En Allemagne la gauche radicale s’impose dans la campagne électorale (législatives)

samedi 19 septembre 2009.
 

A moins de trois semaines des élections législatives allemandes, le sondage publié mercredi 9 septembre par l’institut Forsa n’est pas passé inaperçu : le parti de la gauche radicale allemande Die Linke y est crédité de 14 % d’intentions de vote pour le 27 septembre, après des mois à stagnation sous la barre des 10 %. Un petit événement dans cette campagne électorale où tout paraissait joué d’avance, avec la chancelière chrétienne-démocrate, Angela Merkel, pour grande favorite.

Selon le directeur de Forsa, Manfred Güllner, la formation d’Oskar Lafontaine serait devenue plus "fréquentable" aux yeux des électeurs après les récents succès engrangés lors de trois scrutins régionaux fin août : en Sarre, en Saxe et en Thuringe, le parti a remporté entre 21 % et 27 % des voix.

Trois ans après sa création, Die Linke entend bien jouer les trouble-fête. Bien ancré à l’est de l’Allemagne, le parti continue sa tranquille conquête de l’ouest : il y a déjà intégré cinq parlements régionaux et prouvé sa capacité à perturber le jeu des coalitions. Né de la fusion entre les anciens communistes d’ex-République démocratique allemande (RDA) et les déçus de la social-démocratie - une cohabitation souvent difficile -, il séduit un électorat encore flou et aux mouvances très diverses. Entre attente de justice sociale, vote identitaire et désamour pour le SPD, portrait de trois électeurs.

Andreas Böttger, 34 ans, secouriste

Il ne parle pas, il rugit. Contre les prix trop chers, les salaires trop bas, les politiques "hypocrites". "Ceux qui nous gouvernent n’ont aucune idée de nos difficultés de tous les jours", récrimine ce secouriste de la Croix-Rouge, âgé de 34 ans, qui vit avec sa femme et son petit garçon dans un village de Basse-Saxe (ouest). Le jeune père fait tous les jours 70 km pour se rendre à son travail. Il est d’astreinte la nuit, souvent les jours fériés. "Pourtant j’arrive tout juste à entretenir ma famille, je ne peux pas les emmener en vacances. Est-ce normal ?", s’indigne-t-il.

Andreas Böttger apprécie que Die Linke promette un Etat plus fort, plus présent. Un Etat qui fasse pression sur les employeurs pour que les salaires grimpent et que le pouvoir d’achat augmente. "Au lieu de ça, aujourd’hui, on donne des milliards aux banquiers, fustige-t-il. Dans cette crise, ce sont encore les plus riches qui s’en sont sortis gagnants sur notre dos."

Il ne veut pas que son fils d’un an et demi grandisse dans une société "injuste". Autrefois, il croyait aux valeurs du Parti social-démocrate (SPD) : "Malheureusement ces quatre dernières années, le parti s’est compromis pour de bon, il a prouvé que seul le pouvoir l’intéresse." Sinon, s’interroge M. Böttger, pourquoi n’a-t-il pas empêché l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’augmenter la TVA de trois points, de 16 % à 19 % ? Une mesure qui fait bien mal au porte-monnaie. "Mon vote pour Die Linke est à la fois protestataire et définitif", conclut-il, déterminé.

René Wilke, 25 ans, étudiant en psychologie

Il était si jeune quand le mur de Berlin est tombé : cinq ans tout juste ! Etudiant en psychologie à Francfort-sur-l’Oder (Est), René Wilke n’a rien en commun avec ces "perdants" de la réunification bercés de "nostalgie". Sinon de partager leurs choix politiques. Depuis qu’il a l’âge de voter, il s’est naturellement tourné vers Die Linke, qui fait souvent jeu égal avec la CDU et le SPD dans les Länder d’ex-RDA.

"Le clivage Est-Ouest compte moins pour ma génération", affirme le jeune homme. Même s’il regrette que l’ancienne Allemagne de l’Est soit souvent "si mal comprise et trop critiquée, alors que tout n’y était pas mauvais". Sans être lui-même concerné, il se dit très sensible "aux problèmes sociaux" qui touchent encore les nouveaux Länder avec une dureté particulière. Dans sa ville natale, Francfort-sur-l’Oder, le taux de chômage est de 13 %. "Comment expliquer aux gens qu’on diminue leurs allocations chômage, comme l’a fait le SPD, quand il n’y a tout simplement pas d’emplois disponibles ?", interroge-t-il en choisissant ses mots avec précaution.

Avec Die Linke, René Wilke n’a pas du tout l’impression de plébisciter un parti extrême, "mais un parti qui connaît les difficultés des gens d’ici et leur propose des solutions". Lui-même s’imagine bien faire carrière en politique. Son père, ancien chimiste, votait déjà PDS, rassemblement des ex-communistes de RDA et ancêtre des Linke à l’Est. Mais fi du passé ! L’étudiant pense que cet héritage, mal perçu à l’Ouest, finira par s’estomper.

Gabriele Sedatis, 62 ans, syndicaliste

Elle a grandi à Berlin-Ouest. Elle a connu le Mur de près et donner sa voix à Die Linke le 27 septembre la chiffonne un peu. Savoir qu’il y a toujours d’anciens cadres de la RDA actifs dans le parti, "cela ne me plaît pas trop", lâche cette femme menue de 62 ans, dessinatrice industrielle depuis peu à la retraite.

Après tant et tant d’années à voter pour les sociaux-démocrates ou les Verts, elle vit cela presque comme une transgression. Mais c’est ainsi : il faut donner une leçon à ces partis établis qui "ne s’occupent plus des droits des travailleurs". Douce et posée, Gabriele Sedatis n’est pas une rebelle contestataire. Juste "une syndicaliste engagée". A l’université où elle a passé toute sa carrière, elle s’alarme de voir se multiplier les contrats précaires. Sans parler du recul de l’âge de la retraite à 67 ans. "Heureusement, j’y ai échappé", note-t-elle. Et se désole : "A force de gouverner avec la CDU, le SPD a perdu son identité."

Die Linke lui plaît parce qu’on y parle de "justice sociale". Mais aussi parce qu’elle y retrouve ses idéaux d’"ancienne soixante-huitarde" : "J’ai grandi avec le mot d’ordre : Plus jamais la guerre !" Aujourd’hui, estime-t-elle, le pacifisme est une notion bien malmenée : "Il faut se retirer d’Afghanistan. Die Linke est seul à le réclamer ouvertement." Gabriele Sedatis n’ose pas dire à tout le monde qu’elle va voter pour la gauche radicale, "mais c’est tout de même mieux que l’abstention".

Marie de Vergès


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message