Le libéralisme contre les droits des salariés en activité et au chômage. Trois enjeux autour de la Sécurité Sociale Professionnelle

mardi 8 mai 2007.
 

Une grande confusion règne dès qu’il s’agit de la Sécurité Sociale Professionnelle ou du Statut du Travail Salarié. Repris par le camp libéral qui y met l’opposé de ce que le monde salarié y engage, ce terme en même temps concentre les multiples contradictions auxquelles nous soumet l’offensive libérale. Il est urgent de clarifier quelques enjeux autour de cette question et de démontrer que les réponses libérales tournent le dos aux attentes populaires. Il est urgent d’élaborer ensemble une riposte intégrant aussi bien le droit à l’emploi que le droit au revenu. Nous rassemble dans ce débat une conviction : seul un plein emploi, ne laissant personne de côté et reconnaissant l’apport de tous dans la société, permettra de résoudre ce que le libéralisme voudrait nous présenter comme une contradiction, entre le droit à l’emploi et le droit au revenu. Ceci passe par la création au minimum de trois millions d’emplois. La campagne électorale s’est trouvée polarisée, portée par l’urgence sociale, par les questions sociales. Au centre de ces interventions et propositions, la question de l’insécurité sociale revient au premier plan. Le revenu et l’emploi sont les points d’entrée différents pour traiter une réalité commune, celle de la situation de millions de salariés confrontés à la perte de leur emploi et à l’impossibilité d’en trouver un autre dans l’immédiat. En face, comme un refrain, revient la question de la responsabilité du salarié.

L’objectif de ce texte est de confronter les attaques et remises en cause qui se profilent, dans les différents programmes exprimés (Sarkozy, MEDEF, Bayrou, Royal) avec les demandes sociales contre la précarisation des emplois et des revenus, telles qu’elles ressortent des mouvements sociaux et qu’elles se sont exprimées à travers le programme des collectifs antilibéraux. La difficulté de cette approche est le peu de consistance des propositions des candidats à l’élection présidentielle. Quelques phrases glanées au fil des émissions ou des discours, beaucoup de questions passées sous silence. Mais le peu qu’on en sait suffit pour réagir. Cette confrontation met en évidence la nécessité d’acquérir un rapport de force qui rendent crédibles et possibles les propositions portées par le mouvement antilibéral, dans toutes ses composantes, et qui représentent une nécessité pour la vie quotidienne de millions de salariés, en activité ou non. Car trois questions sont notamment posées aujourd’hui à travers la notion de Sécurité Sociale Professionnelle dans ses différentes formes : le refus des licenciements et le droit à l’emploi, le droit au revenu pour tous quelque soit le statut vis-à-vis du travail et la question centrale de la responsabilisation des employeurs. Droit à l’emploi versus liberté de licencier, droit au revenu versus obligation de travail ou de formation pour les chômeurs, responsabilité des employeurs versus responsabilité des salariés, ce sont trois enjeux de la campagne électorale que nous voulons ici clarifier.

Un pacte « royal » En s’annonçant comme « la présidente du travail pour tous », Ségolène Royal ne répond pas à l’exigence de créations d’emplois. Elle concentre son propos sur les chômeurs et personnes licenciées. Elle s’appuie sur la notion de « sécurité sociale professionnelle » déjà largement citée de tous bords. Elle répond à une angoisse des salariés face aux restructurations et précarisations en tous genres. Mais la proposition qui donne corps à cette idée d’une « sécurité sociale professionnelle » engage sa politique dans un axe particulier. La mesure principale consiste en effet à proposer à tout salarié ayant perdu son emploi « Un contrat de droits et devoirs » comportant « une rémunération, pendant un an, égale à 90 % du dernier salaire net ». Cette mesure s’inscrit dans une nouvelle conception de la sécurité sociale : « La sécurité sociale doit s’inscrire dans une démarche du « donnant-donnant ». Les droits nouveaux doivent être accompagnés de devoirs nouveaux. On passerait d’une logique « passive » dans laquelle on donne une allocation à une logique « active » pour définir un parcours d’évolution vers l’emploi. »

