L’Eglise et l’école Livre de Marceau Pivert en édition électronique. Préface de Robert Duguet

mardi 15 septembre 2009.
 

Pourquoi faire cette réédition électronique de ce livre de Marceau Pivert édité en 1932 ? En dehors des bibliothèques spécialisées ou de celles des vieux militants, ce texte est aujourd’hui introuvable. Pour qui s’intéresse à l’histoire de la bataille laïque son intérêt est évident, il a même aujourd’hui une grande fraîcheur au regard des trahisons subies par notre génération militante. Au-delà, ce texte aide à comprendre comment la question laïque, la lutte pour l’émancipation complète de la pensée et la liberté absolue de conscience, ne peut être prise en charge jusqu’au bout que par la classe ouvrière combattant pour le socialisme. Plus que les mouvements ouvriers des autres pays européens, le mouvement ouvrier de notre pays est profondément marqué par la bataille laïque, elle fut un élément fondateur de son programme : il ne s’agit nullement d’une spécificité ou d’une « exception française », revendiquée par ceux qui continue à se situer à gauche sur une ligne de repli républicain ou nationaliste... La bataille laïque est liée à la profondeur de la révolution bourgeoise, au combat des clubs et de la sans-culoterrie radicalisée pour libérer la bourgeoisie de ses anciens alliés féodaux, puis aux révolutions ouvrières du XIXème siècle et en particulier « l’effort prolétarien de la Commune » (Marceau Pivert), qui pose par une société libérée de l’exploitation capitaliste les bases éducatives (Hugo disait « les organes de la pensée publique ») de l’émancipation complète de la pensée.

De son travail d’instituteur pacifiste à la bataille dans le SNI et dans la ligue de l’enseignement, appuyé sur la Libre Pensée, puis dans le parti socialiste SFIO Marceau mènera le combat pour faire adopter le programme de la nationalisation laïque de l’enseignement. Il participera largement à fonder les positions du mouvement ouvrier, à la fois contre les staliniens et les tenants de la doctrine sociale de l’Eglise, en matière d’enseignement, et ce pour plusieurs décennies.

Effet politiquement différé de la grève générale de 1968 et de la chute du gaullisme, en 1971 se constitue le nouveau PS à Epinay, entre des courants venant du socialisme et d’autres salués par François Mitterand dans le discours inaugural d’Epinay de la gauche de l’Eglise catholique. Ce mouvement se renforce en 1974 avec l’entrée de Michel Rocard dans le PS lors des Assises pour le Socialisme. En 1972 la fédération unitaire de l’enseignement, la FEN abandonne, et avec elle le CNAL, le mot d’ordre de nationalisation laïque, pour s’orienter vers un projet d’unification dite « laïque » dont on verra réellement le contenu avec la politique du gouvernement Mitterand-Mauroy et le plan Savary d’unification. C’est en 1972 que la CFDT entre dans le cartel d’organisations soutenant le CNAL. Les minorités révolutionnaires de la fédération de l’enseignement maintiennent le mot d’ordre de « nationalisation laïque de l’enseignement sans indemnité ni rachat », puisqu’aux termes des lois Debré, puis Guermeur, l’Etat finance l’enseignement privé catholique à 90%. En 1984, sous un gouvernement d’Union de la gauche, les laïques subissent une défaite historique. La hiérarchie catholique rompt les accords contenus dans la loi Savary et on retourne à la case Vème République, c’est-à-dire aux lois Debré-Guermeur qui ne seront pas abrogées. Savary violemment attaqué par la droite à la chambre des députés dira : « an 1981 nous aurions pu abroger les lois antilaïques en une nuit, nous ne l’avons pas fait… »

