Ministres communistes à la Libération : Ambroise Croizat, Marcel Paul,

mardi 22 mars 2016.
 

1) Ambroise Croizat, le père de la sécurité sociale

Source : http://www.ledauphine.com

Né dans une cité industrielle savoyarde, Ambroise Croizat est devenu dès les années 1920, un militant de la cause sociale jusqu’à devenir ministre du Travail en 1945. En tant que tel, il laissa deux avancées historiques : la sécurité sociale et la retraite pour tous.

On lui doit de toucher une retraite en fin de carrière, sans plus jamais travailler, et une ligne de cotisation sur nos feuilles de paie, afin de ne pas se ruiner en dépenses de santé. Cela, depuis près de 60 ans. Mais qui se souvient, aujourd’hui, qu’Ambroise Croizat, Savoyard né sur les bords de l’Isère en 1901, dans une noire cité ouvrière, est l’artisan de ces grandes mesures sociales ?

Été 2009, Moûtiers. Julien, jeune bachelier, vient de passer trois années studieuses au lycée Ambroise-Croizat. "C’était un politique, je crois, de Paris... "Mais encore ? "Euh, il n’était pas de gauche ?". Tu chauffes, petit, mais il manque l’essentiel. Ne dit-on pas que nul n’est prophète en son pays ? !

Pourtant, Notre-Dame-de-Briançon et la cité des Maisonnettes ne sont qu’à quelques kilomètres. C’est là que Croizat fils poussa ses premiers cris. Là qu’il vit son ouvrier de père verser dans un syndicalisme actif. Et se faire renvoyer après les grandes grèves savoyardes de 1906.

La famille originaire de Chambéry poursuit alors son exode. Ugine, Lyon. À 13 ans, le jeune Ambroise bascule dans le monde du travail. Apprenti dans une tréfilerie (où l’on fabrique les fils métalliques), confronté aux cadences et au labeur de la tâche. Très vite, il suit la voie du père. Militantisme, socialisme puis communisme. Il a à peine vingt ans, mais de solides idéaux, et la volonté de faire avancer les droits des travailleurs.

Les portes s’ouvrent. En 1928, il est nommé secrétaire général de la Fédération des Métaux CGTU. C’est le départ pour Paris, où il est élu député du PCF en 1936. L’année de la victoire du Front populaire, c’est l’un des artisans des Accords Matignon et des conventions collectives. Fort d’un mandat du peuple, il poursuit son combat pour l’amélioration des conditions de travail et de vie. Sans oublier le terrain, les usines et ses racines savoyardes.

Arrivent la guerre et la prison. Dont trois années, terribles, au bagne d’Alger. À sa libération, en 1943, il rejoint, convictions intactes, le général de Gaulle en Afrique du Nord, et prépare à ses côtés les grandes réformes de l’après-guerre. En novembre 1945, il est nommé ministre du Travail, et peut concrétiser sa vision sociale, humaine et novatrice. Sécu et retraite : deux grands combats très actuels

En deux ans, tel un véritable bâtisseur, il crée la sécurité sociale, généralise la retraite. On lui doit aussi, entre autres, la loi sur les comités d’entreprise, la médecine du travail, la reconnaissance des maladies professionnelles. Il augmente les allocations familiales, dépose une loi pour l’égalité des salaires hommes-femmes...

"Croizat avait deux grands combats, une protection sociale et une retraite pour tous. Cela en fait un personnage très actuel", estime l’historien savoyard Michel Etiévent. Actuel certes, mais relativement méconnu, malgré les quelques centaines de rues, places, monuments qui portent, en France, le nom de cet homme modeste et discret. La faute peut-être à la maladie, qui l’emporte tôt, en février 1951. Un million de personnes défilent alors au Père-Lachaise.

Parmi eux, Fernand Crey, ouvrier chimiste de Notre-Dame-de-Briançon, venu avec une poignée de terre, ramassée devant son ancienne maison, où vit alors, ironie des destinées, un petit Michel, âgé de quatre ans... "Un grand portait avait été suspendu sur la façade. Des tas de gens défilaient devant", se souvient celui qui, il y a dix ans, fut le premier à consacrer une biographie (*) au personnage. Autre signe des liens étroits entre Croizat et sa terre natale.

