En attendant Barroso !

mercredi 16 septembre 2009.
 

Aujourd’hui c’est mercredi et je suis à Strasbourg pour la session du parlement européen. Au cours de cette session monsieur Barroso va être reconduit dans sa fonction de président de la commission européenne. Mais ici je fais un compte rendu qui s’arrête juste avant le vote. Sinon il est à craindre que l’évènement écrase tout le reste. Et le reste ne manque pas de sel ni de signification. Ainsi doit-on parler du vote lui-même contesté par les Verts, de la forêt landaise méprisée par les bureaucrates libéraux et du mélange des moutons qui ont la langue bleue avec la police des frontières et les flux nucléaires dans la centrale de Petten. Tel quel.

Lundi 19 heures. ON VOTE A PROPOS DU VOTE

« C’est peut-être toi n’importe quoi ! », réplique Joseph Daul avec son bel accent alsacien à couper au couteau. Pan sur le nez de Daniel Cohn Bendit qui venait de l’interrompre avec une de ces interjections familières dont il a l’habitude. Car j’arrive dans un hémicycle agité. Il y a débat. On vote pour savoir si on vote. C’est-à-dire que les Verts et les Sociaux Démocrates veulent qu’on attende l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne pour voter à propos du Président de la Commission. Ils font remarquer qu’on va désigner un président de la commission aujourd’hui d’après les règles d’un traité qui n’existera peut-être plus dans un mois. Et de toute façon le reste des commissaires sera désigné sous un nouveau régime de droit.

Il faut bien dire que ce n’est pas faux et même que c’est une base de l’Etat de droit que de respecter ses propres textes, quoiqu’on pense de ceux-ci, non ? Donc nous allons voter avec eux. On m’a fait venir en courant dans l’hémicycle pour être sûr que je pourrai voter. Pas de problème. Je suis en place à temps. Mais je n’ai pas le record de mobilisation. C’est José Bové qui l’emporte haut la main. Je ne l’avais pas vu. Je le croyais à Paris pour le meeting de soutien à notre camarade Jodar, syndicaliste de l’USTKE mis en prison en Calédonie dans les conditions provocatrices que j’ai déjà décrites ici. Pourtant, José est ici, à son banc. Et il va faire l’aller retour, ce que je ne savais pas possible. Autant pour moi, donc. Mais Martine Billard, député de Paris dans la circonscription où a lieu le meeting, et personnellement engagée, représentait notre collectif politique. Pas de carence donc.

Mais moi j’ai juste le regret de ne pas m’y être trouvé. Car Jodar est un homme que je connais et sa détention est une provocation calculée. Le pouvoir des oligarques locaux est en mouvement pour reprendre la main sur le territoire alors que depuis 1988 et ensuite les accords de Matignon, puis tous les votes du parlement, la cause kanak a tenu le haut du pavé de la légitimité. Mes regrets sont d’autant plus grands que, dans cet hémicycle, j’ai eu le sentiment de faire de la pure figuration. Au vote nous sommes battus à plate couture. Ma machine ne fonctionne pas. Je fais un vote par écrit. Ici, au paradis des libéraux anti-état et anti-règlement on passe sa vie remplir des papiers.

Lundi 20 heures

A présent, nous allons avoir trente minutes de débat. Un régal. Une orgie de discours s’annonce. Bien sûr tout le monde n’aura pas la parole. Mais chacun aura une interminable minute pour s’exprimer. Quel est le sujet de ce débat ? Il n’y en a pas. Chacun parle de ce qu’il veut. De toute façon il n’y a pas de réponse prévue. Le premier qui commence parle du sport et de la bonne santé. Trop long. Toc ! Coupé en route. Personne ne s’en rend compte. En effet, dans l’hémicycle c’est de nouveau l’ambiance de la place Jamal’fna à Marrakech. Tout le monde parle en même temps !

Heureusement beaucoup sont déjà sortis, ou a peu près, quand mon collègue communiste portugais prend la parole pour protester contre ce qui se passe au Honduras. Tout ce que le président trouve à lui dire est qu’il a dépassé son temps d’une minute de vingt trois secondes. Celui-là va sans doute nous parler avec des trémolos mouillés dans la voix du mur de Berlin et tout le tra la la. Comme elles étaient dures les dictatures avant et comme elles sont embarrassantes aujourd’hui avec toutes ces secondes perdues à en parler. Même molle indifférence sur les bancs et à la tribune des grands défenseurs de la liberté quand un orateur fait le tableau de la situation des populations sans défense de la bande de Gaza. Tout à l’heure ils iront verser leurs larmes de crocodile sur les ruines du mur de Berlin. Il n’est de bons murs lamentables que d’hier et déjà abattus. « Nous avons eu trente neuf interventions en quarante minutes. C’est un bon débat », déclare le président à la fin de cette scène. Je félicite les intervenants. »

