Les pesticides agitent le monde des abeilles

vendredi 9 octobre 2009.
Source : L’Humanité
 

Lors du congrès mondial de l’apiculture, les menaces sur l’insecte ont focalisé les débats.

Partout le même constat. Après 60 millions d’années d’heureux butinage, l’abeille disparaît de la surface du globe à vitesse grand V. Les derniers chiffres ont été rapportés la semaine dernière, à Montpellier, par 500 scientifiques et 10 000 spécialistes internationaux lors du congrès Apimondia. En 2009, en Europe, les pertes s’élèvent à 30 %, contre 5 % en temps normal. Mêmes proportions aux États-Unis et au Canada à la fin de l’hiver dernier. Au Moyen-Orient, « les ruches ont perdu 20 % de leur population en 2008 et jusqu’à 80 % à Bagdad », alerte Nizar Haddad, chercheur au Centre national de recherche en agriculture de Jordanie. En Argentine, en Chine, au Japon, les apiculteurs assistent aussi impuissants à ce désastre.

L’hécatombe porte un nom : le CCD, comme Colony Collapse Disorder (syndrome d’effondrement des colonies). Si, pendant plusieurs années, le débat a fait rage pour en trouver l’origine, la recherche mondiale a aujourd’hui trouvé un terrain d’entente : la surmortalité des abeilles est due à des causes multifactorielles. Reste à en établir une hiérarchie. Du frelon asiatique Vespa velutina qui gobe les abeilles à la sortie de la ruche à l’acarien Varroa destructor qui suce leur sang, de la dégradation de l’environnement au microchampignon parasitaire Nosema ceranae, des ondes électromagnétiques aux travers de l’apiculture intensive…. Selon les régions du monde, le classement change.

Mais un facteur décroche le pompon de la controverse : les pesticides. « Les abeilles se sont toujours accommodées des virus et des parasites, ce qui est nouveau, c’est ce qui a été introduit par l’homme, c’est-à-dire les neurotoxiques », explique Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS, qui a constaté des « troubles du comportement » chez les abeilles ayant butiné des tournesols traités. Trop simpliste, rétorque Marie-Pierre Chauzat à la suite de ses études sur des ruchers des Alpes-Maritimes. Pour cette ingénieure de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), « la cause prédominante de la mortalité des abeilles, ce sont les pathogènes, pas les pesticides, le système d’homologation fonctionne très bien ». Pour « preuve », la France a décidé d’interdire momentanément le Regent et le Gaucho, insecticides pour le tournesol et le maïs, en

attendant la décision de l’Union européenne. « Les pesticides affaiblissent les colonies et des agents pathogènes en profitent », tente de synthétiser Marc-Édouard Colin, chercheur à SupAgro.

Face à cette bataille de laboratoires, le 41e congrès d’Apimondia a réservé pour la première fois un temps de parole aux apiculteurs. « La recherche doit prendre plus en compte l’analyse des apiculteurs, encourage Franz Hecker, président du syndicat apicole allemand, car sur le terrain, nous voyons au moins cinq voies d’exposition des abeilles aux pesticides, mais seules une ou deux sont étudiées. » Pour Jean Sabench, de la Confédération paysanne, c’est clair : la recherche publique est aujourd’hui « noyautée » par le lobby des pesticides. « En 2007, l’AFSSA a par exemple autorisé l’utilisation du pesticide Cruiser en s’appuyant sur les seules études du fabricant Syngenta soi-disant réalisées entre 2006 et 2009 ! » Un sentiment partagé par Jan Slaby, secrétaire d’État au ministère de l’Agriculture slovaque : « Le risque de la toxicité chronique des pesticides n’est pas suffisamment étudié, il est absolument nécessaire de changer la législation de l’Union européenne rapidement. »

Christelle Chabaud


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