Un projet politique fondé sur le socialisme est-il possible sans ligne de fracture profonde au sein du corps social ? (rapport présenté au club Socialisme et maintenant, groupe issu particulièrement du lambertisme)

dimanche 6 décembre 2009.
 

« Nous voudrions aborder en introduction quelques éléments qui pourraient nous aider à mettre en chantier, par une rédaction collective, un appel à des militants sur les problèmes du socialisme.

En relisant beaucoup de choses on se rend compte que, à part certains illuminés que l’on croise parfois dans les milieux que l’ on fréquente, on ne peut s’imaginer rédiger seul un appel sur l’ actualité du socialisme, sa faisabilité et sa nécessité aujourd’hui.

Mais en même temps très peu de personnes parlent de cela aujourd’hui »

Est-ce parce que les militants, du moins ceux qui sont libérés de tout lien de dépendance avec les appareils politique ou syndicaux, n’y pensent pas ? Certes non. N’est ce pas une nécessité de parler en ces termes ? Si l’on examine un tant soit peu la situation politique mondiale, la question de la nécessité d’une autre civilisation est partout présente. Et cependant très peu essaient de l’exprimer.

Pourquoi ? Ce n’est pas une affaire de construction idéologique. Si cela était une affaire de construction idéologique, de bons intellectuels y auraient déjà suffi. A l’étape poser les questions du socialisme à une frange de militants, c’est d’emblée poser la question des forces matérielles susceptibles de relayer la formulation d’un début de construction programmatique. Et là est la vraie difficulté.

J’ai d’abord envie de dire, ce n’est pas neuf cette question.

Parler de la nécessité du socialisme, cela a pris un tour nouveau avec la crise que nous connaissons mais ce n’est pas une affaire récente. Charles dans la dernière réunion parlait du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, et disait qu’il fallait écrire un appel qui prenne en compte la situation mondiale depuis 20 ans. Certes cette discussion concerne aujourd’hui un nombre limité de militants mais elles sont sous-jacentes dans la situation politique depuis 20 ans.

Une des caractéristiques de la situation depuis le début du deuxième septennat de François Mitterand, c’est que les vrais embryons de discussion politique commencent à se mener en dehors des appareils politiques du vieux mouvement ouvrier. Nous avons fait référence à Rosa Luxembourg dans nos discussions antérieures. Entre autres. Cette militante appartenait à une génération qui menaient la discussion à la fois dans le mouvement social de masse (en l’occurrence les révolutions allemandes de 1918 à 1923, dans le sillage de la révolution d’Octobre) mais aussi à l’intérieur de son parti, la social-démocratie. On connait sa formule : plutôt un mauvais parti, que pas de parti du tout. Depuis 20 ans nous sommes dans une situation radicalement différente. On ne peut plus mener la discussion dans le cadre des partis, y compris dans les partis nouvellement nés, NPA et PG. NPA, globalement c’est causez toujours la direction fait ce qu’elle a envie de faire, PG, on nous interdit la discussion. A l’heure où le PCF n’est plus un parti soviétique, le PG fait de grands efforts pour devenir un parti soviétique (les résolutions sont votées à 99%). Cela me remet en mémoire une formulation assassine de François Mitterand contre le courant crypto-PC qu’était le CERES de Chevènement dans les années 1974 : « un faux petit PC, dirigé par de vrais petits bourgeois ! »

Les discussions politiques sur la nécessité d’une alternative à cette société se mènent en dehors des organisations politiques existantes, à gauche et à l’extrême gauche. Personnellement j’ai participé à plusieurs regroupements, dont Rassembler à Gauche, nés d’un double non, à la guerre du Golfe d’un côté et à Maastricht d’un autre. Comme forme de conscience organisée rien n’est vraiment sorti du mouvement du non à Maastricht. Dans la situation française, Chevènement, un mouvement qui très vite passe du non à la guerre et à Maastricht, à une position d’union des républicains des deux rives. Rassembler à Gauche, comme d’autres tentatives (Carré Rouge) ou le groupe de Bihr en Alsace se sont très vite trouvés confrontés à la question de la formulation d’une alternative réellement socialiste sans pouvoir réellement s’arrimer à la situation. S’arrimer veut dire faire partager un projet par des hommes et des femmes qui le relaient et trouvent les formes d’organisation adéquates pour répondre à une situation donnée. Nous achoppons sur la mise en œuvre de cette tâche…

