Journaux lycéens de l’avant-mai 68 en Aveyron 1966 La nouvelle génération

mardi 26 février 2008.
 

De 1966 à 1968, la montée du mouvement lycéen sur Rodez s’est faufilée pour une bonne part au travers d’une série de huit journaux lycéens diffusés sur cinq établissements à 2500 exemplaires. Le Comité d’Action Interlycées qui servira en Mai 68 de premier cadre d’auto-organisation et d’affirmation collective dans la presse, les meetings, les relations unitaires... a été fondé par le Comité de rédaction du journal.

Pour l’essentiel, ce sont les mêmes lycéens qui ont animé le mouvement des Comités d’Action Lycéens d’avant 68 et le journal, mais ce dernier joue un rôle vis à vis de tout le milieu des élèves, rendant compte de leurs revendications et aspirations, des clubs para-scolaires, des rencontres sportives... Indépendamment du choix effectué par les élèves, certaines administrations étaient tellement tatillonnes sur chaque article que le contenu politique ne pouvait qu’être limité. Nous étions dépendants de celles-ci pour la réalisation technique (les photocopieurs n’existaient pas) et même pour tenir nos réunions ( autorisations de sortie, car nous étions internes dans des établissements différents).

Malgré ces limites, je crois l’histoire de ces journaux intéressante à conter.

1) 1966 : La voix du lycée et La nouvelle génération

Le milieu lycéen n’était pas plus politisé en 1966 qu’aujourd’hui ; loin de là. Par contre, la rigidité des règlements d’internat créait parfois une animosité collective.

En 66, j’étais interne et revenais chez mes parents une fois par demi-trimestre. Dans un tel contexte, le lycée devient sa deuxième maison et d’autres élèves ( connus depuis la sixième) sa deuxième famille. Le film Mourir à trente ans de Romain Goupil commence par ses amis de la bande des coyotes. Sur Rodez, mon souvenir des années 60 est inséparable de notre petite équipe de foot devenue une bande d’amis avant de contribuer à animer les Comités d’Action Lycéens.

Suite à des actions en 1965-1966 sur le droit de sortie et la qualité des repas, nous constituons autour des quelques amis signalés plus haut (Claude et Michel Frayssinet, Francis Vergnes, Gérard Peyrouty, Francis Poujol...) un groupe lycéen d’une vingtaine d’élèves.

A la rentrée 1966, nous proposons au nouveau proviseur des améliorations pour notre vie (règlement intérieur, repas...). Mais notre grande affaire, c’est le lancement de La voix du lycée.

Un bon journal lycéen vit en symbiose avec son milieu. Un article circule d’un élève à l’autre bien avant d’être publié. Dès 1966, deux classes de première et une de seconde vivent ainsi avec ce petit poumon collectif. L’auteur le plus apprécié se nomme Michel Frayssinet, d’un père chef de gare qui a participé à Résistance-Fer. Il dessine bien et présente une version locale d’Astérix et Obélix centrée sur des aberrations de la vie lycéenne. Il écrit assez naturellement en alexandrins et en fait profiter volontiers notre bulletin. Dans sa rubrique Le ver à soi du premier numéro, il s’en donne à coeur joie sur le thème :

Si j’accédais un jour à notre ministère

Voici le règlement que je souhaiterais faire...

Début novembre, notre premier journal rend compte de ce que nous avons obtenu : " Quelle aubaine ! Comment décrire l’enthousiasme qu’a engendré le nouveau régime des sorties pour les Premières et les Terminales cette année... De même, la possibilité d’aller à la télévision de façon assez régulière et les efforts de l’administration pour rendre la vie dans les foyers plus intéressante ont été fort appréciés des élèves". Fait encore plus important pour des internes " une rapide évolution dans un domaine primordial et très délicat : la nourriture... immense progrès par rapport à la réserve et à la hargne que nous manifestions auparavant dès l’apparition du premier plat... la colle de petits pois, de lentilles ou de haricots s’est transformée en des plats, ma foi, très acceptables et surtout redemandés... viande moins sèche... apparition du gruyère..."

Ces améliorations ne vont pas toutes durer ; par contre, notre groupe commence à acquérir une considération parmi les lycéens qui pèsera plus tard lors de la création du Comité d’Action Lycéen.

Je me rappelle bien de la première réunion du comité de rédaction composé d’une part d’amis, d’autre part de "volontaires" venus à la suite d’une information émanant de l’administration. Dès le début, certains "volontaires" font porter la discussion sur la nature du journal, "politique" ou "apolitique". L’unanimité se réalise sur une phrase rédigée à la hâte : " Notre journal ne fait pas de politique ; il rend compte de toute la vie des lycéens sans sujet tabou". Nous décidons aussi que les articles ne seront pas signés individuellement mais lus, discutés, amendés, approuvés majoritairement en Comité de rédaction.

Pour la seconde réunion, Monsieur le Censeur nous fait l’honneur de sa présence. Le clivage politique réapparaît rapidement en discutant les premières phrases de mon éditorial "La nouvelle génération". La version définitive donnera : "De tout temps, il y a eu opposition entre les générations. Cette opposition a parfois conduit à des révolutions, toujours à un progrès social". Le reste passera plus facilement, avec une argumentation articulée autour de la citation suivante "lorsque la jeunesse entre en opposition violente avec la société dont elle fait partie, c’est généralement le signe de l’évolution de cette société plus que la preuve d’une crise de jeunesse. Plus apte à ressentir et à réagir, la jeunesse joue un rôle de révélateur". Après quelques phrases creuses d’élèves encore jeunes, nous concluions : "De nos jours, le problème s’est généralisé et a pris de l’ampleur. Tous les jours nous apprenons que les étudiants manifestent et s’en prennent au régime établi, en Espagne, en Hollande, en Angleterre... L’élection d’un provo au Conseil municipal d’Amsterdam est déjà un signe avant-coureur en Europe".

La méthode d’élaboration collective des articles va s’avérer difficilement applicable pour la "Chronique de la chanson". On croirait que la dignité de chacun est en jeu sur chaque titre, chaque interprète. Un article sur Mireille Mathieu provoque une véritable crise ; un de ses paragraphes est voté par 9 pour, 8 contre, 9 abstentions : "Provoquer l’hystérie des jeunes dans une salle psychologiquement surexcitée, c’est l’apanage des yéyés, mais provoquer l’enthousiasme et l’admiration, se faire aimer des foules, c’est l’apanage des seules grandes vedettes dont elle incarne si bien... le génie de la perfection". Plusieurs rédacteurs quittent, furieux, l’équipe du journal et n’y reviendront qu’un an plus tard avec un article sur les "yéyés".

La réalisation technique va nous demander beaucoup d’efforts. Nous nous échinons sur une très vieille machine à écrire que l’administration avait mise au rebut et dont les caractères étaient en partie effacés. L’usage d’une ronéo usée avec nos stencils parfois fragiles s’avère extrêmement compliqué. Ensuite, il nous reste à corriger à la main, au stylo noir, sur chacun des 400 numéros, une cinquantaine de fautes, passages illisibles ou lettres mal frappées. Mi-novembre, nos camarades peuvent prendre connaissance de notre production.

2) 1967 Le Flambeau : une journal commun d’un lycée de garçons avec le lycée de filles


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