Medine et Sefyu. Le hip-hop en liberté… égalité, fraternité

samedi 3 octobre 2009.
 

Entretien . Medine, franco-algérien, et Sefyu, franco-sénégalais, abordent les questions brûlantes. Sans tabou. Avec l’intelligence du coeur et de l’esprit.

La dernière fois que nous nous étions vus, Sefyu, c’était à une manifestation de soutien aux sans-papiers et sans-logis…

Sefyu. Exactement. Depuis, un tourbillon d’événements s’est déroulé : l’élection d’Obama et les revendications que ça a suscitées en France parmi les populations souffrant de discrimination, la crise mondiale, les interrogations sur le capitalisme… Les conflits qui éclatent aux quatre coins du monde se fondent sur des inégalités devenues criantes, y compris en France, où l’hypocrisie du pouvoir en place a été démasquée.

Dans ce contexte, comment avez-vous ressenti le plébiscite du public, qui vous a décerné sa victoire 2009 ?

Sefyu. C’est une grande source d’espoir. Pendant des années, on nous a bassinés, en prétendant que le rap est une musique de marginaux, de délinquants. Il faut cesser l’amalgame entre un genre musical et une situation sociale explosive, non pas engendrée par des artistes, mais par ceux qui s’en mettent plein les poches et creusent le fossé. L’effondrement de la Bourse a montré la perversité du système. En me gratifiant de sa victoire de la musique devant Julien Doré, poussé par la Nouvelle Star, le public a lancé un symbole fort et montré qu’il est bien plus exigeant qu’on veut nous le faire croire. Les Français, dans l’ensemble, font davantage preuve de tolérance que l’élite. À maintes reprises, ils ont désigné, comme leurs personnalités préférées, Zinedine Zidane, Yannick Noah et l’Abbé Pierre, à savoir un Maghrébin, un Noir et, selon l’angle d’observation que l’on adopte, un pauvre ou une personne âgée.

Medine. Complètement d’accord. Nous sommes dans une organisation sociale qui nous parque en des endroits géographiques insalubres, qui nous traite de violeurs, d’égorgeurs de moutons ou de poules, brûleurs de voitures. De notre côté de la barrière, la violence aurait mille raisons de s’enflammer davantage. Pourtant, nous arrivons à dialoguer beaucoup plus que ce que prétendent des philosophes de salon.

Sefyu. Quand j’ai effectué une tournée en France pour contribuer à ce que la jeunesse défavorisée prenne conscience de l’utilité de voter, les gros médias n’en ont quasiment pas parlé. Ils ont intérêt à entretenir les clichés sur le hip-hop. Il y a, en France, un hiatus entre la base et le sommet. Sur le plan culturel, cela se vérifie entre les souhaits du public et les décisions imposées par les hautes sphères du - business. Une minorité concentre le pouvoir entre ses mains et refuse d’écouter le peuple. J’avais été frappé, par exemple, par l’énorme mobilisation contre le CPE et la surdité du gouvernement. Cette année, aux DOM-TOM, on a observé les manipulations du patronat et des autorités visant à décrédibiliser la lutte et ses leaders, un procédé vieux comme le monde.

Medine. La désinformation a toujours été la technique utilisée par les dominants. Les États-Unis ont diabolisé les Black Panthers, éliminé Malcolm X, Martin Luther King et bien d’autres. Sarkozy et la presse qui lui est soumise agissent de même avec les opposants charismatiques qui émergent.

Comme Hamé, rappeur de la Rumeur, programmé à la Fête de l’Huma : il a été poursuivi par Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, pour avoir dénoncé des assassinats perpétrés par des policiers…

Medine. Tout à fait. Ce sont des tentatives d’intimidation. Je soutiens 100 % Hamé. Dans un article, je parle des dix réformes que j’estime prioritaires. Il faudrait traiter sérieusement la question des violences policières. Si l’on ne veut pas que ça explose irrémédiablement dans les quartiers, les syndicats de policiers, notamment, doivent se prendre en main. Il faut que les policiers aient une meilleure formation, apprennent à gérer leur stress, etc., de sorte à ne pas déraper.

Que pensez-vous de la « discrimination positive », du point de vue de la forme et du fond ?

Sefyu. Pourquoi parler de discrimination positive, donc, pourquoi discriminer, alors que le peuple en France se mélange ? Pourquoi utiliser le mot discrimination envers des citoyens détenteurs de la carte d’identité française ? Un non-sens, selon moi.

Medine. La terminologie anglaise, affirmative action, a l’avantage de ne pas comporter de connotation négative. À l’instar de la loi sur la parité, il me semble nécessaire de légiférer pour l’égalité des chances de tous les citoyens. Les personnes subissant une discrimination, que ce soit pour leur origine ethnique, pour leur sexe ou pour un handicap, sont victimes de la même structure patriarcale archaïque, installée dans les institutions.

Le pouvoir en France serait-il un vieil homme blanc en bonne santé ?

Medine. Par métaphore, oui. Dans le sens où les femmes, les personnes issues de ce qu’on appelle pudiquement la diversité, les jeunes, les handicapés n’ont pas accès, à compétence égale, aux mêmes postes.

Le hip-hop est-il macho ?

Sefyu. Pourquoi coller cet attribut spécialement au hip-hop, si ce n’est pour le ternir ? Dans un morceau, je dis : « C’est pas parce qu’on vient d’une cité qu’on frappe les filles. » Le rap est macho comme la société dont il fait partie. C’est le capitalisme qui gagne à exploiter une certaine image de la femme, à exhiber son corps nu sur des panneaux publicitaires pour vendre un savon ; ça participe à une instrumentalisation machiste qui n’est pas plus acceptable qu’un mauvais texte de rap bafouant la dignité féminine. Les censeurs du capitalisme jettent l’anathème sur des rappeurs sans remettre en cause leur système de pensée et de fonctionnement.

Accepteriez-vous, Medine, de conclure par un message à nos lecteurs ?

Medine. De tout temps, les luttes ont été soutenues par des artistes, des sportifs, des journaux. Nous nous battons dans le même sens pour ouvrir des portes, des solutions. J’aimerais dire aux lecteurs de l’Huma de continuer à soutenir les luttes des plus démunis et, concernant le hip-hop, de prendre garde aux préjugés. N’oubliez pas que les médias dominants ont - intérêt à montrer une image négative du rap et non à donner la parole aux artistes conscients. Nous avons besoin d’un journal comme l’Huma. La lutte continue. Nous avons tant à faire.

Propos recueillis par Fara C.


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