Jorge ARRATE sort vainqueur du premier débat télévisé entre les quatre candidats à la présidentielle chilienne

samedi 3 octobre 2009.
 

Quelle ferveur, l’autre soir, dans les studios de TVN, la télévision nationale chilienne ! Nous étions 450 à assister au débat entre les quatre candidats à l’élection présidentielle du 13 décembre prochain. Dans un format qui en France serait inconcevable, puisqu’avec un tel public les candidats sont à la merci des réactions des supporters des concurrents, les candidats ont eu la possibilité d’aborder des points importants comme la santé, l’éducation, la situation des PME, le surendettement, le logement, la justice, dans un tour à tour d’interventions d’une minute, une minute trente, destinées à expliciter les propositions programmatiques.

Sebastian Piñera, le millionnaire pinochétiste -qui a le plus pâti de la pression du public- a été déstabilisé par une attaque que lui a directement lancée le candidat de la Concertacion, Eduardo Frei. Celui-ci a en effet estimé que la mention faite dans un rapport récent de Transparency International, une ONG de lutte contre la corruption, d’un délit d’initié dont aurait bénéficié le parti de Piñera, questionnait l’opportunité que celui-ci devienne Président de la République.

Ce moment de tension fut par ailleurs le seul où Frei a pris le dessus, alors que pendant le restant des 90 minutes de débat, il s’est vu contraint de défendre le bilan de 20 ans de Concertacion, se référant même à des tentatives de légiférer qu’il avait menées lorsqu’il était Président en 1994 et qui avaient échouées au Parlement. Autant dire que sa prestation était globalement peu convaincante, avec des arguments très faibles du style « même Bill Clinton a félicité Michelle Bachelet pour son système de santé ».. une blague, qui nous a d’ailleurs bien fait rire dans la tribune des soutiens à Jorge Arrate. Bien qu’on me dise qu’il a fait d’énormes progrès, j’ai été frappée, surtout, par son piètre usage de l’espagnol, ne prononçant pas les « s », mâchant les fins de mots (dire par exemple « ao » au lieu de « ado »), donnant à son expression une tonalité très familière qui pour moi n’est pas digne d’un Président de la République.

Celui qui a pour une fois évité le ton de la familiarité fut Marco Enriquez-Ominami. Elégamment vêtu, ayant manifestement perdu quelques kilos pour l’occasion, s’étant –enfin- coupé les cheveux, il a tenté de faire figure de présidentiable sérieux. Malheureusement, un grave défaut de diction, accentué par le format (entre 30 et 90 secondes pour exprimer une idée) a massacré l’essentiel de son propos. Pour ce que j’en ai compris, il s’en est pris exclusivement à Piñera et à Frei, le premier sur la question des comptes de campagne et le second sur le bilan, notamment en matière de logement social. Il a défendu, néanmoins, dans une attitude mi-chèvre mi-chou caractéristique du Chili d’aujourd’hui (au Chili on dit « ni chicha ni limona »), l’œuvre de Michelle Bachelet. Il a fait référence constamment à son épouse, l’animatrice Karen Doggenweiler, qui se trouvait « chez elle » dans les studios de TVN, ainsi qu’à ses filles et à sa mère. Il a casé des phrases choc, très marketing, dans un propos qui aurait pu être habile et suffisant si Jorge Arrate n’avait pas pris le dessus.

En effet, ce qui étonne le plus le landernau médiatique ce matin, c’est la solidité du propos de Jorge Arrate. Dans une tonalité précise et calme, avec un niveau d’espagnol bien au-dessus de ses concurrents, il a énoncé des descriptions synthétiques « la ségrégation urbaine qui crée des quartiers riches et des quartiers pauvres, des écoles pour riches et des écoles pour pauvres », et des propositions claires et fortes pour transformer le Chili. L’Assemblée constituante, la récupération du cuivre pour financer l’éducation, la fin du système assurantiel de santé qui abandonne et extorque la population en général mais surtout les plus vieux, qui sont inexorablement plus malades, la pénalisation des ententes dans le secteur de la distribution pharmaceutique, l’interdiction par l’Etat des méthodes commerciales qui visent à vendre du crédit à la consommation à tout va, ce qui concerne les grandes chaînes de magasins, les pharmacies, et surtout les banques. Il a parlé lentement, précisément, et avec une conviction contagieuse, de la nécessité d’une éducation de qualité, gratuite et laïque, et de son opposition à ce que l’éducation soit un commerce lucratif. Subtilement, sans pathos ni chichi, il a dit que le Chili avait de besoin de « Justice et vérité » et de « justice pour les Mapuches ». Dans son intervention finale il a souligné qu’il se sentait différent de ses trois concurrents, puisque l’un d’eux adhère clairement aux thèses ultralibérales, et que les deux autres « Eduardo y Marco » (ici tout le monde se tutoie !), sont trop tendres avec le marché. Il a dit qu’il regardait vers le futur, avec un regard socialiste, allendiste.

Clairement, le format lui a servi. Il avait son public qui criait, pendant les pauses commerciales et en lancement d’antenne « Constituyente, Arrate presidente », il a le mieux synthétisé son propos dans un va et vient entre critique et proposition concrète, et bien qu’il n’ait été attaqué par personne, il a saisi une balle au bond avec humour lorsqu’il a remercié Marco de ne l’avoir pas, justement, interpellé sur ses dépenses de campagne. Se référant à ses faibles moyens, il a en plus, mis tous les rieurs de son côté. Et quand je dis tous, je signale qu’il y avait 1 600 000 personnes devant leur poste hier soir. Je ne me fais pas beaucoup d’illusion sur les prochains sondages qui sont de toute façon manipulés, mais là, je sais que Jorge a marqué un gros coup. Pour l’instant, en matière de débat, il mène 1-0-0-0.


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