Les ‘devoirs’ des chômeurs sont au centre de cette nouvelle approche ; mais leur droit à l’emploi et au revenu ne sont pas cités. Le revenu garanti à 90 % pendant un an après une perte d’emploi ne concerne que les licenciements économiques soit le quart des licenciements, et laisse de côté les stratégies patronales quotidiennes de réduction d’emploi par le licenciement pour faute, voire pour inaptitude. Derrière ces termes, c’est une nouvelle offensive qui se profile contre les chômeurs soumis à une pression toujours plus grande pour obliger le chômeur à accepter n’importe quel emploi, à n’importe quel prix. Le Blairisme qui échange droits et devoirs pour les classes populaires, réserve en fait les droits aux classes possédantes et tous les devoirs aux autres.

Sarkozy : ‘fluidifier’ le marché Le projet libéral annoncé par N. Sarkozy a déjà été largement étudié par Copernic . Nous reprendrons juste ici les mesures les plus mises en avant dans les déclarations actuelles. L’axe principal de son programme repose sur le contrat unique : « Le coût des licenciements est excessif pour l’économie et n’est pas consacré au reclassement des salariés. La complexité du droit du licenciement a en effet multiplié les contentieux. Le coût des procédures juridiques pèsent sur les entreprises sans aider pour aider pour autant les salariés à trouver un autre emploi. Pour remédier à ces problèmes, le rapport Cahuc-Kramarz propose un contrat de travail nouveau et unique pour « sécuriser et homogénéiser les parcours professionnels en incitant les entreprises à tenir compte de la valeur sociale des emplois afin d’assurer un véritable droit au reclassement des salariés » . Les employeurs se dédouaneraient de toute obligation vis à vis du salarié par une prime de licenciement proportionnelle à la durée du contrat. Les entreprises n’ont plus d’obligation de reclassement en cas de licenciement économique, mais seraient exonérées de cette taxe en cas de plan de reclassement. Cette taxe pourrait même à terme remplacer les allocations chômage et prendre en charge la rémunération des chômeurs. C’est fondamentalement la simplification du licenciement qui est ici envisagée, l’employeur s’exonérant de toute justification par une taxe sur les licenciements. Il faut du culot à Sarkozy pour prétendre que le libre licenciement (appelé souplesse) aboutit à une « sécurité professionnelle » !

Cette mesure est complétée par une deuxième proposition : Nicolas Sarkozy souhaite "qu’on ne puisse pas refuser deux offres d’emplois successives qui correspondent à vos formations, parce que les indemnités sont payées par ceux qui travaillent" (TF1, 5 février). Ou bien : « Je veux que les bas salaires soient garantis en cas de perte d’emploi, en contrepartie de l’obligation de ne pas refuser plus de deux offres d’emplois successives » » . Le chômeur est désigné comme refusant le travail et préférant sa situation de chômeur. Autrement dit, le chômeur serait un fainéant ! Dans le suite logique de cette proposition, l’écart entre les revenus du travail et les revenus du chômage doivent être trop importants : « Je veux que le travail soit toujours mieux rémunéré que l’assistanat » .

Quant à Bayrou, qui navigue sur le flou de son programme, c’est le contrat unique, avec son lot de facilitation du licenciement, qui constitue sa proposition principale.

Ces approches se réfèrent toutes deux à une « sécurité sociale professionnelle ». Un point commun les relie : elles ne mettent pas au centre du débat la responsabilité des employeurs dans la situation de l’emploi, mais celle des salariés, actifs et chômeurs. La conséquence en est de proposer la flexibilité, la libéralisation du licenciement, l’obligation d’accepter un emploi proposé quelque soit le niveau de salaire. Le « plein emploi », pour ces approches, s’entend comme la régulation des passages entre emploi et chômage. Un second point commun est le refus de prendre en compte la situation des 6 millions de chômeurs et précaires. Les projets de créations d’emplois sont minimes, de même le droit au revenu est ignoré dans ces programmes électoraux. Fondamentalement, ces approches tournent le dos à trois grandes questions ouvertes par le débat autour de la notion de « statut du travail salarié », le refus des licenciements, le droit au revenu et la mise en avant de la responsabilité collective de l’employeur.

