FRIC ET FOOT MONTENT DANS UN BATEAU

samedi 7 novembre 2009.
 

Pour une fois, sur ce blog on va parler de foot. Je n’y connais strictement rien, ainsi que vous le devinez. N’empêche que c’est un moment bien amusant pour moi que cette dispute dans l‘UMP à propos des exonérations de cotisations sociales des sportifs professionnels. Pas seulement à côté du parallèle écœurant avec la taxation des indemnités des accidentés du travail. Mais parce que c’est un vieux souvenir que cette histoire de cotisations des footballeurs. En effet, j’ai déjà organisé une castagne à ce sujet en 2004 au Sénat. L’affaire venait de bien plus loin. C’est-à-dire de 1997. Et elle a même déjà fini au Conseil Constitutionnel, du fait de votre serviteur. Lisez ces informations que vous n’avez déjà lues nulle part ailleurs.

FRIC ET FOOT MONTENT DANS UN BATEAU

Disons d’abord que les barons du foot ont de la constance. Beaucoup de patience. Et pas mal d’entregent. Cette niche fiscale pour exonérer les revenus tirés de l’exploitation de l’image des sportifs professionnels vient de très loin. Elle est aujourd’hui dénoncée par une partie de la droite. Mais elle fut pourtant créée par la même dite droite après un long travail de pressions du lobby du football. L’affaire a commencé sous Alain juppé, en 1997. C’est lui qui le premier céda à la pression affectueuse des amis du fric dans le foot. Il décida donc de faire passer cette exonération devant les assemblées. Comme l’initiative venait du gouvernement, le texte passa donc comme les autres devant le Conseil d’Etat ? Patatras ! Il fut immédiatement retoqué ; ça se passe le 27 mars 1997. Celui-ci rend ce jour là un avis en assemblée générale qui déclare cette exonération contraire à la Constitution. C’est évident. En effet elle rompt l’égalité devant les charges publiques de tous les citoyens. Fin du premier épisode.

L’affaire réapparait sept ans plus tard. On est en juillet 2004. Cette fois-ci les malins ont compris que pour passer la première phase éliminatoire, celle du Conseil d’Etat, il faut changer de méthode. Ce n’est donc pas le gouvernement qui propose cette fois là, mais deux députés UMP. Ils déposent une proposition de loi sur le sport professionnel. Car dans ce cas, lorsqu’il s’agit d’une initiative parlementaire, le Conseil d’Etat ne donne pas d’avis. Notons, pour mémoire, que cette proposition de loi comportait aussi d’autres cadeaux pour les grands clubs sportifs sur lesquels il serait peut-être opportun de venir regarder de plus près puisqu’on est sur ce sujet. Ainsi par exemple l’exonération de la taxe sur les CDD dont les clubs sportifs sont de grands consommateurs. Et la même loi décida la fin de l’interdiction de multipropriété des sociétés sportives qui acheva de faire entrer les clubs dans la sphère financière. L’étape suivante sera la cotation en bourse et la course à la concentration.

Cette proposition de loi a donc lourdement aggravé la marchandisation du sport. A l’époque le président de la Ligue de football professionnel est déjà Frédéric Thiriez, un proche du Parti socialiste dont il avait été à plusieurs reprises l’avocat. Je mentionne ce point pour donner une idée des courroies de transmission qui se mirent en mouvement à l’époque du vote pour me « raisonner » quand il s’avéra que j’avais pris le mors aux dents sur le sujet…

Donc, le 14 octobre 2004, l’Assemblée adopte la proposition de loi UMP. Le 24 novembre 2004, le Sénat adopte à son tour la proposition de loi UMP. Cette cadence de législation TGV va être la caractéristique de cette affaire. On va voir pourquoi dans un instant. Pour aller plus vite le gouvernement avait fait le forcing pour obtenir des sénateurs UMP un vote « conforme ». Tel quel. Pas un amendement ne fut supporté. Pour ma part, j’ai défendu à cette occasion une motion de procédure visant à faire rejeter le texte. Je précise que je défendis cette motion dite « exception d’irrecevabilité constitutionnelle » (http://www.jean-luc-melenchon.fr/?p=404) au nom du groupe PS du Sénat dont le président avait suivi ma démonstration. Mais peu s’en fallut que ce soit à titre individuel. En effet les socialistes avaient été travaillés au corps par leur camarade Frédéric Thiriez, notamment tous ceux qui avaient dans leur zone de chalandise électorale des grands clubs de foot. Suivez mon regard. Après un vote serré au groupe socialiste, ma position l’emporta. Par prudence, je n’avais répondu à aucune sollicitation téléphonique. Le PC, le PS et les Radicaux ont voté contre la proposition de loi. La Droite, elle, vota au sifflet. Battus en séance donc. On nous recommanda une retraite digne. Pas question ! J’obtiens que nous déposions un recours au Conseil constitutionnel. On le déposa. Et là se produit un véritable miracle.