Depuis 1971, une stèle, érigée dans sa commune, lutte contre l’oubli. 2001 a vu des cérémonies pour les 50 ans de sa mort et les 100 ans de sa naissance. Une rue a été inaugurée à Chambéry, le lycée de Moûtiers rebaptisé... Cet automne, Paris lui dédiera une place. Et l’année prochaine, Julien pourra (enfin ?) trouver le nom d’Ambroise Croizat dans les dictionnaires. On sera en 2010. L’année du déficit record de la sécurité sociale et du recul de l’âge de la retraite. Pas sûr que ça lui aurait plu. Enimie REUMAUX

Pour en savoir plus

(*) "Ambroise Croizat ou l’invention sociale" (1999), édition Gap.

28 JANVIER 1901 : Naissance dans la cité des Maisonnettes de ND-de-Briançon (Savoie).

1914 : Son père part sur le front. Ambroise travaille dans une tréfilerie de Lyon.

1926. Monte à Paris, au siège du Parti communiste français. Il milite depuis 1920.

Juin 1928 : Devient Secrétaire général de la Fédération des métaux CGTU.

1936 : Élu député communiste à Paris. Participe aux "Accords Matignon".

1939-1943 : Enfermé dans les geôles de Vichy et à Alger.

Novembre 1945-mai 1947 : Ministre du Travail dans quatre gouvernements.

5 octobre 1946 : Inauguration à Paris du 1er centre de sécurité sociale.

1947-1951 : Député et secrétaire général de la Fédération de la métallurgie.

11 février 1951 : Décès à Suresnes. Deux jours de funérailles, suivies à Paris par un million de personnes.

2) Ambroise Croizat Le bâtisseur de la Sécurité sociale

http://www.humanite.fr/2009-12-01_I...

La ville de Paris inaugure, ce 1er décembre une place à son nom. Ouvrier métallurgiste à treize ans, député communiste du Front populaire, Ambroise-Croizat participe à l’élaboration, dans la clandestinité, du programme du Conseil national de la Résistance qui aboutit, à la Libération, alors qu’il est ministre du Travail, 
à la création de la Sécurité sociale.

« Jamais nous ne tolérerons qu’un seul des avantages de la sécurité sociale soit mis en péril. Nous défendrons à en perdre la vie et avec la plus grande énergie cette loi humaine et de progrès. » Cette phrase, prononcée par Ambroise Croizat lors de son dernier discours à l’Assemblée nationale, le 24 octobre 1950, sera demain le fil rouge de l’inauguration de la place qui est lui est enfin dévolue au cœur de Paris (voir encadré). Un slogan brûlant d’actualité à l’heure du détricotage des acquis et qui sonne comme un hommage à un parcours qui a fait du « bâtisseur de la Sécurité sociale », l’un de ceux qui ont forgé la dignité de notre identité sociale. Il faut rappeler ce chemin entamé un 28 janvier 1901, dans l’éclat des fours de Savoie où son père, Antoine, est manœuvre. En cette aurore du siècle, dans la cité ouvrière de Notre-Dame-de-Briançon, on vit la misère qui court les pages de Germinal. Pas de Sécurité sociale, pas de retraite. L’espoir, c’est le père d’Ambroise qui l’incarne. Fondateur du syndicat CGT, il lance la première grève pour une protection sociale de dignité. Il l’obtient mais de vieilles revanches l’invitent à s’embaucher ailleurs. 1907. Ugine, autre grève, errance obligée vers Lyon. C’est là qu’Ambroise prend le relais du père. À treize ans, il est ajusteur. Derrière l’établi, les mots du père fécondent  : « Ne plie pas, petit. Le siècle s’ouvre… » Ambroise adhère à la CGT. À dix-sept ans, il anime les grèves de la métallurgie. Reste à faire le pas. Celui de Tours, où il entre au PCF. « On le voyait partout, dit un témoin, devant les usines, au cœur d’une assemblée paysanne. Proche du peuple d’où il venait. »

