Les précaires, sacrifiés silencieux

samedi 3 octobre 2009.
 

Le Travail en miettes.

France 5. 20 h 35 ce 22 septembre

Où rencontrer des travailleurs précaires ? Lorsque Paul Moreira a commencé à s’intéresser à la question, il est allé sur les grandes manifestations unitaires du début d’année. À sa grande surprise, il n’en a pas croisé. Il est alors allé les chercher dans les grosses entreprises, comme Autoroutes de France ou Peugeot. Dans son film, le Travail en miettes (1), Paul Moreira remonte aux sources de ce phénomène et en étudie les conséquences pour les individus et pour la société.

Très documenté, son film donne la parole à des responsables syndicaux, à des salariés victimes de contrats de travail épouvantables, mais aussi à des responsables du patronat et même à Gérard Filoche, inspecteur du travail. Le documentaire montre aussi qu’il existe, parfois, des recours, avec les prud’hommes, contre l’abus de contrats à durée déterminée.

« Lorsque je me suis aperçu que les précaires ne venaient pas sur les manifs, j’ai vraiment eu un choc, explique Paul Moreira. La société met déjà ces salariés en situation d’instabilité économique. Et on court le risque qu’ils soient aussi des "non-citoyens". Car ça ne coûte rien de venir à une manif. » Pour lui : « Il faut faire attention car les précaires représentent une part non négligeable du corps social (un salarié sur sept, une embauche sur cinq). » Et « le coût humain aura toujours un coût économique. C’est toujours la collectivité qui finit par payer. Si on détruit le corps social, la société finit par s’autodétruire ».

Le journaliste donne un visage aux chiffres très concrets et aux analyses qui émaillent son film. La précarité s’incarne dans le regard de cette salariée, qu’Autoroutes de France ont embauchée durant huit ans, avec des centaines de contrats à la clé (pas moins de 107 sur une année). « Je peux comprendre qu’une petite boîte utilise la flexibilité. Mais là, on parle d’Autoroutes de France, qui fait 333 millions d’euros de profit par an et n’est pas franchement menacée par la concurrence chinoise », s’agace Paul Moreira. Qui s’attarde aussi sur le sort et le regard blessé de Souleymane, Sénagalais en intérim depuis dix-huit mois chez Peugeot et depuis dix ans en France. L’État a donné de l’argent aux entreprises automobiles pour qu’elles ne licencient pas. Mais cette mesure ne concerne pas « la variable d’ajustement » que constituent les intérimaires. Ils sont les sacrifiés silencieux de l’histoire.

Paul Moreira est un journaliste engagé. Après avoir créé l’émission d’investigation 90 minutes pour Canal Plus, et réalisé des grands reportages sur l’Irak ou la Palestine, il a créé sa propre société de production, Premières lignes, en 2007. Une structure destinée à produire des films politiques. Il a travaillé, par exemple, sur la souffrance et le suicide au travail, pour France 2 avec Travailler à en mourir. Le 14 septembre dernier, est passé sur Canal Plus l’Insurrection silencieuse, un film sur les résistances à la libéralisation dans les services publics. Des films au caractère social marqué, « aux positions tranchées ». Il ironise : « Je n’ai pas l’habitude de me cacher derrière mon petit doigt quand j’ai quelque chose à dire. »

(1) Le Travail en miettes,

écrit par le sociologue Georges Friedmann en 1956, est un ouvrage de référence. Paul Moreira a tiré un livre enquête de Travailler

à en mourir, qui sortira

le 14 octobre

chez Flammarion.

Caroline Constant


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message