La première affirmation que je peux oser, c’est que depuis 20 ans, nous avons fort peu progressé : présents ou pas à l’intérieur de nouvelles formes politiques (comme le NPA ou le PG) où nous ne trouvons pas réponse à ce qui nous semble nécessaire. Est-ce une question d’incapacité à répondre ? Non. La décomposition du vieux mouvement ouvrier est peut être encore loin d’être achevée. La situation actuelle du mouvement ouvrier est certainement un cas d’espèce unique et pèse très lourd sur le vivant. Je le dis sans ambages : comme militant ayant une expérience politique depuis les années 1968 dans le lambertisme, puis au sein de la social-démocratie, puis au sein de diverses tentatives, affirmées comme tentative de reconstruire la gauche sur d’autres bases, j’ai des difficultés à appréhender et formuler un appel pour le socialisme.

On peut tirer le bilan de l’agonie des formes traditionnelles du mouvement ouvrier, tirer un bilan du trotskysme, bref dire ce qu’un projet politique ne doit pas être, dire ce qu’il doit être, c’est une autre affaire…

Tout d’abord tordons le cou à une idée, qui a été une idée force de notre histoire :

Notre génération de militants politiques, issus particulièrement du lambertisme, a eu l’habitude d’appréhender les problèmes à travers une grille de lecture. Etait-ce la grille de lecture du programme de transition de 1938, je n’en suis pas sûr. Trotsky et son petit groupe de cadres pour la plupart inexpérimentés cherche, face à catastrophe qui s’avance et face au stalinisme à avancer les éléments d’un programme ouvrier. Fallait-il pour autant proclamer une IV ème Internationale qui reste et restera sur les marges du mouvement ouvrier ? C’est une discussion. La IVème gagnera très peu de cadres expérimentés du type Marceau Pivert. Ce que sont devenues les organisations issues de la IVème Internationale après la guerre mériterait une discussion critique de fond. Après la grève de 1968 et les mouvements d’émancipation à l’Est, le printemps des peuples, la Pologne…, nous avons appartenu à une organisation qui caractérisait la situation mondiale de la façon suivante : nous sommes entrés dans la période de l’imminence de la Révolution. De là suivait le postulat suivant : la montée au pouvoir des partis ouvriers en Europe occidentale, principalement la social-démocratie, et l’effondrement du stalinisme, verra forcément un mouvement de radicalisation révolutionnaire contre la politique que ceux-ci mèneront au pouvoir, et donc le parti révolutionnaire se construira dans cette brèche. Cela ne s’est absolument pas passé comme cela, et cela ne se passera encore moins comme cela aujourd’hui… Les trois organisations trotskystes françaises se sont à peu de chose près construites sur ce mode ; le parti révolutionnaire dans la crise des organisations traditionnelles… L’agonie des formes traditionnelles, particulièrement du réformisme n’a pas pour corollaire mécanique la construction d’une autre alternative. Ces organisations vont être un obstacle supplémentaire dans la construction d’un autre projet.

Le fait politique fondamental : l’agonie de la social-démocratie et sa quasi disparition comme parti réformiste dans plusieurs pays, quand dans certains pays d’Amérique latine, les partis membres de la 2ème Internationale ne font pas directement tirer sur le peuple. Après 1980, et particulièrement l’élection de François Mitterand en France, les partis de la social-démocratie vont directement co-géré avec la bourgeoisie ou géré avec des majorités parlementaires les états européens. Sa politique d’accompagnement de la mondialisation, mieux de promotion de la mondialisation (voir le gouvernement gauche plurielle de Jospin) mène partout à des catastrophe électorales, plaçant le mouvement ouvrier sous sa forme politiquement exprimée, en passe de disparaître de la scène électorale.

La dernière métamorphose en date c’est le résultat des élections allemandes où le SPD s’effondre, sans que le Linke ne trace clairement la voie d’une véritable alternative et n’apparaisse comme un recours crédible. 13% c’est sans doute confortable… mais sans plus. Les cadres politiques du Linke sont des hommes d’état. Le parti qu’ils construisent, une auberge espagnole où existe une démocratie formelle, n’est pas sans rappeler le parti d’Epinay de François Mitterand. D’ailleurs Oskar Lafontaine fait référence au parti d’Epinay contre les dérives de la social-démocratie.

Le modèle d’aboutissement des dérives successives de la social-démocratie, c’est la situation italienne d’ouverture au centre où aujourd’hui il n’existe plus un seul représentant parlementaire issu des structures du vieux mouvement ouvrier. En face de cette situation méfions-nous des généralisations gauchistes : ce n’est pas parce que les partis traditionnels n’ont plus de représentation parlementaire et sont condamnés à disparaitre, qu’apparaissent d’autres formes de représentation des exploités…

La crise du réformisme et le processus de son agonie depuis 1980 a sa propre logique interne et ne va pas sans dégagements politiques.