Antimilitarisme, anticolonialisme tissent les chemins du jeune communiste. 1927. Il est secrétaire de la fédération des métaux CGTU. « Militant ambulant », un baluchon de Vie ouvrière à vendre pour tout salaire. Commence un périple où il anime les révoltes de Marseille et du Nord, tandis que sur le terreau de la crise germe le fascisme. « S’unir, disait-il, pas unis, pas d’acquis  ! » Ces mots, il les laisse au cœur des luttes où se dessinent les espérances du Front populaire. En 1936, Ambroise est élu député du PCF dans le 14e arrondissement. Il impose la loi sur les conventions collectives. Présent à Matignon, il donne aux accords du même nom, la couleur des congés payés et de la semaine de quarante heures. Vient l’année noire, 1939. Arrêté le 7 octobre avec trente-cinq autres députés communistes, il est incarcéré à la Santé. Fers aux pieds, il traverse quatorze prisons avant de subir les horreurs du bagne d’Alger. Libéré en février 1943, il est nommé par la CGT clandestine à la commission consultative du gouvernement provisoire autour du général de Gaulle.

Là, mûrissent les rêves du Conseil national de la Résistance (CNR). La Sécurité sociale, bien sûr, dont le postulat colore le programme de mars 1944  : « Nous, combattants de l’ombre, exigeons la mise en place d’un plan complet de sécurité sociale vivant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail avec gestion par les intéressés et l’État. » À la tête d’une commission de résistants, Ambroise trace dès l’été 1943 les moutures de ce qui va devenir l’un des systèmes sociaux les plus enviés au monde. « Dans une France libérée, nous libérerons le peuple des angoisses du lendemain  ! » écrit-il le 14 janvier 1944. C’est cette réflexion collective, mûrie par François Billoux, ministre de la Santé, qui aboutit à l’ordonnance d’octobre 1945.

Le texte écrit reste à bâtir. Le chantier débute en novembre 1945, quand il est nommé au ministère du Travail. Cent trente-huit caisses sont édifiées en deux ans sous sa maîtrise d’œuvre par un peuple anonyme après le travail ou sur le temps des congés. P. Laroque, technicien chargé de la mise en place du régime, déclarait en 1947  : « En dix mois et malgré les oppositions, a été construite cette structure solidaire alors que les Anglais n’ont pu mettre en application le plan Beveridge, qui date de 1942, qu’en 1948. Il faut dire l’appui irremplaçable d’Ambroise Croizat. Son entière confiance manifestée aux hommes de terrain est à l’origine d’un succès aussi remarquable. » Rappelons combien le rapport de forces de l’époque permit la naissance de l’institution  : un PCF à 29 %  ; 5 millions d’adhérents à la CGT, qui a joué un rôle fondateur  ; une classe ouvrière grandie par l’héroïsme de sa résistance. Là ne s’arrête pas l’héritage. Ambroise laisse à l’agenda du siècle ses plus belles conquêtes  : la généralisation des retraites, des prestations familiales uniques au monde, les comités d’entreprise, la médecine du travail, les statuts des mineurs et des électriciens et gaziers (cosignés avec M. Paul), la prévention dans l’entreprise, la reconnaissance des maladies professionnelles… « Jamais nous ne tolérerons que soit rogné un seul des avantages de la Sécurité sociale… » Un cri répété demain, place Ambroise Croizat, pour que la Sécurité sociale ne soit pas une coquille vide livrée au privé mais demeure ce qu’Ambroise a toujours voulu qu’elle soit  : un vrai lieu de solidarité, un rempart contre le rejet et l’exclusion. Ambroise meurt en février 1951. Ils étaient un million à l’accompagner au Père-Lachaise. Le peuple de France, « celui à qui il avait donné le goût de la dignité », écrivait Jean-Pierre Chabrol.

Michel Etiévent

(*) Auteur d’Ambroise Croizat ou l’invention sociale et de Marcel Paul, Ambroise Croizat, chemins croisés d’innovation sociale. Disponibles auprès de l’auteur. 520, avenue des Thermes, 73600 Salins-les-Thermes. (25 euros l’un + 5 euros de port l’unité).

Inauguration de la place A.Croizat

La cérémonie d’inauguration, organisée par la mairie de Paris avec le soutien 
de la Fédération des travailleurs des métaux CGT, aura lieu à l’intersection 
de l’avenue Paul-Appell et des rues Georges-de-Porto-Riche et Adolphe-Monticelli, à 11 h. 15, mercredi 2 décembre (métro Porte-d’Orléans)

3) Marcel Paul, inventeur social

Source : http://www.humanite.fr

Par Michel Etiévent, écrivain (*).

