Valeurs de la rue (échos du monde des SDF)

jeudi 2 décembre 2010.
 

Frédéric. Dans la rue, il n’y a aucune morale. La seule chose qui compte, c’est le respect de l’autre. Or les gens de la rue ont été blessés par la société, et jusqu’à la fin de leurs jours. Il ne faut pas l’oublier, et je m’aperçois d’une chose, moi qui fréquente de plus en plus la rue, c’est que tout l’individualisme qu’on peut avoir ici, on le perd à partir du moment où on est dans la rue, on retrouve un instinct de solidarité entre nous. On va donner ce qui nous est le plus cher, même si on n’a pas grand chose. Cette morale-là, elle est inscrite dans la relation de la rue.

Dans la rue, on ne se plaint jamais de son sort. On est là, on s’ennuie, on n’a pas grande activité, mais au moins on est présent. Quand on fait la manche, souvent les gens nous posent des questions. On y répond avec une certaine liberté, et cette liberté-là, elle vaut tout l’or du monde. La rue nous permet de retrouver cette solidarité qui nous a manqué. Nous nous accrochons à notre espoir, et notre espoir, ce n’est pas de retrouver un bon lit, mais cette camaraderie que l’on perd quand on ne pense qu’à soi. Et la liberté, ce sera donc de retrouver ces instincts de rue et de s’en sortir par soi-même, avec les autres, bien sûr.

Quand on se retrouve on partage ce qui nous a fait vivre avant et même pendant la rue. Et ces discussions peuvent durer des heures : on parle de ce qui nous a fait vivre, de ce qui nous a manqué, nous a blessé ; on en parle avec un certain respect. Quand on fréquente la rue, la puissance des mots revitalise (applaudissements)

B. C’est ainsi qu’on voudrait voir la rue. Mais la rue, n’est-ce pas aussi la jungle ?

Frédéric. Pas seulement. Il y a aussi ceux qui vivent la rue avec une grande dignité. Quand on la rencontre, elle est étonnante, cette dignité. Le gars va dormir tous les soirs dans un hébergement, sur un banc ou sous sa tente, et le matin, quand tu le revois, tu es très surpris de voir la dignité avec laquelle il t’accueille quand tu vas à sa rencontre. Ca, ce n’est pas la jungle.

La seule souffrance qu’il peut exprimer, c’est son manque. Soit, il est isolé dans sa solitude, il va s’enfoncer dans des habitudes comme l’alcool, mais même dans ce contexte, la seule liberté qu’il garde, c’est de te dire : assieds-toi avec moi et on va discuter.

Richard. Mais c’est rare. Le contact, tu ne l’as pas comme ça. Il faudra du temps. parce que quand quelqu’un arrive sur toi, tu ne le connais pas

Frédéric. Quand je vais à la rencontre d’une personne de la rue, je ne lui propose rien, surtout pas de sortir de la rue. Tu vas lui proposer de s’en sortir , alors qu’ il a fait un choix ? Il t’enverra chier. Il y a des gens qui vivent la drogue et ils l’assument, il y a des gens qui vivent la rue et ils l’assument.

C’est ça qui est digne. Toi qui a pris tes petites habitudes, ton petit “chez-soi”, tu as un travail, tu es bien…

Tu veux lui apporter quelque chose de bien. Mais ce bien-là, il n’en veut peut-être pas. Il a peut-être eu dans son passé beaucoup plus que tu ne penses. Il n’en veut plus parce qu’il y a des raisons qu’on n’a pas le droit d’aborder. Parce qu’on parle alors de la souffrance de la personne.

Cette rencontre est très humaine, beaucoup plus que dans les hypocrisies du quotidien. Elle est débarrassée de tous les superflus. Il y a toujours des rencontres quand on est sur un banc.

Quand on est sur un banc, on croit qu’on s’ennuie. Mais il y en a un qui vient au bout de sa galère, du fond de sa banlieue. Pendant trois quar ts d’heure une heure, il va parler avec toi. Mais il faut parfois sortir de ses habitudes. Celui que j’ai rencontré sur un banc, qui sentait mauvais, à qui j’ai proposé d’aller à René Coty : “il faut que tu y ailles”, il m’a répondu : “j’irai “, je l’ai brusqué. Il était seul sur sa route, maladif, il devait souffrir beaucoup. Ca l’a interpellé.


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