Le bilan que nous tirons de cette période ne se limite pas au jugement entièrement négatif porté sur le parti d’Epinay. Il faudra bien aussi tirer un bilan précis sur les positions des courants issus de la pensée révolutionnaire, particulièrement les organisations de tradition trotskyste, sur cette question. Dans les années qui ont suivi la grève générale de 1968, les uns rivaliseront de gauchisme en considérant l’école publique comme l’école de la bourgeoisie ; la caricature guesdiste n’est pas morte... La LCR en particulier jouera un rôle particulièrement nocif sur cette affaire. Le bestseller gauchiste de cette période étant le livre « l’école capitaliste en France » où le gauchisme rejoint en fait les positions sectaires et antilaïques des staliniens de la troisième période de l’Internationale Communiste : l’école publique étant dénoncée sans discernement comme un outil d’oppression au service de la classe capitaliste. Après 1968, la LCR flirtera avec les courants gravitant autour du PSU et de la gauche de l’Eglise en rupture avec la laïcité. Quant au courant lambertiste, s’il est tout à son honneur d’avoir relevé le drapeau du combat laïque, la rupture avec le syndicalisme unitaire, la FEN, et le passage ordonné des enseignants trotskystes vers la confédération Force Ouvrière en 1983 – la laïcité servant de passeport idéologique – verra une soumission plus que troublante vers les positions de l’appareil FO. C’est Alexandre Hébert, alors secrétaire de l’UD-FO de Loire Atlantique et membre de la direction de l’OCI qui passe, dans la bataille contre le plan Savary, d’une position révolutionnaire à une reconnaissance de la liberté d’enseignement « pour autant que les fonds publics soient accordés à la seule école publique ». Une position qui nous ramène à celle des républicains bourgeois. La fédération nationale des libres penseurs servira de creuset d’élaboration de cette position, sous l’impulsion de Christian Eyschen alors président de la fédération des Hauts de Seine de la Libre Pensée. Ce dernier produira un travail théorique justifiant l’abandon du mot d’ordre de « nationalisation laïque de l’enseignement sans indemnisation ni rachat ». Devenu président national de la Libre Pensée, il passera le relai à Marc Blondel lui-même, lorsque ce dernier quittera le secrétariat de la confédération FO.

Que le nouveau PS ait tenu dans l’ombre la mémoire de Marceau Pivert, on le comprendra aisément, puisqu’il a trahi tout l’héritage de la bataille laïque pour le plus grand profit de la gauche de l’Eglise catholique et des tenants de la privatisation de l’école ; on cherchera en vain sur le site de l’Ours (Office Universitaire de Recherches Socialiste) toute référence au combat de Pivert. Mais que le courant se situant dans la tradition révolutionnaire de la bataille laïque ait fait le choix de reprendre à con compte le neutralisme laïque des Jules Ferry, Ferdinand Buisson… ou André Bergeron et Marc Blondel, c’est une rupture incontestable avec la pensée révolutionnaire.

Ce livre de Marceau démontre de manière lumineuse que le concept de « liberté d’enseignement » n’est pas autre chose qu’une revendication du cléricalisme militant. La révolution française, puis l’éphémère Commune de Paris, interdisait aux congrégations religieuses d’enseigner. Y compris la classe bourgeoise, poussée par la sans-culotterie, déniait au clergé le droit de formater les consciences. Le mouvement ouvrier ne peut pas faire moins que de défendre la reprise en main par la puissance publique des outils de transmission du savoir, pour qu’ils ne servent qu’à un seul but, transmettre l’expérience des générations passées, et former des consciences éclairées, des citoyens libres. Le point de vue de la nationalisation chez Marceau, repris pour un temps par un parti la SFIO porté au pouvoir par la vague révolutionnaire de 1936, est celui là. Le soutien apporté par Blum lui-même à la démarche de Pivert n’est pas exempt d’ambigüités et une des phrases de la fin de la préface doit être soulignée :« Je pense enfin, et Marceau Pivert m’accordera sans doute ce point, qu’une fois réalisée la nationalisation de l’enseignement, l’opposition logique qu’il a dressée entre le conservatisme nécessaire de l’Eglise et l’anticléricalisme nécessaire au prolétariat, aurait reçu sa solution sur le terrain de l’action et n’aurait plus à peser pratiquement sur la tactique révolutionnaire. » Blum prépare déjà la suite…

