Jaurès Le mouvement d’une pensée (Par Roland Leroy, député honoraire, ancien directeur de l’Humanité)

mardi 22 septembre 2009.
 

La façon sans doute la moins fidèle aujourd’hui d’évoquer Jaurès consiste à en dresser une statue immobile, à fixer pour toujours telle ou telle observation de sa part. Certains ironisent sur la surabondance de ses réflexions, qui les rendrait forcément contradictoires. Certes, on trouve chez lui des expressions qui contredisent, corrigent, modifient des appréciations ou déclarations précédentes, mais ce qui caractérise la pensée et l’expression de Jaurès, c’est leur mouvement constant. Et il n’est pas outrancier d’estimer que ce mouvement conduit toujours dans la même direction. J’avais eu l’occasion d’affirmer au cours d’un hommage public, voilà quelques années, que personne ne peut dire ce qu’aurait été son attitude au moment de la scission de la SFIO, au congrès de Tours.

Cela n’avait pas plu à un dirigeant socialiste qui parlait après moi. Pourtant, il est absolument indispensable d’éviter de s’approprier la pensée de Jaurès, de la rétrécir et de l’enfermer dans une conception appliquée à la politique actuelle, comme il est aussi intolérable d’immobiliser sa pensée. C’est ce qu’avait bien perçu Renaud Jean dans un article publié dans l’Humanité le 1er août 1924 et qu’il avait rédigé après son intervention à la Chambre des députés dans un débat préparant la décision du transfert des cendres de Jaurès au Panthéon.

À l’étonnement d’une partie des communistes de l’époque, il montrait avec beaucoup de calme et de force qu’il est impossible de s’approprier dans un sens ou un autre la pensée de Jaurès et son texte conduisait à comprendre cette pensée en mouvement après d’autres développements. Je le cite : « L’évolution politique de Jaurès l’enleva à la bourgeoisie du Bloc des gauches qui voudraient l’annexer aujourd’hui pour le conduire au prolétariat. Comment supposer qu’à l’heure présente il resterait prisonnier de conceptions basées sur un état de choses désormais périmé ? Vouloir arrêter à 1914 l’évolution politique de Jaurès, ce serait aussi faux que tenter de l’emprisonner dans des conceptions de 1885 ou de 1902. Jaurès alla toujours à l’école de la vie, imitons-le. »

Il faut dire que le Parti communiste a, pour sa part, négligé l’apport de Jaurès jusqu’au congrès du Havre, en 1956. Mouvement de pensée encore : à peu près au moment où Jaurès fondait l’Humanité, Lénine fondait la Pravda, pour jeter les bases de ce qui allait devenir le Parti bolchevik. Jaurès, lui, songeait à la nécessité de réunir les différents courants socialistes en un seul parti et s’y employa activement jusqu’au résultat de 1905. La comparaison est intéressante. Car, s’il y a contradiction, il y a aussi identité dans la nécessité de doter le mouvement ouvrier, le mouvement transformateur de la société d’un parti qui a besoin d’un organe. Jaurès sut aussi utiliser avec une intelligence étonnante les difficultés financières du journal en obtenant des fonds nouveaux de la part d’organisations syndicales, ce qui donna une force supplémentaire au quotidien, où purent s’exprimer les différents courants syndicaux de l’époque. Célébrer Jaurès aujourd’hui, c’est donc avant tout donner vie à la pensée jaurésienne, la développer et la faire avancer.


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