A présent il complète : « Je crois que la commission doit tenir compte de ce qui vient de se dire car sinon notre parlement ne serait qu’un défouloir. Je suis certain qu’elle va le faire car j’ai vu que la commission écoutait avec grand soin ce qui se disait. » minaude-t-il « Et maintenant nous allons entendre une déclaration de la commission sur l’automobile et notamment la situation avec Ford ». Suit un nouveau morceau de bréviaire libéral sans signification particulière autre que de réciter les platitudes que l’on connait par cœur. Le commissaire qui fait des phrases est censé être chargé des affaires sociales. Il défend le marché et l’interdiction des aides et le refus du « nationalisme économique qui n’a pas sa place dans notre union » et ainsi de suite. Pour ce qui concerne le social, le bréviaire dit que les sacrifices d’aujourd’hui, nécessaires et indispensables, seront récompensés demain par des emplois. Tout juste comme on le fait en travaillant pour son salut éternel en souffrant aujourd’hui. Donc je fais une pause dans mes notes. A quoi bon continuer.

Personne ne peut répondre à ce monsieur et si par hasard c’était le cas on aurait droit à un temps d’une minute ou bien quarante secondes ou je ne sais quoi d’aussi grotesque. D’ailleurs quand commence la série des intervenants on a envie de pleurer. Même la verte ne dit rien sur la place de la voiture dans l’économie du futur et se limite à des sornettes sur les emplois durables grâce aux vertus du marché. L’allemand de droite qui intervient fait l’apologie des productions de Ford et couine que la commission doit se prononcer sur le plan proposé par son gouvernement « dans un délai raisonnable ». Au passage, toc, il jette un pétard ! Voici lequel : « j’espère que ce ne sera pas comme pour les banques quoique dans ce domaine nous avons pu observer des délais très variables allant de vingt quatre mois pour les banques allemandes à vingt quatre heures pour les banques hollandaises ».

Goddam ! Joli revers ! On sourit sur les bancs. Aussitôt un député de droite portugais lève un carton bleu. « C’est la nouvelle procédure, se réjouit le président, avec votre permission votre collègue va vous interrompre pour vous interroger ». Ca c’est la trouvaille. Comme le gouvernement ne répond à aucune question, les députés s’interrogent entre eux ! On va voir comment. Pour l’instant, le gars de la droite allemande n’a pas l’air spécialement réjoui : « bon d’accord, maugrée-t-il, si ça ne m’enlève pas du temps de parole » « Non, non, n’ayez crainte pour conservez vos douze secondes restantes, s’excite le président ». Aussitôt le portugais décharge sa question qui tue : « vous avez parlé d’un délai raisonnable, pouvez vous nous dire à quel délai vous pensez ? ». « Merci cher collègue, s’extasie le président ! Nous voyons bien que la nouvelle procédure permet un débat beaucoup plus vivant car il faut bien dire que sinon ces débats étaient un peu ennuyeux dans le passé ! » Le portugais est rouge de plaisir. L’allemand applaudit. Ces minauderies ont enfin leur terme ! « Vous avez la parole pour douze secondes encore, allez y cher collègue » relance le président. Etourdissant, non ? Je pense que nous atteindrons bientôt la densité d’une polémique dans un bureau des pompes funèbres. Je raccroche. Si j’avais su, j’aurais fait l’aller retour avec Paris et ma vie aurait eu un sens pendant plusieurs de ces heures inutilement anéanties à fournir le décor de cette pantalonnade.

Mardi 9heures dix. FORÊTS URGENTES

Ce matin d’abord des votes sans surprise sur le collectif budgétaire. En réalité j’ai eu des surprises. D’abord quand on a voté une somme pour la forêt landaise sinistrée. Au total, les secours d’urgence auront mis neuf mois pour être décidés. On voit ce que l’urgence veut dire ici. 109 377 165 euros d’aide. Je ne comprends pas ce montant car la tempête Klauss a été reconnue comme catastrophe naturelle majeure avérée, avec 3,8 milliards d’euros de dégâts estimés. C’était un cas prioritaire ! Neuf mois de délibérations pour une priorité ! Si ce n’était pas si tristement absurde, on rirait de l’abîme qu’il y a entre la lenteur de la mise en œuvre de ce fonds, et la volonté affichée par ses créateurs de "permettre, par une prise de décision rapide, d’engager et de mobiliser, dans les plus brefs délais, les ressources financières spécifiques" Décision rapide, brefs délais, tout ça est écrit dans le « Règlement CE 2012/2002 » du Conseil du 11 Novembre 2002 instituant le Fonds de solidarité de l’Union européenne selon mes assistants qui ont préparé le dossier. Le plan français de sauvetage de la forêt landaise avait déjà dû attendre 5 mois pour être autorisé par la Commission européenne qui le suspectait de violer la libre concurrence.