1/ Refuser les licenciements, pour le droit à l’emploi La relation salariale capitaliste repose sur l’autonomie de gestion de l’employeur : lui seul peut décider de la nature de la production, des moyens humains à mettre en œuvre, et au final de l’affectation des richesses produites qui lui appartiennent. Il gère le moyen de production comme sa propriété privée. Cette construction entraîne pour le libéralisme un objectif : lever tous les obstacles au licenciement, afin de rendre à l’entrepreneur la maîtrise complète de la chaîne de production. Refusant d’être une simple « variable d’ajustement », les salariés ont mis des obstacles à la simple faculté de licencier. Ces obstacles reposent sur un élément fondamental, l’obligation pour l’employeur de justifier un licenciement, quelqu’il soit. La procédure de licenciement économique repose sur le droit d’information des salariés, par le biais de leurs représentants aux comités d’entreprise, ainsi que le droit de contester ces justifications. Quand il s’agit d’un licenciement individuel, pour motif personnel (faute du salarié, incapacité) le salarié peut de même contester le motif du licenciement devant le tribunal des Prud’hommes et obtenir des compensations.

Mais ces dispositifs ont montré aujourd’hui leurs limites. Une grande partie des licenciements économiques sont déguisés en ruptures individuelles pour faute, au point que la DARES parle de « substitution » . Pour ces licenciements, seul un dédommagement du salarié, sans réintégration, peut être obtenu auprès des Prud’hommes. Les licenciements économiques individuels ne font pas l’objet de procédures. Les procédures collectives sont souvent mal connues, difficiles à utiliser, même si elles représentent un appui certain quand il s’agit de mobiliser les salariés et plus largement les populations dans un refus commun des licenciements. Devant le nombre de fermetures d’entreprises, de licenciements économiques, avec effets induits dans les filiales et sous-traitants, la contestation des licenciements doit s’appuyer sur des outils sociaux qui permettent d’avancer des objectifs concrets de lutte. C’est d’abord l’idée de l’interdiction des licenciements qui a été mise en avant, lancé par un comité d’initiative en 2001 autour de la lutte des salariés de LU-Danone et Mark et Spencer. A l’appel de cette coordination et des partis de gauche, la manifestation unitaire avait rassemblé des milliers de personnes. L’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits est devenue une revendication largement partagée .

C’est autour de cette revendication d’interdiction des licenciements que s’est peu à peu forgée l’idée de l’illégitimité de tout licenciement. Dès lors que l’on conteste le droit divin du patronat de gérer seul la main d’œuvre, l’ensemble du dispositif est remis en cause. C’est ainsi que la fatalité économique ne peut plus être acceptée de but en blanc. De même l’obligation de reclassement pour l’employeur est mise en avant. C’est dans cette continuité qu’une approche de la sécurité sociale professionnelle avance l’idée du maintien du contrat de travail du salarié après la disparition de son emploi. C’est à l’employeur qu’il revient d’assumer le licenciement, en gardant le lien du contrat de travail. Cette revendication offre des moyens supplémentaires aux salariés pour s’opposer aux licenciements dans les luttes concrètes dans les entreprises et les régions.

C’est aussi le refus des licenciements individuels qui doit être porté. Les licenciements pour motifs individuels représentent en effet 76 % des licenciements, mais ils dissimulent des licenciements économiques. Le licenciement pour inaptitude représente une part importante des licenciements pour motif individuel. Il doit être tout autant remis en cause. Le capitalisme consiste en un échange entre une force de travail et un salaire. La relation s’arrête dès l’instant où le salarié sort de l’entreprise et du temps de travail. La délimitation en espace et temps de la relation de travail est au fondement de la construction de la relation salariale . Cet échange excluait au départ toute considération sur le renouvellement de cette forme de travail (nourriture, transport, logement), mais aussi sur les conditions d’usure de cette force de travail (maladie, handicap, vieillesse), l’ensemble étant renvoyé à la sphère dite « privée ». Que le salarié habite un palace ou un taudis, qu’il ait une heure de transport ou dix minutes, il doit se présenter à son poste de travail frais et dispos le matin. Toute l’histoire du travail est l’intégration de ce renouvellement de la force de travail à l’intérieur de la relation salariale, par le biais notamment de la construction de l’Etat social. Le refus du licenciement pour inaptitude va de pair avec l’obligation pour l’employeur d’assumer l’usure au travail, et donc le reclassement nécessaire du salarié.