Ce livre de Marceau Pivert, préfacé par Léon Blum est écrit en pleine bataille contre les dirigeants néo-socialistes (Marcel Déat, Adrien Marquet) qui avait vu la majorité réformiste de la SFIO, et Blum lui-même, faire cause commune avec la gauche du parti représentée par le bloc Zyromski-Pivert. Le courant « néo » organisait dès 1930 la rébellion d’une partie du groupe parlementaire contre la direction du parti, votant pour les lois radical-socialistes, même lorsque ceux-ci amputaient le salaire des fonctionnaires. Lors du congrès de Paris en 1933, la gauche de Ziromsky-Pivert organise la contre-offensive. Montagnon, Marquet et Déat stigmatisent l’attachement de la SFIO à un marxisme poussiéreux. Le fascisme italien l’a emporté en Italie et Hitler menace en Allemagne. Face à la référence formelle de la direction de la SFIO au marxisme, les tentatives néos hier comme aujourd’hui se sont toujours arrimées à une dénonciation de l’archéo-marxisme. On a connu cela à partir de 1974 avec Michel Rocard et l’aile militante venue de la CFDT et du Christianisme Social. Dans le processus de délitement du PS d’Epinay on peut le voir dans les positions de campagne présidentielle de Ségolène Royal et aujourd’hui de Manuel Vals. Marquet, responsable de la fédération de Gironde, va le plus loin dans le sens d’un socialisme national ou d’un national-socialisme avec le triptyque : ordre, autorité, nation. Face à l’offensive des néos Blum se déclare épouvanté. Persistant dans leur indiscipline, les parlementaires néos seront exclus en novembre 1933. Marcel Déat et ses amis termineront leur carrière dans les wagons de la collaboration avec Vichy. Adrien Marquet sera sous-secrétaire à Vichy où il se spécialisera dans la répression antimaçonnique.

Cet essai philosophique et politique sur l’Eglise et l’Ecole est donc rendu public au moment où la SFIO tombe à gauche et s’approche de l’exercice du pouvoir. Ce travail de Marceau Pivert est le produit d’une longue période de militantisme pour la cause la laïcité et de l’instruction publique qui s’amorce en 1924. Ancien combattant de la grande guerre, comme beaucoup de militants de sa génération il est pacifiste. Ses engagements sont d’abord ceux d’un syndicaliste et d’un républicain radicalisé. Son combat est d’emblée celui de la défense et de la promotion de l’enseignement public et de la laïcité. Franc maçon et libre penseur, il devient dès 1925 président du « groupe fraternel de l’enseignement ». Précisons que cette structure maçonnique créée en 1895 et qui existe aujourd’hui sous la dénomination de « fraternelle de l’éducation nationale » regroupe les « frères » sur la base de leur profession, les loges et ateliers regroupant sans distinction de métier sur une base géographique ou sur des critères de regroupement idéologiques. Son combat est celui de l’école unique de la maternelle à l’université comme service public géré et garanti par l’Etat. C’est la nationalisation laïque de l’enseignement. Sa conception à l’origine humaniste et républicaine est incontestablement dans la continuité de la pensée de Jaurès : par la démocratie et grâce au suffrage universel le prolétariat, comme classe politiquement représentée, entre dans la définition de la République, en lui donnant sa dimension sociale. De même la bataille laïque pour un enseignement public de qualité pour tous est un élément fondamental du combat de la classe opprimée. La bourgeoisie n’a pas besoin de l’égalité scolaire, c’est au prolétariat qu’est nécessaire l’école unique, comme moment de son émancipation sociale. C’est au SNI (Syndicat National des Instituteur) en 1927 qu’il fait mettre à l’ordre du jour cette question. Le syndicat adoptera le point de vue de Pivert en l’assortissant d’une gestion tripartite : les représentants du ministère de l’instruction publique, les spécialistes de l’enseignement et les usagers.

Dans cette bataille politique il va rencontrer deux écueils :

D’abord cellui de Ferdinand Buisson, qui se situe dans la filiation du républicanisme radical et de Jules Ferry, qui met en garde le congrès de SNI et le somme d’abandonner le monopole et de revenir sur la position de l’année précédente. Il demande le respect de « la liberté d’enseigner », ce qui n’est pas autre chose qu’un compromis avec les églises (Buisson est protestant) et l’église catholique en particulier. Je rappelle que « la liberté d’enseignement » est à l’origine une revendication cléricale, justifiant l’existence et la mission éducative des congrégations enseignantes. Le congrès suivra Pivert qui se retrouvera élu à la direction nationale du syndicat. La position sera reprise quelques mois après par le congrès de la Ligue de l’Enseignement.

