La gauche antilibérale perce en Allemagne et au Portugal (par Michel Soudais, Politis)

lundi 28 septembre 2009.
 

Elections législatives en Allemagne

La gauche antilibérale n’est plus marginale en Europe.

Cette bonne nouvelle constitue la principale leçon des scrutins législatifs allemands et portugais, organisés dimanche. Deux scrutins marqués par un recul des formations social-libérales, quoiqu’en l’espèce « libéral-sociales » conviendrait mieux.

C’est bien évidemment l’Allemagne qui occupait les écrans de télé hier soir. Et sans surprise, dès les premières estimations, il était surtout question de la réélection d’Angela Merkel. Mais celle-ci ne saurait à elle seule résumer un scrutin dont les résultats montrent le rejet des électeurs de la grande coalition droite-gauche (CDU/CSU-SPD) qui gouvernait le pays depuis 2005.

- Une participation électorale historiquement basse. Signe d’une désaffection des électeurs, le taux de participation aux élections du 17e Bundestag a été de 72,5% contre 77,7% en 2005, qui marquait déjà un record à la baisse. Dans les années 1980, la participation était comprise entre 84 et 90%.

- Les deux grands « Volksparteien » (partis populaires) reculent. La CDU/CSU conservatrice et le SPD de centre-gauche, qui gouvernaient ensemble depuis 2005 ont obtenu dimanche leur plus mauvais score depuis des décennies. Cette désaffection des électeurs profite aux trois petites formations représentées au Bundestag : le FDP, Die Linke et, dans une moindre mesure, les Verts.

La nouvelle coalition gouvernementale

- Angela Merkel n’a pas de raisons de pavoiser. Certes la CDU/CSU l’emporte. Mais elle essuie son deuxième plus mauvais score depuis la fondation de la République fédérale allemande, autour de 33,5-34% dimanche, contre 31% en 1949. Ce recul est particulièrement frappant dans le Schleswig-Holstein, un Land du nord de l’Allemagne, où se déroulait parallèlement des élections régionales : la CDU du ministre-président sortant Peter Harry Carstensen y reste le premier parti en dépit de lourdes pertes qui la font reculer de 40,2% (score en 2005) à 32,7%, son pire résultat régional.

- Petite formation charnière, le FDP est le principal gagnant du scrutin. Avec 14,6% et 93 sièges, la formation de Guido Westerwelle est la nouvelle alliée de Mme Merkel. C’est un parti libéral qui préconise des baisses d’impôt plus marquées que la CDU et un assouplissement des conditions de licenciement. Rééquilibrage à gauche

- Le SPD obtient son pire score en 60 ans. Avec 23,1% des voix, le SPD ne devrait obtenir que 147 ou 148 sièges, soit 70 de moins que dans la chambre sortante. Depuis la fondation de la République fédérale en 1949, jamais le SPD n’avait fait moins que 28,8%. C’était en 1953. Avec cette défaite cinglante, le SPD solde l’ère Schröder, quand le chancellier social-démocrate conduisait une politique de Troisième voie qui consistait à faire avaler à sa base électorale des politiques économiques et sociales que la droite aurait eu du mal à faire passer. Il récolte aussi les fruits de son choix de 2005 de gouverner avec la droite conservatrice plutôt que de s’appuyer sur une majorité SPD-Verts-Die Linke. Son candidat à la chancellerie, Frank-Walter Steinmeier était vice-chancelier et numéro deux de la coalition sortante, et avait le portefeuille des Affaires étrangères dans le gouvernement d’Angela Merkel.

- Die Linke progresse spectaculairement sur la gauche du SPD. En 2005, cette nouvelle formation qui n’était alors qu’une alliance électorale avait réuni 8,7% des suffrages. C’est depuis dimanche le quatrième parti d’Allemagne, avec 12,4% des voix et 76 à 79 sièges. Il devance les Verts (10,6%) qui gagnent un peu plus de deux points. « Nous sommes désormais le parti qui fera pression pour que l’Etat social soit reconstitué », a déclaré son coprésident Oskar Lafontaine, transfuge du SPD.