C’est un droit à l’emploi opposable, que l’on doit maintenant élaborer. Nul ne peut vivre dans une société sans la participation à l’œuvre collective, ce qui passe par le droit inaliénable à l’emploi.

2/ Reconnaître le chômeur comme un salarié à part entière, avec un droit au revenu Si les devoirs du chômeur sont cités par les programmes libéraux, leurs droits sont oubliés. Et c’est en premier lieu le droit au revenu qui est mis en avant par les associations de chômeurs . Les associations (AC !, MNCP, APEIS) promeuvent l’exigence d’un « statut de vie sociale et professionnelle » qui garantit à tous les chômeurs un revenu légitime, tout en s’inscrivant dans le droit à l’emploi. Les chômeurs sont confrontés en effet au principe de l’exclusion, qui fait passer un chômeur « en fin de droits » du régime des ASSEDIC au régime assistantiel des minima sociaux. La notion de « fin de droits » exprime bien l’absence de droits pour ce qui représente aujourd’hui la moitié des chômeurs. La revendication d’un régime unique correspond au refus de cette partition du monde et de ce régime d’assistance. Les dispositifs de statut du travail salarié, qu’ils impliquent continuité du contrat de travail après le licenciement, prise en charge et obligation de reclassement sur une filière ou un bassin d’emploi, ou bien responsabilisation des employeurs sur un groupe ou un réseau de production, laissent de côté les millions de chômeurs qui ne sont plus rattachés à la sphère de production. Par l’exigence de ce statut de salarié, c’est l’unification des salariés et chômeurs autour d’un objectif commun, le revenu associé à un emploi. En centrant l’effort de formation sur ceux qui viennent d’être licenciés, le programme du Parti Socialiste s’oppose à cette exigence des organisations de chômeurs.

L’exigence d’un droit au revenu est fondamentale. La Note COPERNIC « Pour un Grenelle de l’UNEDIC » proposait : « que le SMIC devienne le minimum de référence que l’on ait un emploi ou que l’on n’en ait pas » (p118). Il s’agit du droit fondamental à l’existence, ce droit ne peut être restreint par aucun « devoir » que les libéraux voudraient imposer .

Opposer à ce droit fondamental une obligation de formation renvoie les chômeurs à une insuffisance supposée. L’instauration d’une année de formation / reconversion en cas de licenciement, dans le programme de Ségolène Royal, est en effet la mesure principale du chapitre se donnant pour objectif : « Un travail pour tous ». L’association des deux termes emploi et formation engage d’entrée de jeu sur une idée pernicieuse : le chômage viendrait du manque de formation, il faut former les chômeurs pour résoudre le problème du chômage. De toutes façons, les chiffres d’emplois « non occupés » avancés par le MEDEF sont de l’ordre de 500 000 emplois, face aux deux millions de chômeurs officiels...

La nécessité pour un salarié perdant son emploi de se former pour en retrouver un autre exonère l’employeur précédent de son devoir de formation. Elle renvoie la responsabilité de retrouver un emploi au chômeur lui-même, qui doit donner de sa personne pour accepter de se former, voire de se reconvertir... Il devrait même avoir l’obligation d’accepter n’importe quelle formation (Learnfare). Le salarié devient responsable de son parcours, voire de son chômage.