Autre opposition, celle des guesdistes dans le Parti Socialiste et des anarcho-syndicalistes, position qui sera celle plus tard du courant « Ecole Emancipée ». C’est Ziromsky qui, assumant la continuité de Guesdes, explique que la nationalisation reviendrait « à mettre entre les mains de la classe possédante qui domine, un formidable instrument d’oppression ». Les staliniens par la voix de Maurice Thorez diront, dans la période ultra-gauche de la 3ème Internationale que l’école publique bourgeoise et l’école confessionnelle sont deux formes de l’oppression de la classe ouvrière. Vieille discussion dans l’histoire du mouvement ouvrier contre le formalisme sectaire des guesdistes que Jaurès pose déjà de manière pertinente dans le tome 2 La Législative de son Histoire socialiste de la Révolution Française à propos du plan Condorcet pour une instruction publique : le problème n’est pas d’écarter l’enseignement public de l’Etat et de le placer à côté de l’Etat, mais de faire entrer la liberté dans l’Etat. Pivert précise sa position, d’ailleurs dans le même sens que Jaurès à propos de Condorcet, en disant qu’il revient au parti prolétarien de défendre la mise en place par l’Etat républicain d’un service public pour le bien de tous. L’Etat même le plus démocratique restant l’Etat justifiant l’oppression d’une classe sur une autre, il revient au parti prolétarien de lutter pour l’émancipation socialiste, tout en défendant et s’appuyant sur les conquêtes démocratiques. Cela les guesdistes ne l’ont jamais compris : on se souviendra de la position déplorable de Guesdes à propos de l’affaire Dreyfus. Même logique : le capitaine Dreyfus étant membre de l’Etat major d’une armée impérialiste, le défendre, même s’il est injustement accusé, ne concerne pas le parti du prolétariat.

En ce qui concerne les rapports des enseignants avec l’Etat, le point de vue de Pivert est très proche de celui de Condorcet et de son plan pour l’instruction publique : les instances du savoir, les enseignants, ne peuvent être contrôlés que par des instances en capacité de juger sur des critères pédagogiques, donc d’autres enseignants :

« L’organisme d’exécution que nous entendons créer, quelle que soit la forme de la gestion, c’est le conseil des maîtres(…) seul qualifié pour régler le fonctionnement pédagogique de l’école, fixer les méthodes, coordonner les effectifs, introduire dans la communauté scolaire le ferment des initiatives individuelles et le ciment des disciplines collectives » (Le populaire, 27 juin 1929)

Il critique la position formellement marxiste de Ziromsky qui sous-estime ce que représente pour les travailleurs un service public d’enseignement organisé par la puissance publique dans la formation d’une pensée de l’émancipation. Les guesdistes défendent en fait une formation assurée par le syndicalisme de bourses du travail, la formation intellectuelle des travailleurs étant assurée par les organisations ouvrières, en dehors de tout contrôle étatique. Position partagée par la tradition anarcho-syndicaliste.

C’est à l’unanimité que le congrès SFIO de Nancy de 1929 votera la nationalisation de l’enseignement, ce qui donne une petite idée de la place tenue par la bataille laïque dans la représentation politique du mouvement ouvrier français. Voici un extrait significatif de la résolution des 9-12 juin 1929 :

« …Dans sa bataille quotidienne, le socialisme trouve devant lui l’Eglise, hostile de même qu’à partir de la révolution française, l’Eglise s’est alliée aux adversaires des droits de l’homme, de la République te de la démocratie, que la papauté n’ a pas cessé de les condamner en principe et le clergé de les combattre en fait, de même elle a fait un pacte dès la naissance du socialisme avec le grand capitalisme.

Le capitalisme a mis sa puissance au service des prétentions cléricales ; l’Eglise a mis son pouvoir au service du privilège capitaliste. Tels ils se trouvent toujours étroitement associés dans la commune résistance aux aspirations populaires, tels ils s’unissent en Italie pour asservir le peuple à la double contrainte de l’oppression dictatoriale et de la tutelle cléricale, tels on les voit en France s’appuyant l’un sur l’autre, poursuivre ensemble la conquête du pouvoir politique, peser ensemble sur leurs communs intérêts sur les gouvernements, les assemblées, la presse et le corps électoral, enfin s’assurer ensemble, par la pression et la menace, la soumission des individus et des familles qu’ils tiennent à leur merci.

Pour toutes ces raisons tant doctrinales que politiques, le PS est anticlérical, c’est-à-dire au sens propre du terme, résolument opposé aux empiétements de l’Eglise sur tout ce qui n’est pas du domaine de la conscience. Le PS est anticlérical en tant qu’il rencontre l’Eglise dans toutes les entreprises de réaction politique et de conservatisme social. L’anticléricalisme pour lui, loin d’être raillerie mesquine ou persécution sectaire, signifie au contraire défense de la liberté pour tous, protection assurée de tous, contre toutes les forces coalisées de contrainte et devient une forme de sa lutte de classe. »


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message