La progression de Die Linke, né d’une fusion du PDS (communiste), implanté surtout à l’Est, avec des sociaux-démocrates hostiles à l’évolution vers le centre du SPD, ne manquera pas d’animer les discussions en cours au sein de la gauche française. Elle donne des arguments à tous les partisans d’un front de gauche durable qui assume la confrontation avec le PS. Et sera vraisemblablement au cœur des discussions de la réunion, prévue en fin d’après-midi, entre le PCF, le Parti de gauche, le NPA, la Gauche unitaire, la Fédération pour une alternative sociale et écologique et les Alternatifs, en vue des régionales.

Elections législatives au Portugal

Une « victoire » en trompe l’oeil

Ce n’est pas le résultat des élections législatives portugaises, qui se tenaient aussi hier, qui infirmeront cette analyse. Car même si le Parti socialiste du Premier ministre sortant José Socrates emporte la victoire, avec 36,56% des voix contre 30,37% pour ses rivaux de centre-droit. [1], les socialistes européens auraient tort de ce réjouir de ce résultat.
- L’abstention explose. Selon les mêmes résultats partiels, le taux d’abstention avoisine les 40%, un record absolu pour des élections législatives depuis l’avènement de la démocratie au Portugal en 1974.

- Le PS portugais recule fortement. Certes avec 96 sièges au Parlement, il obtient une large victoire face au Parti social démocrate (PSD, 29,09%, 78 sièges) qui n’est pas un parti de gauche, contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire puisque c’est la formation politique du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Mais les socialistes sont loin de conserver la majorité absolue conquise en février 2005 avec 121 sièges sur 230 au parlement.

- La poussée de la gauche antilibérale se confirme même si elle est de moindre ampleur qu’aux élections européennes. Elle disposera de 31 élus : 16 pour le Bloc de gauche (9,85%), 15 pour la Coalition démocratique et unitaire (CDU) des communistes et verts (7,88%).

José Socrates, « socialiste moderne »

Ce rééquilibrage de la gauche s’explique par la politique conduite par José Socrates, archétype du « socialiste moderne » si prisé des médias bien pensants. Elu secrétaire-général du PS en 2004, Socrates est nommé Premier ministre en mars 2005. Aux prises avec une croissance au point mort et des finances publiques catastrophiques [2], il parie alors sur le secteur privé comme moteur de la reprise et sur un « choc technologique », et prend sans états d’âme des mesures impopulaires : hausse de la TVA (de 19 à 21% !), réduction de la fonction publique, réforme du code du travail, allongement de l’âge de la retraite (à 66 ans !!)... Ce qui a fait dire à Sarkozy, lors de leur première rencontre à Lisbonne en avril 2007 : « Heureusement que les socialistes français ne sont pas comme lui, sinon j’aurais du mal à me positionner ! »

Lui même, ami personnel du chef du gouvernement espagnol José Luis Zapatero, dit « apprécier » Nicolas Sarkozy dont il loue le « caractère iconoclaste » et le « goût du risque ». Les « chaleureuses félicitations » que ce dernier lui a adressé dimanche soir à l’annonce de sa victoire n’étaient pas simplement diplomatiques.

Malgré ces états de service en faveur du néolibéralisme et de l’européisme béat (c’est sous sa présidence de l’UE qu’a été concocté le traité de Lisbonne), il ne manquera pas bonnes âmes moralistes pour nous expliquer que Socrates reste un homme de gauche. On nous rappellera qu’il fait adopter une loi sur la parité homme-femme, la dépénalisation de l’avortement, l’autorisation de la recherche sur les cellules embryonnaire. Et qu’il a promis de légaliser le mariage homosexuel. Comme si les réformes sociétales pouvaient faire oublier l’absence de mesures sociales.


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