Lettre de Gauche Unitaire Au Conseil politique national du Nouveau Parti anticapitaliste qui se réunit les 24 et 25 octobre

vendredi 23 octobre 2009.
 

Chères et Chers Camarades,

Gauche unitaire ayant été fondée par des militants et responsables de l’ex-LCR et du NPA en désaccord avec la logique de « cavalier seul » et de repli suivie par la majorité de votre direction à l’occasion des élections européennes, vous comprendrez que nous suivions avec attention vos prises de position et les débats qui vous traversent. À la lecture de votre journal, Tout est à nous !, qui ne manque pas une occasion de souligner les désaccords entre nos deux formations, nous constatons qu’il en va de même pour vous à notre endroit. Cet intérêt réciproque est de nature à permettre, du moins nous l’espérons, un débat fructueux entre nous.

Les décisions que vous allez prendre, s’agissant du scrutin des régionales de l’an prochain, revêtent une grande importance.

Face à la crise systémique que connaît un capitalisme globalisé, il n’apparaît aujourd’hui aucune réponse globale et cohérente défendant les intérêts du monde du travail. L’exaspération populaire est incontestablement majoritaire en France, face à la révolution néoconservatrice que la droite sarkozyenne impulse sans relâche depuis deux ans, mais l’inexistence d’un débouché politique transformateur interdit au mouvement social de trouver un nouveau souffle après les immenses mobilisations des 29 janvier, 19 mars et 1er Mai. La décomposition accélérée du Parti socialiste, désormais polarisé par la recherche d’alliances au centre et par cette présidentialisation de ses modes de fonctionnement que traduit la décision d’organiser des « primaires » dans le cadre de chaque élection présidentielle, menace la gauche tout entière d’un désastre similaire à celui qui s’est déjà produit en Italie. Elle se situe dans le prolongement de la mutation qui affecte l’ensemble de la social-démocratie à l’échelle internationale.

Nous considérons, comme l’a repris notamment votre porte-parole, Olivier Besancenot, que c’est à une rupture avec l’histoire et l’héritage du mouvement ouvrier que nous avons affaire. Il convient toutefois d’en tirer toutes les implications.

Pour notre part, vous le savez, nous en tirons la conclusion stratégique que c’est à la reconstruction d’une perspective globale, d’une gauche de gauche, qu’il importe à présent de s’atteler. Cette gauche de gauche, cette gauche de combat, peu importe les mots par lesquels on la désigne, se doit de relever un défi de portée historique : inscrire son combat au cœur de la gauche ; se tourner vers les secteurs de cette dernière qui se révèlent en attente d’une nouvelle offre politique, jusqu’à celles et ceux qui se sentent toujours de cœur socialistes ou écologistes ; récuser tout autant la dérive droitière ininterrompue caractérisant le social-libéralisme que la tentation de postures gauchistes ou incantatoires.

La crédibilité de cette gauche de gauche viendra du rassemblement de toutes les forces disponibles, par-delà leurs cultures et histoires originelles. Comme le Front de gauche a commencé à en dessiner la démarche depuis la campagne des européennes, il reviendra à cette gauche de transformation de porter dans le débat public un programme de rupture avec le capitalisme et le modèle néolibéral, de soumettre ce dernier à la plus large confrontation au sein de la gauche, de chercher à disputer l’hégémonie du social-libéralisme sur le mouvement ouvrier, de porter ainsi l’ambition de conquérir une majorité au sein du monde du travail et, par voie de conséquence, parmi les citoyens à l’occasion des futurs rendez-vous électoraux.

Pour parler plus précisément, il nous apparaît qu’il s’agit d’engager le même type de dynamique que celle qui a, fin septembre, assuré les succès de Die Linke en Allemagne et du Bloc de gauche au Portugal. Certes, ces deux forces sont encore loin de cristalliser des majorités populaires autour d’elles, mais le fait qu’elles postulent ouvertement à supplanter la social-démocratie en se refusant à tout enclavement groupusculaire et à toute bunkerisation dans le seul espace de l’extrême gauche, leur permet d’incarner une amorce d’alternative pour les classes populaires.

Cette approche doit, évidemment, se décliner dans les mobilisations, à travers des campagnes sur les mesures d’urgence sociales et écologiques qu’appelle la gravité de la situation, par exemple, sur le terrain crucial de l’emploi, pour l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits. Mais elle doit aussi se manifester lors d’échéances électorales aussi importantes que les prochaines régionales.

Vous le savez, nous militons en faveur de la présentation, au premier tour de ce scrutin, de listes autonomes du Front de gauche constituées avec l’ensemble des organisations convergeant sur le même programme de rupture avec le libéralisme et le productivisme à la tête des régions. Au second tour, dans l’objectif de battre la droite et de conserver à gauche une majorité de régions, nous préconisons que ces listes autonomes du Parti socialiste et d’Europe écologie recherchent la fusion avec les autres listes de gauche, dans le respect de l’indépendance politique des unes et des autres, sur la base des résultats respectifs de chacune au premier tour, sans accord naturellement avec le Modem.