Opposer de façon complémentaire à ce droit au revenu un devoir d’accepter un emploi, suivant la logique du workfare (pas plus d’un refus d’emploi, dit N. Sarkozy), institue une véritable machine de guerre au sein du salariat : le chômeur, obligé d’accepter des situations dégradées d’emploi, entre en concurrence avec les salariés. « Au début du 20ème siècle, le refus d’un emploi proposé par un bureau de placement, entraînait immédiatement l’arrêt de l’indemnisation (...) Le secours du chômage était donc conçu pour permettre éventuellement de refuser un emploi disponible » . S’appliquant dans un contexte de facilitation des licenciements, cette mesure amène très vite une dégradation des conditions de vie et de salaire. Les injonctions de rentabilité font déjà porter déjà aujourd’hui un poids insupportable sur les salariés, comme en témoignent les suicides chez Renault. L’association « Les autres chiffres du chômage » avance le chiffre de 10 millions de salariés en situation de sous-emploi ou emploi inadéquat. Loin d’homogénéiser les chômeurs et salariés autour d’un objectif commun, l’obligation d’accepter un emploi les met en concurrence. Un statut garanti pour les chômeurs diminue la pression sur le travail, il fournit surtout une capacité d’autonomie au salariat, lui permettant de faire un pas vers l’émancipation.

Les approches antilibérales du Statut du Travail Salarié mettent en avant un statut qui réunifie le salariat autour de droits identiques, qu’ils bénéficient ou non d’un emploi à ce moment. De même que la sécurité sociale avait représenté un puissant facteur d’unification et d’identité du salariat , de même la nécessité d’unifier le salariat, au delà de toutes les situations de division et d’inégalités face à l’emploi et au revenu, est centre de la revendication d’un statut commun. C’est en référence à ces principes fondateurs que la CGT Chômeur porte le projet de l’intégration de l’UNEDIC comme cinquième branche de la sécurité sociale, dans un système rénové et démocratisé. Au contraire, ceux qui usent de la notion de Sécurité sociale professionnelle en l’intégrant dans un projet libéral le font en s’opposant à ces aspirations d’unité et de solidarité.

3/ L’employeur est individuellement et collectivement responsable Les programmes libéraux et socio-libéraux mettent en avant la responsabilité du salarié et du chômeur vis à vis de sa situation. Toutes les constructions liées au ‘statut du travail salarié’, reposent au contraire sur la notion de responsabilité de l’employeur. C’est parce qu’il est responsable de sa gestion, qu’il ne peut en faire porter les effets sur le salarié en le licenciant. Cette responsabilité ne saurait s’arrêter au cadre étroit du seul contrat de travail.

L’entreprise est insérée dans un réseau de liens économiques qui peuvent être soit directs lorsqu’il s’agit d’une maison-mère vis-à-vis de ses filiales, soit relevant plus de relations économiques quand l’entreprise domine une filière ou quand elle est donneuse d’ordres. Les conséquences des décisions en matière de choix de production s’appliquent à ces salariés, sans que l’entreprise soit actuellement juridiquement tenue pour responsable des conséquences. Le ‘statut du travail salarié’, dans ses différentes approches, prône au contraire l’élargissement de la responsabilité de l‘employeur . Celui-ci est considéré dans le cadre de son rôle social, sans se limiter aux expressions juridiques des relations économiques. Dans ce sens, l’obligation de reclassement en cas de licenciement doit être élargie dans le cadre des nouveaux rapports économiques entre les entreprises, en réseaux, entre groupe et filiales, entre donneurs d’ordre et sous-traitance.

Plus encore, l’approche du statut du travail salarié renvoie au contraire à l’appréhension des rapports sociaux comme des rapports collectifs. C’est ainsi que si l’employeur responsable n’est plus en mesure de faire face à ses obligations de continuation du contrat de travail, diverses approches avancent l’idée de la prise en charge de cette obligation par un fond mutualisé payé par les cotisations sociales de l’employeur, au niveau d’un bassin d’emploi, d’une filière, d’une branche.

A cette constitution de l’employeur responsable collectif, doit correspondre la reconstruction et l’extension de solidarités ouvrières . Ce n’est en effet que par un rapport de force commun, que les employeurs accepteront de prendre en charge ces coûts induits qu’ils préfèrent ignorer. Le mouvement syndical a intégré ces dernières années les nouvelles configurations du rapport salarial. De nombreuses sections syndicales, de nombreux délégués interviennent pour les conditions de travail et de sécurité des salariés sous-traitants de leur site, des syndicats de site se forment. Cette réalité nouvelle est encore peu mise en valeur. Elle trouve un prolongement dans le Code du Travail qui peu à peu reconnaît les délégués de site, la faculté des délégués d’intervenir pour les conditions de travail des sous-traitants, voire la responsabilité directe de l’employeur chef de site quant au respect global de la sécurité.

