Anastasio Somoza : la fin d’un salaud, fils d’un salaud (17 septembre 1980)

jeudi 17 septembre 2009.
 

Il y a trente ans, le 19 juillet 1979, les « muchachos » du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) libéraient Managua, la capitale du Nicaragua. Un pays ? Plutôt un ranch privé tenu par la famille Somoza, une dictature bestiale en place depuis 1933.

Coïncidences ? Anastasio Somoza Debayle dit « Tachito » est mort comme son père « Tacho ». Les deux ont été exécutés comme il est courant d’éliminer des chefs de bandes : le premier, en septembre 1980, le corps criblé de balles au coin d’une rue d’Asuncion où il avait trouvé refuge chez le dictateur paraguayen Alfredo Stroessner ; le second, fondateur de la « dynastie », abattu dans la ville de Leon - toujours un mois de septembre, mais en 1956 – par un jeune poète Rigoberto Lopez Perez.

La famille Somoza était à la solde des gouvernements nord-américains depuis plus d’un quart de siècle. Cynique, le président US Franklin D. Roosevelt déclara le jour de l’intronisation de Somoza père à la présidence de la République nicaraguayenne : « Somoza est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute. »

Le 1er janvier 1933, Washington annonçait le retrait des marines US du Nicaragua où, depuis plus de cinq ans, ils tentaient de mater une insurrection populaire. Composée de mineurs, de dockers, de paysans, d’ouvriers des bananeraies, la « petite armée folle » en lutte pour « l’indépendance et la dignité » était dirigée par Augusto Cesar Sandino. Le « général des hommes libres », comme l’avait surnommé Henri Barbusse.

En mars 1932, le nouveau président Franklin D. Roosevelt qui représentait – déjà - l’espoir des Etats-Unis empêtrés dans une crise - déjà - sans précédent avait promis un « bon voisinage » à l’Amérique latine. Sandino et ses hommes déposèrent leurs armes après le départ des occupants. Ils croyaient en la loyauté de Washington comme aujourd’hui on aimerait croire en celle de Barak Obama sur d’autres points chauds dans le monde. Sandino était tombé dans un piège.

Un plan machiavélique avait été concocté avec comme grand ordonnateur l’ambassadeur des Etats-Unis à Managua, Arthur Bliss Lane, comme bras armé la Garde « nationale » nicaraguayenne formée, équipée et encadrée par des militaires US et comme capo-exécuteur Anastasio Somoza Garcia dit « Tacho ». Objectif : terminer le « travail » en éliminant toute opposition. Le 21 février 1934, dans une embuscade tendue par la Garde « nationale », Sandino et plusieurs de ses compagnons étaient assassinés. Puis vint le temps du massacre systématique des anciens soldats de la petite « armée folle » abattus avec femmes et enfants. « Tuez-les tous » avait hurlé Somoza père avant de lancer les tortionnaires. Un flot de sang coula dans l’indifférence générale.

Somoza père, un vrai « fils de pute », régna vingt ans. Un tueur. Un prédateur. A sa mort, son fils aîné Luis lui succéda et s’employa, de 1957 à 1963, à poursuivre « l’œuvre » de son père avant de mourir officiellement d’une crise cardiaque. Plusieurs sources affirmaient à l’époque que la mort de Luis avait été provoquée par des drogues habilement dispensées par son propre entourage familial.

Après l’intermède gouvernemental de René Schick (1963-1967), un homme de paille du clan, Anastasio Somoza Debayle devenait président de la République. D’entrée, il s’octroyait un tiers des terres cultivables ainsi que le contrôle des principales industries du pays. « Même si j’abandonnais mon titre et mes liens politiques, je serais encore l’homme le plus riche de ce pays », déclarait-il en octobre 1973. C’était un an après le tremblement de terre qui fit dix mille morts et trois cent mille sans-abri à Managua et dans la région. Somoza se chargea personnellement de la gestion de l’aide internationale. A son profit. L’ONU, les Etats-Unis, les pays donateurs ont gardé silence sur le pillage de la solidarité venue du monde entier. Somoza pouvait compter sur ses amis politiques nord-américains aux affaires, ses complices des banques US et européennes. La plupart fonctionnaient à la commission dite des « 10% ».

Comment expliquer que ce gangster se soit maintenu au pouvoir aussi longtemps ? La répression féroce menée par la Garde « nationale » a fait des dizaines de milliers de victimes. Toute opposition était étranglée. On ne comptait plus les expéditions punitives, les assassinats, les centres de torture et les cimetières clandestins. Diplômé de West Point, Somoza entretenait d’excellentes relations, « familiales » soulignait-il, avec les militaires US et des responsables politiques de haut rang comme Nixon, Kissinger, Reagan et quelques autres.