Face à ce rendez-vous essentiel de mars 2010, il nous apparaît que vous vous devez de prendre acte de l’échec du choix à partir duquel vous avez refusé de devenir une des composantes du Front de gauche aux européennes. Le score de vos listes le 7 juin démontre clairement qu’aucune force, à elle seule, y compris le NPA, ne peut prétendre être la représentation politique qui fait si cruellement défaut aux classes populaires et incarner un début d’alternative à la droite et au social-libéralisme.

Nous avons, dans ce cadre, pris connaissance des dernières décisions de votre conseil politique national. Il nous apparaît extrêmement positif que vous vous déclariez favorables à des listes de rassemblement de la gauche antilibérale et anticapitaliste. D’autant que, nous le notons en même temps, vous inscrivez cette démarche dans le prolongement de la belle campagne du « non » de gauche au traité constitutionnel européen.

Il demeure pourtant à clarifier trois points essentiels.

En premier lieu, si l’on veut battre la droite, donc battre sa politique et offrir aux résistances sociales un point d’appui essentiel, il est indispensable d’afficher l’ambition de placer les régions au service du bien commun et des populations. Autrement dit, les listes que nous pourrions présenter ensemble doivent, tout à la fois, marquer leur rupture avec les gestions sociales-libérales des mandatures passées autant qu’avec la perspective d’alliances au centre, mais aussi affirmer leur vocation à réunir autour d’elles des majorités aptes à diriger les régions.

Nous l’avons constaté à plusieurs reprises ces dernières semaines, notamment lors des réunions des différentes composantes de la gauche de gauche, il vous est difficile d’exprimer sans ambiguïté cette volonté, qui devrait pourtant aller de soi.

En second lieu, nous constatons que vous conditionnez la recherche de listes avec d’autres organisations à un refus commun de participer aux exécutifs des régions avec le Parti socialiste et Europe écologie. Pour vous le dire franchement, nous craignons que la mise en avant de cette condition ne permette pas de créer les conditions du rassemblement de toute la gauche de gauche, bien qu’il s’avère parfaitement possible.

Notre conception est fort différente. Si les listes auxquelles nous participons se retrouvaient en tête de la gauche au premier tour, il s’agirait alors pour elles de proposer aux autres listes de gauche de constituer des majorités vraiment à gauche, sur la base du programme que le électeurs de gauche auraient favorisé par leurs votes. Dans les autres cas, la participation à la direction de régions supposerait que les conditions soient réunies de la mise en œuvre d’objectifs réellement de gauche, en particulier des principales options que nous aurions portées au premier tour. Dans tous les cas de figure, il va de soi que nos élus conserveraient leur liberté d’appréciation et de vote sur toutes les mesures proposées au débat et au vote des assemblées régionales.

Nous savons, vous et nous, que cette question fait l’objet depuis longtemps de débats compliqués entre les diverses composantes de la gauche de transformation. Prétendre le régler dès le départ, en faire la condition d’un accord politique, alors que l’enjeu essentiel de cette consultation est de permettre, au premier tour, que l’électorat populaire tranche entre les deux logiques qui partagent la gauche, ne peut que mener à de nouvelles divisions suicidaires pour quiconque en prendrait la responsabilité.

Enfin, il nous faut aborder avec vous la question du second tour et de la manifestation d’une claire volonté d’y battre la droite. Contrairement au problème des exécutifs, vous dites considérer que ce « n’est pas la discussion prioritaire ». Faire échouer l’offensive sarkozyenne pour reprendre un maximum de régions perdues en 2004, n’est donc pas, pour vous, une affaire de principe, « c’est une question tactique qui dépend des rapports de force, notamment des résultats du premier tour ». Et vous ajoutez : « Si le PS et les Verts s’allient avec le Modem ou s’ils refusent la fusion, et dans le cas où nos listes réaliseraient plus de 10% des suffrages, elles se maintiendront au second tour. Dans les autres cas, les listes adopteront la position la mieux adaptée à la situation locale : appel à battre la droite, appel à l’abstention, absence de consigne de vote… » L’éventail des cas de figure est large et la démarche imprécise à souhait… Si, effectivement, le combat doit être mené avec intransigeance contre des alliances contre-nature de la gauche et du centre, il est pour le moins léger, à six mois du scrutin, de laisser entendre que l’on serait disposé à prendre la responsabilité de faire basculer des régions à droite en cas de refus de fusion des listes de gauche, ou en appelant à l’abstention… « dans les autres cas » (lesquels, au juste ?). Pour s’être risqué dans cette problématique incompréhensible de la masse de l’électorat de gauche, la coalition LO-LCR des régionales de 2004 essuya un revers catastrophique au premier tour, il serait bon aujourd’hui de ne pas l’oublier !

Voilà, Chères et Chers Camarades, quelques-uns des points que nous voudrions pouvoir discuter avec vous à l’occasion d’une prochaine rencontre.

Nous souhaitons ardemment que vous vous engagiez afin qu’une gauche de gauche enfin rassemblée fasse renaître l’espoir de changement politique et social dans ce pays.

Soyez certains que nous ferons tout ce qui dépend de nous afin qu’il en aille ainsi.

Avec nos salutations toujours aussi fermement unitaires.

21 octobre 2009

Le bureau national de Gauche unitaire


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