Quelle horreur ! Pendant ce temps 40 millions de mètres cubes de bois pourrissaient et les coûts de sauvetage augmentaient faute de déblocage des aides à temps ! Par pur persiflage, on se rappellera pourtant qu’à l’automne, la Commission avait donné en urgence son feu vert à un plan bien plus considérable quand il s’agissait de sauver les banques ! Pour les libéraux, le but de ce délai grotesque est de s’assurer que le stock de bois tombé à terre du fait de la tempête ne va pas être subventionné de sorte que le dieu marché prélève tranquillement sa part de malheurs, de misères et de destructions sociales et environnementales qui lui permette de manifester ensuite ses effets bienveillants. Et s’il ne le fait pas, ce que personne ne peut savoir avec une culture qui demande vingt ou trente ans pour arriver à terme ? Eh bien : tant pis ! Car les victimes ne seront plus là pour protester. Et même si elles protestaient, qu’est ce que ca changerait ? L’union européenne se moque absolument de ce que pensent, veulent ou souffrent les gens. Voir le traitement réservé aux référendums. Ce n’est pas son objet. Son objet est la concurrence libre et non faussée. Comme si ça ne suffisait pas, une trentaine de voix se sont opposées à cette aide. Dont celle de Daniel Cohn Bendit. Je n’ai pas encore trouvé l’explication. Ca doit être sophistiqué. Mais ce ne sera pas la seule surprise.

Mardi encore le matin. MOUTONS NUCLEAIRES

Hé ! hé ! Voici le rapport Jutta A7-001062009. Le titre est extrêmement alléchant non ? Le temps de trouver la traduction en français et me voici confronté à un douloureux dilemme. Dans cette décision modificative il y a cinq rallonges budgétaires pêle mêle et il s’agit de répondre par un seul oui ou non. Voyons. De nouveaux crédits pour Europol, Olaf et eurojust. Dans la nov langue européenne il est facile de traduire ces sigles : euro-police, euro-frontière, euro-justice. Bien sûr chacun de ces mots doivent être compris dans le cadre libéral qui veut souvent dire le contraire de ce que le bon sens suggère. Après ces trois paquets, voici un crédit pour faire face à la fièvre catarrhale de moutons ! C’est la maladie de la langue bleue. Rien de moins ! Par sympathie pour ces braves bêtes et solidarité avec leurs éleveurs, je suis tenté de vaincre mes doutes sur tout cet argent pour les frontières et la police. Mais voici un nouveau crédit. Cette fois-ci il s’agit du programme complémentaire de recherche sur le réacteur nucléaire à haut flux de Petten aux Pays Bas ! Compris ? Les amis des bêtes seront repeints en amis du nucléaire d’un même coup de pinceau. Donc je vote contre et j’exprime mes regrets à tous les moutons atteints de la langue bleue en pensant que je vote aussi dans leur intérêt à long terme bien compris. Mais un vote pour cinq sujets aussi hétéroclites, c’est une trouvaille que seule un petite tête de techno peut avoir imaginée.

Mardi matin encore. MADRIGAL POLONAIS

Auparavant il y avait une séquence étrange pendant laquelle j’ai vu monsieur Barrot, le commissaire français parler dans un tohu bohu et une indifférence qui m’a sidéré. Au point que j’en ai fait une photo dont j’espère qu’elle rend compte de l’ambiance. Mais ce matin, la nostalgie anti-communiste est inscrite au cœur du menu. Le nouveau président du parlement, le polonais Buzek fait son madrigal d’installation. En face de lui, assis sur un premier rang constitué pour la circonstance, les anciens présidents disponibles pour toute séquence d’hommages et congratulations. Il n’en manquera pas. Après quoi, c’est le tour des députés. On nous beurre donc la biscotte de plusieurs couches épaisse d’émotion convenue sur cette présidence « historique » parce qu’elle est censée représenter l’Europe réunifiée et bla bla encore et encore. Seul ce pauvre Martin Schultz, président du groupe social démocrate fait rire tout le monde avec une grosse blague politicienne. En effet il rappelle que si beaucoup de monde évoque les cinq ans de présidence de Buzek, il rappelle qu’en deux ans et demi ce serait bien si tout était engagé. Ah ! Ah ! Tout le monde doit comprendre le sous entendu. Le brave Schultz rappelle ainsi de façon subliminale qu’un accord est conclu entre les sociaux démocrates et la droite pour que cette présidence tourne tous les deux ans et demi entre les sociaux démocrates et la droite !