LES AMIS DU FOOT SE LIGUENT

Comme on le comprend, toute cette hâte visait aussi à boucler l’affaire avant la fin de l’année fiscale, histoire d’apporter un soulagement immédiat aux pauvres footballeurs écrasés de cotisations sociales. Donc, nous déposons notre recours à la mi novembre. Et dès le 9 décembre 2004, surprise, le Conseil constitutionnel valide le texte. Il n’y voit pas trace de rupture d’égalité devant les charges publiques. Contradiction complète et étrange avec l’avis émis sur le même point par le Conseil d’Etat 7 ans plus tôt. La décision se réclame même de….l’intérêt général. Tant de zèle sent le souffre. Des mauvaises langues me font alors observer d’étranges connivences. On me dit que le président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, est un proche de Frédéric Thiriez. N’a-t-il pas participé avec lui à plusieurs exploits sportifs, et non des moindres, comme cette ascension himalayenne. Ne lui a-t-il pas remis la légion d’honneur ? Et il a même préfacé un de ses ouvrages … Bien sûr, je n’en tiens aucun compte ! Et de toute façon qu’est-ce que j’y pouvais ? Cerise sur le gâteau, la loi fut promulguée six jours plus tard, le 15 décembre 2004. Ce n’est pas du service de pointe ça, mes amis ? Plus rapide tu meurs.

UN AVANTAGE TOTALEMENT INDU

Maintenant que cette belle histoire de solidarité du fric et du sport vous a été révélée, voici quelques arguments pour vos soirées, si la question y vient en débat. En quoi consiste la niche fiscale en cause ?

Les sportifs professionnels, et leurs employeurs les clubs, bénéficient d’une exonération de cotisations sociales sur un type précis de rémunérations. Il s’agit de celles versées par les clubs au titre de l’exploitation de l’image collective des équipes. Par exemple les droits TV ou les produits dérivés. Cela représente des centaines de millions d’euros de salaires. Ils bénéficient d’une exonération de cotisations sociales depuis 2004. Mais ces cotisations sont quand même payées. Par nous tous. Car l’Etat compense le manque à gagner auprès de la sécu. Il y en a pour 36 millions d’euros chaque année. Notons que cet avantage fait partie des multiples exonérations de cotisations sociales dénoncées par la Cour des comptes. Celle-ci les dénonce comme abusives car inefficaces, vu qu’elles sont sans contrepartie directe, et injustes.

On ajoutera que l’argument sur « la défense de la compétitivité et de l’attractivité des clubs français » présenté par les griots du foot n’est rien d’autre qu’une justification du dumping fiscal et social qui s’organise au niveau mondial dans le marché du sport et notamment du football. C’est la même logique que celle du bouclier fiscal. Mais le plus immoral dans cette affaire est dans ce qui se constate à l’examen de la situation réelle. Accrochez vous.

Apprenez que le sport professionnel est un important bénéficiaire de la solidarité nationale en matière d’assurance maladie et d’accidents du travail. En 2000, année sur laquelle je m’appuyais pour argumenter au Sénat, on comptait ainsi un taux de sinistres de 750 pour 1000 dans le secteur du sport professionnel contre 44 pour 1000 pour l’ensemble de la société. Dès lors, les sportifs bénéficient à ce titre de montants considérables d’indemnités journalières d’assurance maladie, compte tenu du niveau élevé de revenus. Un petit rafraichissement de mémoire ? Je n’ai pas collecté de nouveaux chiffres pour faire cette note. J’en suis resté à ceux dont je disposais au moment où je bataillais au Sénat. Mais je doute que les prix aient baissé n’est-ce pas…

Le salaire mensuel moyen des footballeurs pro français avait déjà doublé depuis 1998. Il était passé de 15 000 à 30 000 euros. Pour une moyenne, c’est déjà très élevé, non ? Evidemment les inégalités sont colossales entre la trentaine de joueurs dont le salaire brut annuel dépasse les 600 000 euros et une majorité de 300 joueurs professionnels qui touchent moins de 380 000 euros annuels, ce qui est quand même beaucoup pour ce que c’est. Avec 150 000 euros par semaine, Zidane touchait en un mois à Madrid ce qu’un SMICARD mettrait 55 ans à gagner. A 20 ans le jeune espoir Djibril Cissé gagnait près de 80 000 euros par mois à Auxerre. Ils ne sont pas contents les crevards de leur payer les soins et les indemnités d’arrêt de travail des gentils petits gars qui courent derrière un ballon ? Il faudrait demander aux accidentés du travail qui viennent d’être mis à la taxe sur leurs indemnités, quel effet ça leur fait.


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