« Outre leur grande capacité d’invention sociale, la force des ministres communistes de la Libération, comme Marcel Paul ou Ambroise Croizat, ce fut de savoir mettre l’homme et son devenir au centre de leur projet politique. En faire de vrais acteurs du futur… » La phrase de Suzanne Barrès-Paul, compagne et collaboratrice de Marcel Paul, qui vient de disparaître, nous est revenue récemment lors d’une émission de radio sur les acquis de la Libération, où, une fois de plus, le nom et l’action du ministre de la Production industrielle avaient été omis. Incursion dans le Larousse 2009. À la recherche de Marcel Paul, père d’EDF et du statut des électriciens et des gaziers, véritable éclaircie de dignité dans le siècle. Même absence qu’Ambroise Croizat. À l’intention des censeurs, une nouvelle petite biographie. Marcel Paul naît un peu comme Ambroise Croizat. Au tournant d’un siècle où la misère pousse à l’abandon des enfants. Parce qu’on le trouve sur un banc, Marcel, un 14 juillet 1900, sur la place Denfert, précisément. Recueilli par l’Assistance publique, il est placé dans la Sarthe comme petit commis de ferme. La Belle Époque, pour lui, c’est quinze heures par jour à trimer dans les étables. Il mange à la sauvette et reçoit plus de coups que d’éducation. Il se révolte souvent, surtout quand le maître cogne ou le traite de « Pitau, ces pupilles de va-nu-pieds, traîne-misère de l’Assistance ». Sur le rail, en face de la ferme, passent les convois des gueules cassées de la Grande Guerre. « C’est là, dira-t-il plus tard, en voyant ces jeunes à demi déchiquetés, que j’ai compris combien la guerre était une stupide et criminelle oeuvre de mort. » Alors il suit ceux qui luttent. Il adhère à la CGT, à la SFIO, manifeste dans les rues du Mans, encourage les premières grèves des cheminots. L’esprit de révolte et la défense farouche de la dignité le suivent à l’armée. Il suscite les premières mutineries de Brest, en 1919. Démobilisé, il entre à l’usine de Saint-Ouen, où il est le seul à faire grève. Licencié, la route des galères commence. Alors qu’il vit l’exclusion des militants du PCF auquel il vient d’adhérer, il s’occupe, dès 1923, de l’Avenir social, organisation de secours pour les militants ouvriers en difficulté. Membre de la commission exécutive de la fédération CGT des services publics et de l’éclairage, il prend la route des grèves. Alors que se lève le soleil du Front populaire, il est successivement élu à la tête de la fédération CGT de l’éclairage et au conseil municipal de Paris. Il laisse là une impressionnante série de réalisations sociales, crèches, secours d’urgence, hôpitaux pour les vieux. 1939. La nuit tombe sur Paris. C’est la « drôle de guerre », surtout contre les communistes, que l’on incarcère ou déporte. Marcel entre en clandestinité. On le retrouve dans les caches de Nantes et de Paris, où il organise la résistance bretonne et participe à la création de l’OS, matrice des futurs FTP. « Jamais un peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves ! » Ces mots, il les colportera jusqu’au 13 novembre 1941, quand le couperet nazi tombe sur lui. Commence alors l’univers carcéral des geôles de la Santé, aux côtés de Gabriel Péri, puis le bagne de Fontevrault, le camp de Compiègne et les « nuits et brouillards » d’Allemagne. Il ne sortira de la fange qu’un jour d’avril 1945, après l’insurrection du camp. Élu député communiste en octobre, il est nommé ministre de la Production industrielle, où il impose la nationalisation de l’énergie, avant de bâtir dans la foulée le statut des électriciens et des gaziers, « joyau » de la nationalisation. Viendra bientôt l’énorme travail au sein des activités sociales d’EDF. Omniprésence à la Fédération de l’énergie ou à la FNDIRP, lutte contre l’OAS et toutes les indignités, le chemin de courage continue jusqu’au 11 novembre 1982, où il passe le relais à ceux qui l’ont aimé. Trouvé un 14 juillet, jour de liberté, mort un 11 novembre, jour de paix, deux dates clés de notre histoire pour un enfant de la nation en quête de vie et de liberté.

(*) Auteur de Marcel Paul, Ambroise Croizat, chemins croisés d’innovation sociale (disponible 520, avenue des Thermes, 73600 Salins-les-Thermes. 25 euros + 5 euros de port).


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