Lettre de la Ligue des droits de l’homme de l’Aveyron aux maires sur le projet de loi dit de prévention de la délinquance

jeudi 19 octobre 2006.
 

Monsieur le Maire,

Nous souhaitons attirer votre attention sur le projet de loi dit de prévention de la délinquance et plus particulièrement au regard de vos responsabilités d’élu municipal. Ce texte risque en effet d’altérer profondément, les relations qui existent entre vous et vos administrés. Jusqu’à en modifier la nature même.

Annoncé depuis trois ans, mais élaboré sans aucune concertation, ce projet de loi est aujourd’hui en débat et se trouve extrêmement controversé. Nombre de professionnels, d’organisations syndicales ont déjà émis de nombreuses critiques, ainsi que diverses associations, dont la Ligue des droits de l’Homme. De leur coté, des institutions telles que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme et la Commission informatique et liberté ont elles-mêmes émis des avis très réservés.

Alors que seulement trois chapitres sont principalement reliés à l’enfance, avec la volonté d’accélérer le glissement du dispositif des mineurs vers le droit commun des majeurs, le reste du texte annonce une véritable loi fourre-tout. Des domaines aussi variés que les atteintes aux troubles du voisinage, l’intégration républicaine dans le cadre d’un service civil citoyen, les violences conjugales, les termes de l’hospitalisation d’office, les conduites addictives, etc. sont effectivement concernés.

Cela fait beaucoup d’objets de préoccupations, toutes lourdes à porter. Or, il est prévu que ce soit vous, Monsieur le Maire, qui en soyez comptable. En effet, l’article 1er du texte prévoit de faire du maire le pivot de ce dispositif. A ce titre, de nouveaux pouvoirs de contrôle et de sanction vous seraient attribués. Par ailleurs, vous seriez en droit d’exiger des travailleurs sociaux et personnels de santé qu’ils vous confient, à propos des familles connaissant des difficultés, des informations relevant du secret professionnel.

Cette dernière disposition, dont la conformité avec l’article 9 du Code civil relatif au respect de la vie privée et avec l’article 8 de la CEDH est au demeurant problématique, irait complètement à l’encontre de la confidentialité nécessaire au travail social qui, pour être efficace, doit se faire dans un climat de confiance.

D’une manière générale, cette loi générerait également une confusion certaine dans la répartition des compétences entre vous même et le président du Conseil général. Ce manque de lisibilité de vos prérogatives respectives nuirait aussi à l’efficacité d’un dispositif qui prétend agir dans un domaine où il est effectivement indispensable de trouver des réponses.

Pour résumer, vous risquez, Monsieur le Maire, de vous retrouver avec sur les bras les tâches et les responsabilités cumulées d’un travailleur social, d’un policier, d’un juge et d’un psychiatre. Ces nouveaux pouvoirs ne seraient pas forcément faciles à assumer. D’autant qu’ils seraient à double tranchant : censé être au courant de tout, vous seriez tôt ou tard tenu responsable de tout. Et à ce titre, passible de poursuites. Ecartelé entre la défiance de certains de vos électeurs qui rejetteront ce nouveau rôle de « shérif » et le désir de certains autres d’un ordre toujours plus « efficace », il vous serait de plus en plus difficile d’être tout simplement maire. Dans la plupart de nos communes, le maire est aujourd’hui perçu comme l’élu qui inspire confiance, qui rassemble et le cas échéant, apaise. L’adoption de cette loi dite de prévention de la délinquance irait ternir cette image et développerait un climat de suspicion à votre égard, à l’égard de la fonction de maire. Nombre de vos collègues élus, de droite comme de gauche, s’en préoccupent et ont d’ailleurs alerté le gouvernement sur ces risques. Vous l’aurez compris, la Ligue des droits de l’Homme s’inquiète de la restriction des libertés pouvant découler de cette loi, si elle était votée. Avec ses partenaires associatifs, syndicaux et institutionnels, elle souhaite informer l’opinion publique sur les dangers d’un texte qui, contrairement à son intitulé, ne prévoit aucun développement de la prévention, postule la sanction comme une fin en soi, risque finalement d’être contre-productif et de brouiller profondément la légitimité républicaine de votre mandat municipal.

Parce que nous sommes inquiets, parce que nous sommes responsables et ne sous-estimons pas la gravité de certaines situations, parce que nous avons à cœur l’avenir démocratique de notre pays, nous vous invitions instamment à refuser le cadeau empoisonné que constitue cet ensemble de mesures hétéroclites mais toutes strictement répressives, et à le faire savoir aux pouvoirs constitués.

Restant à votre disposition pour toutes informations, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de nos sentiments citoyens.

Le Président Pour le président et par ordre, le Vice-président Khaled Hamida Jean Malié


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