Mardi 15 heures. BARROSO PARLE !

Yééé ! Et voici Barroso dans l’arène. Habile homme. Il commence son discours en français excellemment parlé. Puis il enchaine en anglais et je vois bien qu’il y jongle aussi. Ce qu’il dit est de la même eau que ce que j’ai déjà décrit à l’occasion de son passage devant mon groupe, la GUE-NGL. Mêmes élans pour ne rien dire, même force du vent, Barroso nous joue le grand rôle pour son deuxième mandat : comment votre caniche est devenu un doberman. Un bon nombre d’orateurs vont d’ailleurs beaucoup ironiser sur ces élans en comparant avec son discours d’il y a cinq ans qui faisait déjà les même promesses.. Le record d’ironie canonnière vient à Cohn Bendit. Barroso lui renverra la monnaie de sa pièce en lui disant qu’il avait presque de l’affection pour lui parce qu’il lui rappelle son adolescence. Tout ce grand monde rit à gorge déployée car Daniel Cohn Bendit les a beaucoup énervés et bien piqués.

Quand arrive le tour de ce pauvre Martin Schultz, l’aboyeur du groupe « alliance progressiste des socialistes et des démocrates », tout le monde a le sourire aux lèvres car tout le monde sait qu’il va faire un numéro de politicien vu que son groupe n’a pas voté encore pour fixer ce qu’il fera d’une part et que d’autre part l’accord avec la droite est déjà vérifié par ce fait que les gouvernements sociaux démocrates ne proposent pas de candidat et soutiennent Barroso. On est servi. Humour a deux sous, vociférations sans contenu, Schultz est dans son rôle le mieux rodé : l’opposant d’accord avec celui qu’il attaque. Tout à l’heure Catherine Trautman, sera bien plus claire et directe. Au nom des socialistes français elle annonce qu’ils ne voteront pas pour Barroso. Les autres socialistes européens font la tête. Quelle équipe que ces gens là ! Pendant les campagnes éléctorales ils roulent les mécaniques et chantent les louanges de leur grand parti qui permet de peser sur les évènements. Ils vont peser en se dégonflant comme des baudruches dans la confusion et l’incohérence. Bon ça va être mon tour de parler. J’ai une glorieuse minute et demi de temps de parole. Je suis sur le grill. Le moment venu j’oublierai de me lever pour parler, moi qui ai horreur de parler assis. Et je déborde de 19 secondes. Le président me rappelle à l’ordre car il faut respecter le temps de parole un point c’est tout.. Ce n’est pas tout. L’huissier vient me demander si je suis empêché de me lever car le président me rappelle à l’ordre aussi sur ce point en admonestation privée. Bon. C’est mon jour. Autant pour moi. Je présente des excuses que l’huissier va rapporter au président. Tout va bien. Il est temps de glisser ici le texte de mon intervention.

Mardi 16 heures 25. UNE MINUTE QUARANTE NEUF DE HARANGUE

« Monsieur le candidat à la présidence, les institutions ne permettent pas à la gauche de présenter un candidat. Nous dénonçons cette situation de candidature unique et les accords politiques entre gouvernements de droite et les sociaux démocrates qui la rendent possible. En effet cette situation nie l’existence d’une large opinion européenne totalement opposée au modèle de construction libérale de l’Europe que vous incarnez. Ce modèle est celui qui précipite l’idéal européen dans un abîme d’abstentions hostiles aux élections européennes notamment dans les nouveaux Etats membres. Ce fait ne vous tire pas un mot de commentaires. Ce modèle est celui qui a transformé le rêve d’une Europe protectrice en une machine a détruire nos droits sociaux, nos industries nationales et qui dresse les peuples les uns contre les autres pour gagner leur pain. De plus en plus nombreux sont ceux qui disent : « d’Europe il ne vient jamais rien de bon ! » Monsieur Baroso vous n’avez pas vu venir le désastre financier et la catastrophe écologique en dépit des nombreux avertissements qui vous ont été adressés. Au contraire, vous l’avez facilité avec cette dictature de la concurrence libre et non faussée qui étrangle nos sociétés, détruit l’esprit civique et nos services publics. Et maintenant vous changez les mots pour ne pas changer les choses. Mais votre programme se résume en une phrase : « dorénavant ce sera comme auparavant ». C’est pourtant d’un grand changement dont nous avons besoin pour tourner la page du passé de ce système archaïque du capitalisme financier et du productivisme ! Les crises vont s’aggraver, nous le savons tous. Le changement pourrait donc commencer par le refus de vous investir. C’est pourquoi notre délégation vous refuse ses suffrages. »


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