La semaine dernière nous avons été invités à une réunion de l’association Devoir de résistance La Sociale de Colin-Cotta dans laquelle nous sommes intervenus. Depuis 1980 je pense qu’il y a au sein de la gauche française, voire de l’extrême gauche, un élément qui repose sur une fausse opposition. Il y aurait la gauche accompagnant la mondialisation, dont Rocard ou Manuel Vals aujourd’hui fournissent un cadre d’analyse ; le capitalisme a gagné, il faut faire en sorte que la transition soit la moins douloureuse possible pour le salariat. L’union de la gauche a vécu, il faut aller vers une stratégie d’alliance à droite. En réponse à cette orientation des courants qui depuis 1980 s’appuient sur l’Etat-Nation pour organiser la résistance, en faisant référence au programme du CNR.

La bourgeoisie française durant la seconde guerre est globalement à Vichy : « plutôt Hitler que le front populaire ! » Lorsque De Gaulle rencontre Staline durant l’hiver 1943 c’est pour définir un accord incluant centralement la reconstruction de l’Etat. Le programme du CNR, incluant le mouvement ouvrier organisé, centralement le PCF, définit le cadre de cet accord. La reconstruction de l’Etat se fera au prix de l’octroi d’acquis de civilisation important pour la classe ouvrière. Lors de la campagne présidentielle de 2007, un des responsables du MEDEF soutenant Sarkozy écrit un article de fond intitulé « en finir avec le programme du CNR ». Depuis 1958 la bourgeoisie française a mené une offensive méthodique contre toutes les formes républicaines de l’Etat.

L’opposition de Chevènement à l’aventure de la première guerre du Golfe puis à Maastricht le conduit à définir un programme politique centré sur l’Etat Nation, la question sociale étant accessoire ; de cette position il passe à l’union des « républicains des deux rives ». La république contre l’Europe libérale.

Cette contagion gagne aussi le mouvement trotskyste, particulièrement sa composante lambertiste : plus j’y réfléchis et plus je pense que un des éléments fondamentaux de sa dérive est le passage, sous prétexte de laïcité, de l’abandon de la FEN et le passage de sa fraction enseignante à FO. Cette dérive s’accompagnera d’une référence programmatique à « la république, une laïque et indivisible ».

Y compris le PG de Mélenchon fait référence à la « patrie républicaine ». La polémique justifiée de Mélenchon contre la visite de Sarkozy au Latran et le discours qu’il y a tenu, ne dépasse pas le cadre d’un attachement aux formes républicaines classiques de l’Etat (lesquelles formes ont quasiment disparu sous la Vème République). Ce n’est pas le fruit du hasard que cette polémique s’exprime d’abord dans une tenue au sein du Grand Orient. Ce n’est pas non plus le fruit du hasard que la polémique portée contre Sarkozy évite soigneusement la question de la laïcité de l’école, grande défaite que nous a infligée le PS.

La caractéristique des courants gauche dans le PS d’Epinay (Chevènement, Poperen pour les fondateurs, puis plus tard Mélenchon) prennent comme point d’ancrage pour se définir face à la gauche européiste, la forme républicaine de l’état et comme modèle de parti ouvrier le PCF ; c’était clair pour Chevènement et Poperen. Mélenchon s’en défendait dans la période où il a construit les bases de son courant la gauche socialiste. Aujourd’hui la politique du PG se calle sur un cadre fixé par la direction du PCF. Il y a là une différence de taille avec le pivertisme qui procédait d’un tissu militant ouvrier riche et qui procédait de la vague révolutionnaire de 1936. S’il faut établir un parallèle historique significatif, Mélenchon est plus proche de Zyromski que de Marceau Pivert.

La question de la nation n’est fondatrice d’aucune opposition sérieuse au capitalisme, d’autant que les formes des institutions publique de l’Etat ont été profondément modifiées, et ce par le PS, notamment à travers les lois de décentralisations (été 82 dans la foulée de la victoire de 81). Jaurès disait : « sans le socialisme, la République est vide ».

Ma conclusion, à l’heure qu’il est, est la suivante : on peut tirer un bilan de ce que un projet pour le socialisme, ne peut et ne doit pas être. Un bilan de l’agonie des formes traditionnelles du mouvement ouvrier, sans doute. Au-delà je ne vois pas comment nourrir le cadre.


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