Tacho, le père, avait exploité la guerre froide pour maintenir des relations privilégiées avec Washington en se présentant comme un champion de la « lutte contre le communisme ». Il excellait dans les missions « sales » visant les militants progressistes latino-américains. Tachito, le fils, utilisa la « lutte contre le castrisme », en fait contre la révolution socialiste cubaine. Les bases militaires de la dictature furent ouvertes aux préparatifs des expéditions terroristes contre Cuba. Des documents secrets nord-américains récemment publiés indiquent que plusieurs tentatives d’assassinat visant Fidel Castro furent mises au point dans la résidence personnelle de Somoza lors de soirées où se retrouvaient le gratin de la CIA et des mafieux liés aux officines spécialisées dans les coups tordus agissant, bien entendu, au nom de la « défense de la liberté et de la démocratie ».

Pour Tachito, les ennuis commencèrent sérieusement en 1974. Le 27 décembre de cette année là, un commando du Front Sandiniste de libération nationale (FSLN, né en 1961) effectua un raid spectaculaire au domicile d’un ancien ministre qui donnait une réception en l’honneur de l’ambassadeur des Etats-Unis. Premier coup de gong d’une longue et sanglante épreuve de force entre Somoza, soutenu par sa garde prétorienne et les Etats-Unis et le Front sandiniste de libération dont la stratégie tendait à créer les conditions d’une insurrection populaire généralisée.

Deux erreurs principales précipitèrent la chute de cet homme arrogant, sans scrupules, avide de richesses, mais qui ne manquait pas d’intelligence politique. En perdant tout sens de la mesure, il déclencha l’hostilité d’une bourgeoisie nicaraguayenne mécontente de la trop modeste « part du gâteau » qui lui était réservée ; en faisant tuer, en janvier 1978, le leader conservateur Pedro Joaquin Chamorro, directeur du journal « la Prensa », il donna le signal de la lutte de tout un peuple, toutes classes confondues, contre la dictature.

La guérilla menée par le FSLN a duré dix-huit ans. Elle fut marquée par des coups de main audacieux et une répression bestiale. Elle devint une lutte nationale contre la dictature en 1977 après l’assassinat de Pedro Joaquin Chamorro. Grèves et attaques de garnisons se succédèrent. En septembre, le FSLN appela à l’insurrection générale. L’aviation somoziste acheva de ruiner Managua. En mars 1979, les trois tendances du FSLN unifièrent leurs efforts. En juin, le nouvel appel à la grève et à l’insurrection rencontra l’adhésion générale. Le 19 juillet, les combattants avec Daniel Ortega à leur tête entraient dans la capitale. La guerre avait fait 30.000 morts, plusieurs dizaines de milliers de blessés sur une population de 2.500.000 habitants.

Jusqu’au dernier moment, Anastasio Somoza Debayle a cru pouvoir s’en sortir. Depuis son bunker situé sur la Loma, la colline qui domine Managua, il espérait un soutien militaire de ses amis nord-américains. « Ils ne vont pas me laisser tomber, j’en sais trop », confiait-il à ses proches. Washington n’a pas répondu aux appels du fils de son « fils de pute ». Tachito a dû fuir. Les poches pleines. Quant au gros de ses « biens », il avait été prudemment mis à l’abri dans des banques suisses, américaines et dans des sociétés cotées à Wall Street. Une fortune estimée à 1 milliard de dollars.

Toutes les portes se fermaient devant Anastasio Somoza. Même celles de Miami pourtant refuge doré des dictateurs latino-américains en retraite forcée. Il restait un seul individu prêt à l’accueillir : le général Alfredo Stroessner, maître du Paraguay depuis un quart de siècle, un tueur patenté. Entre ces gens là, la solidarité existe aussi surtout lorsque l’invité traîne des valises pleines de dollars. Somoza avait acheté 8000 hectares de terres paraguayennes et s’était installé dans une villa des faubourgs d’Asuncion sous la protection d’une milice privée et de la police secrète locale. Au cours d’une soirée, il avait affirmé à ses visiteurs, selon sa maitresse du moment : « Je sais que certains veulent ma peau. Ici, je suis en sécurité. » Il restait à Tachito un peu plus d’un an à vivre.

La Mercedes de "Tachito" après l’intervention d’un commando Les tyrans ne doivent pas toujours mourir dans leur lit se disaient les membres du commando en arrivant dans la capitale paraguayenne par des voies terrestres et aériennes. Mission : abattre Somoza. L’opération avait été soigneusement planifiée : acheminement des armes, location d’appartements, achats de véhicules, et même l’acquisition d’un kiosque à journaux à proximité de la villa de Somoza. Pendant plusieurs semaines, les habitudes de « Tachito » et de sa garde rapprochée ont été observées. A quelle heure sortait-il ? Quelle voiture empruntait-il ? Combien de véhicules de protection ? Le 17 septembre 1980 en fin de matinée, le commando passait à l’attaque.

Anastasio Somoza Debayle s’effondrait sous les balles. Même sa maitresse ne l’a pas regretté.

José Fort


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