est donc la simple transcription de l’adresse classique en un langage maison. Pour s’y retrouver, le facteur dispose d’un répertoire de ces codes.

Pour autant, l’entreprise se défend de contourner la loi. « On est dans la légalité », affirme la porte-parole. « C’est une astuce, pas un contournement. » Argument suprême : « On a l’autorisation de l’Arcep », l’autorité de régulation des communications électroniques et de La Poste, censée être le gendarme de la concurrence dans le domaine postal. De fait, l’Arcep laisse faire. L’autorisation accordée à Alternative Post en avril 2007 pour dix années ne concernait certes que des activités hors monopole de La Poste, mais depuis, l’Arcep a été alertée sur l’« astuce » de l’entreprise pour intervenir dans le secteur réservé, et n’a pas levé le petit doigt : « Nous avons saisi l’Arcep pour qu’elle demande à Alternative Post de cesser ses prestations, que nous jugeons contraires aux textes relatifs au monopole », explique un porteparole de la Poste. « L’Arcep n’ayant pas accédé à notre demande, La Poste a saisi le Conseil d’État. » « Cette concurrence se développe avec l’aval de l’État, alors qu’elle contourne la législation.

Et ensuite, on pleure sur la baisse du courrier à La Poste », dénonce Anne-Marie Fourcade, qui siège pour la CGT au conseil d’administration de La Poste, où en cours d’année, plusieurs syndicats ont interpellé la direction sur cette affaire. À SUD PTT, Régis Blanchot, secrétaire fédéral du syndicat, juge « scandaleux qu’on autorise une entreprise à ne pas respecter la loi. Cette affaire prouve bien que l’Arcep, dont le rôle sera renforcé après la libéralisation totale du marché, ne garantit ni la loi ni le service public. Son seul rôle est de développer la concurrence ». En laissant un opérateur privé devancer la libéralisation totale du marché, l’Arcep fausse aussi la concurrence pour les futurs opérateurs.

Sollicitée par l’Humanité, l’Arcep brouille les pistes, en répondant à la fois que la « procédure en cours » l’empêche de s’exprimer sur Alternative Post, et que le projet de loi en cours d’examen résoudra le problème en proposant une nouvelle définition de l’envoi postal, incluant le géocodage. Sous-entendu, l’« astuce » d’Alternative Post ne fonctionnera plus. Argument tordu puisque cette partie du projet de loi s’appliquera au 1er janvier 2011, c’est-à-dire quand il n’y aura plus de monopole, donc plus de concurrence illégale.

FANNY DOUMAYROU

3) Les garanties en toc de Christian Estrosi 
sur le « caractère public » de La Poste

Le gouvernement cherche à déminer le débat au Sénat en proposant d’amender son projet pour rendre 
l’entreprise «  imprivatisable  ». Mais la transformation de son statut en société anonyme est maintenue.

Apaiser les inquiétudes  ? Ou bien chercher à arrondir les angles du débat pour mieux passer en force sur son texte  ? Le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, a choisi la seconde voie, hier, à l’ouverture de la discussion au Sénat du projet de loi de changement de statut de La Poste. Pour le gouvernement, l’essentiel est de sauver le cœur du texte  : la transformation de l’entreprise publique d’établissement public industriel et commercial (Épic) en société anonyme (SA). Hier, Christian Estrosi a promis de « soutenir » un amendement du sénateur (MPF) Bruno Retailleau, afin de rendre « imprivatisable » La Poste.

S’appuyant sur une jurisprudence du Conseil constitutionnel, il s’agirait d’ajouter dans le texte que La Poste est un « service public national », ce qui ne laisserait « plus subsister le moindre doute » sur le caractère « intégralement public » de son capital, selon Christian Estrosi. On relèvera au passage l’aveu de taille du ministre, qui donne raison aux adversaires du projet en reconnaissant implicitement que le texte du gouvernement permet bel et bien la privatisation de l’opérateur postal, à rebours de toutes ses déclarations…

Mais sur le fond, l’amendement ne change rien. La jurisprudence évoquée est en effet celle du 30 novembre 2006, sur la loi sur l’énergie… dont on a vu qu’elle n’a pas empêché la privatisation de GDF et l’ouverture du capital d’EDF  ! Les sages, dans leur décision, indiquaient d’ailleurs que « le neuvième alinéa du préambule de 1946 (de la Constitution – NDLR) était respecté dès lors que la participation de l’État ou d’autres entreprises publiques restait majoritaire dans le capital de cette société ». Ce qui ne s’oppose pas à l’ouverture du capital pour, ultérieurement, privatiser complètement l’entreprise, comme cela s’est fait pour GDF.

Les débats très vifs en commission du Sénat ont confirmé ce point. Ainsi, le sénateur (Nouveau Centre) Hervé Maurey a déposé un amendement qui fixait une part « plancher » de 51 % pour l’État au capital de La Poste, finalement retiré en commission. Pierre Hérisson (UMP), rapporteur sur le texte, lui a préféré un amendement qui précise que la détention du capital de La Poste est le fait de l’État et « d’autres personnes morales de droit public ». Le rapporteur a parlé de « clarification importante », puisque cela exclut la présence, selon lui, dans l’actionnariat de La Poste, d’entreprises en partie privées.

Mais pour les sénateurs communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche (CRC-SPG), « en réalité, rien ne change », puisque ces amendements « visent à encadrer le passage en SA tout en le confirmant ». « Il s’agit simplement d’une manœuvre grossière » dénoncent-ils, car « La Poste demeure dans le projet une société anonyme. Cela augure mal de son avenir et ouvre la perspective de la privatisation future que ce projet prépare », comme le montre le refus systématique des amendements qui proposent de dire clairement que seule la Caisse des dépôts entrera au capital de la Poste.

Quant à l’amendement du rapporteur, qui a déclaré « vouloir apaiser les inquiétudes de nombreux élus locaux » en affirmant que « 17 000 points de contact sont garantis », les sénateurs communistes observent qu’il n’est pas précisé « s’il est question de relais poste ou de bureaux de plein exercice ». En d’autres termes, La Poste pourra continuer de supprimer des bureaux et des emplois pour les remplacer par de simples « relais » chez les commerçants.

Sébastien Crépel


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