Mais cette approche de la responsabilité des employeurs doit être prise dans ce qu’elle représente de rupture vis-à-vis de l’ancien système mis en place dans les années 1960. L’assurance Chômage repose sur une cotisation couvrant le risque du chômage. Les rémunérations touchées sont proportionnelles aux cotisations, en durée et montant. Les employeurs qui licencient ne sont pas soumis à une cotisation supplémentaire, hormis la cotisation Delalande concernant les seuls salariés de plus de 50 ans. C’est la mise en avant du principe du « pollueur payeur » qui est mise en avant ici , avec l’idée de la modulation des cotisations proportionnelle aux licenciements. Les principes de la sécurité sociale associaient couverture collective et socialisée du risque chômage. Il s’agit ici d’un changement de paradigme, la responsabilité remplaçant la solidarité. Par la responsabilisation de l’employeur, risque de survenir une vision inégalitaire des situations des privés d’emploi, suivant qu’ils sont licenciés d’une grande entreprise ou d’une petite, d’une entreprise insérée dans un réseau économique identifié, d’une filière importante ou d’un bassin d’emploi porteur. De plus, n’est-ce pas suivant le même processus de répartition de la responsabilité, que les projets libéraux attribuent une certaine responsabilité de leur situation aux chômeurs et précaires ?

Cette construction ‘par en bas’ de la sécurité sociale professionnelle, à partir de nouvelles solidarités,

Conclusion Dans leur programme qui constitue le socle largement partagé du mouvement antilibéral, les collectifs unitaires avancent cette nécessité : « Le droit à l’emploi, souvent proclamé, doit être effectif. Il faut aller vers l’éradication du chômage, ce qui suppose une réorientation significative des ressources disponibles vers le développement des activités utiles créatrices d’emploi (voir “ Un nouveau type de développement ”) ainsi que l’instauration d’un système de sécurisation des parcours de vie incluant un nouveau statut du salariat. La formation doit devenir un droit pour tous tout au long de la vie, dans l’emploi sur le temps de travail et en dehors des périodes d’emploi. La réduction du temps de travail et l’augmentation des revenus et salaires participeront à la nécessaire relance des activités, tandis qu’une stricte réglementation des licenciements commencera immédiatement à réduire le champ de la précarité. La lutte pour l’emploi s’appuiera aussi sur une bataille de réorientation des politiques européennes (voir “Une autre Europe”). » Ils proposent l’instauration d’un « nouveau statut du salariat assurant au salarié la continuité de son contrat de travail, garantissant son salaire et les droits associés (protection sociale, retraite, formation ...). Ce système fonctionnera sur le principe de la mobilité choisie par le salarié. Il sera assuré par un financement mutualisé à la charge des employeurs et géré sous contrôle des partenaires sociaux en intégrant les associations de chômeurs. La loi sur le nouveau statut du salariat sera immédiatement mise en chantier. Les primo-demandeurs d’emploi bénéficieront d’un statut semblable leur garantissant notamment, outre la perception du RMI revalorisé, les droits à la formation, à la protection sociale et à la retraite. »

Emancipation à travers la participation à un travail collectif et reconnu, ou bien émancipation par la garantie d’un revenu détaché des situations de travail et de la subordination qui leur est attachée, ces deux dimensions sont portées par des multiples secteurs des mouvements sociaux et donnent chacune sens au combat quotidien. Elles s’orientent vers la construction d’une « sécurité économique et sociale », mais toute construction doit s’adresser à tous, et tenir les deux bouts du droit au revenu et du droit à l’emploi. Ces élaborations demandent à être renforcées et confrontées aux mouvements sociaux à venir. Elles reposent sur l’idée d’un collectif de salariés en marche, qui cherche les moyens de son émancipation face à un libéralisme conquérant. L’unité de ce collectif, sa solidarité, son projet collectif antilibéral à construire sont ses meilleures armes.

avril 2007 - par Louis Marie Barnier


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