Suicides : épidémie cachée à l’Équipement

mercredi 23 septembre 2009.
 

Retenu par la direction, un document élaboré il y a un an révèle un nombre effarant de gestes suicidaires parmi les agents du ministère.

Le ministère de Jean-Louis Borloo serait-il aujourd’hui un second France Télécom ? On peut le craindre à la lecture d’un document que l’Humanité s’est procuré. Il porte en titre « Éléments de connaissance et d’approfondissement pour la prévention des crises suicidaires » et a été adopté à l’unanimité le 1er octobre 2008 par le Comité central d’hygiène et sécurité (CCHS) du ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer. Il est le fruit de deux ans d’un travail commun de représentants de la direction, des syndicats, et de médecins experts sur le suicide au travail. Depuis un an, il est retenu au secrétariat général du ministère. Ce document reconnaît « qu’aucune évaluation à ce jour ne peut informer sur le nombre réel de suicides par an dans cette institution ». Mais il avance des chiffres effarants : chez les agents de l’équipement et de l’environnement, le nombre de tentatives de suicide par an serait de 150 à 250 et le nombre de décès par suicide serait de 15 à 25 ! Le rapport indique que le taux annuel de suicides parmi les agents du ministère serait de 25/100 000, sensiblement supérieur à celui de la population française en général.

Ces chiffres sont hélas corroborés par des enquêtes récentes. En 2006, 18 décès par suicide d’agents du ministère sont recensés. La CGT fait état de 67 décès par suicide depuis 2004, dont 26 en 2008 et 11 depuis le 1er janvier 2009. Depuis 2004, le syndicat demandait la création de ce groupe de travail sur le geste suicidaire. Au départ, cette demande s’est heurtée au refus de la direction de recenser les suicides, arguant qu’il s’agissait d’un acte personnel. C’est à la ténacité des élus CGT au CCHS qu’on doit la création de ce groupe de travail en 2006. « L’un des mérites du document élaboré par le groupe de travail sur les gestes suicidaires, explique le secrétaire général de la fédération, Jean-Marie Rech, est qu’il préconise une enquête lorsqu’on a connaissance d’un suicide ou d’une tentative. Tant que la circulaire est bloquée, il n’y a pas d’enquête. » Du côté du ministère, on affirme que des circulaires seront proposées au CCHS début octobre, qu’il n’y a aucun blocage mais « une difficulté à traduire le document en circulaires ». Notre interlocuteur, qui n’a pas souhaité être cité, affirme « qu’il n’y a pas forcément de liens avec le travail » et qu’on ne constate pas « la montée de phénomènes inquiétants ».

Pression hiérarchique, stress

Alors, y a-t-il corrélation entre le taux anormalement élevé de suicides dans les services de l’équipement et de l’environnement et les conditions de travail ? Le secrétaire général de la fédération FO, Jean Hedou, estime que « les réorganisations de services en cours, les mobilités géographiques ou fonctionnelles, imposées, annoncées ou effectives, la pression hiérarchique et le stress ainsi généré constituent des facteurs aggravants et parfois déclenchants ». Son syndicat relève qu’il y aurait eu au moins 3 décès par suicide sur le lieu de travail en 2008 et 1 en 2009. Même analyse du côté la CGT. Jean-Marie Rech affirme avoir porté à la connaissance du CCHS le contenu de deux lettres de suicidés mettant en cause explicitement les conditions de travail dans la détermination de leur geste. « Le dernier suicide connu est le fait d’un chef de service de La Rochelle qui élevait seul sa fille handicapée. On lui avait annoncé que, dans le cadre de la réorganisation de son service, il était transféré à Bordeaux. »

Quant au document lui-même, il ne constitue pas une enquête sur les raisons des suicides d’agents de l’équipement et de l’environnement. Mais il met en exergue les « causes précipitantes » : « Rupture de carrière ou dégradation d’itinéraire professionnel, manque de reconnaissance, épuisement professionnel, conflits éthiques sur la valeur du travail, perte de sens du travail. » Et surtout il livre en conclusion de cette analyse un verdict sans appel : « Il ne faut pas attendre la crise pour agir, il est indispensable de veiller à la promotion du bien-être au travail. »

Or c’est exactement une politique contraire qui est menée à l’équipement et à l’environnement comme dans toute la fonction publique.

35000 agents transférés aux départements

En 2004, les agents de l’équipement, qui forment le gros bataillon des 100 000 employés dépendant du ministère, ont subi la décentralisation. 35 000 d’entre eux ont été transférés aux départements. Et à partir de 2007, avec Nicolas Sarkozy, c’est la révision générale des politiques publiques (RGPP), une politique de réorganisation qui ne répond qu’à un seul objectif : faire baisser la masse salariale dans la fonction publique avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partants à la retraite. La loi sur la mobilité adoptée cet été, qui stipule que le fonctionnaire dont le poste serait supprimé et qui refuserait trois propositions d’emploi pourrait être exclu de la fonction publique, constitue pour les salariés une menace supplémentaire. Même s’il se refuse à toute comparaison avec France Télécom, Nicolas Baille, secrétaire adjoint de la fédération CGT, assure « qu’à force de regroupements des directions, les agents du ministère sont dans une spirale de réorganisations des services, avec des mobilités, des mouvements, des déménagements imposés. Au point qu’ils perdent le sens de leur travail ». Et de leur vie ?

Olivier Mayer


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