Les 7 commandements des patrons voyous (blog des salariés de Molex)

dimanche 16 août 2009.
 

Patrons voyous . Depuis des mois, la direction américaine de l’équipementier automobile veut fermer son implantation industrielle à Villemur-sur-Tarn. Avec elle, tous les moyens sont bons.

Dura lex sed lex. On connaît cette sagesse proverbiale : la loi est dure, mais c’est la loi. Chez l’équipementier américain qui veut liquider son site de production de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne), la loi peut bien être dure, mais elle sera toujours Molex ! En effet, avec une remarquable constance depuis l’automne dernier, le sous-traitant automobile se plaît à contourner absolument les règles et les obligations de la législation. Hier encore, après que sa demande de validation du lock-out organisé depuis le milieu de la semaine dernière a été rejetée par le juge des référés, la direction de Molex a continué allégrement d’interdire l’accès des salariés à leur usine. Et en quelques mois, jusque-là inconnus au bataillon des patrons voyous, ces véritables combattants de la casse sociale ont réussi à se faire un nom et à se hisser au palmarès de meilleurs licencieurs de France. Voici leurs 7 commandements.

1. tu profiteras de la crise mondiale

Annoncée brutalement le 23 octobre au prétexte de la crise financière, la fermeture de l’usine Molex était préparée de longue date par la direction. La production allait être délocalisée à Kosice en Slovaquie. L’information est publique, elle sera donnée aux actionnaires et disponible sur Internet : la direction générale de l’équipementier automobile avait budgété la suppression de son site de production de Villemur-sur-Tarn dès le mois d’août 2008. Interrogé sur RMC, le 23 avril, Marcus Kerriou, cogérant de Molex en France, avoue benoîtement : « Le projet de fermeture a été pris certainement des mois avant l’annonce de fin d’octobre. » Dans la mesure où le comité d’entreprise n’a pas été informé en temps et en heure, le délit d’entrave constitué sera établi en justice.

2. tu joueras la comédie du dialogue social

C’est une très sale habitude : depuis plus de neuf mois, la direction de Molex prend un malin plaisir à balader ses 282 salariés. Pendant des mois, les patrons américains ont refusé de donner les documents nécessaires au cabinet Syndex, chargé par le comité d’entreprise de réaliser la contre-expertise sur la justification économique du plan de fermeture. Le 19 mai, le tribunal a ordonné à la direction de Molex de « suspendre la mise en oeuvre du projet de restructurations et de licenciements », la société n’ayant pas fourni au comité d’entreprise « des informations loyales et complètes ». Mais depuis lors la situation ne s’arrange pas et, à chaque réunion du comité d’entreprise, c’est le même manège : la direction de Molex fait semblant de donner aux représentants du personnel les « informations complémentaires » qu’ils sont en droit d’attendre. Début juillet, par exemple, au cours d’une conférence téléphonique de plus de trois heures avec les responsables internationaux du groupe, les syndicalistes ressortent complètement dépités. « C’est la poursuite du même plan, peste Denis Parise, secrétaire CGT du CE. On nous a noyés de chiffres, trois heures de réunion pour expliquer deux tableaux ! » En clair, et ça sera l’un des moteurs de la grève relancée par les salariés pendant le mois de juillet, la direction s’attache à occuper le CE pendant des jours et des jours dans des réunions entièrement stériles sans répondre à aucune des questions précises posées par les salariés. Pour la direction, cette comédie ne sert qu’à faire avaler aux pouvoirs publics et à la justice qu’elle aurait rempli ses obligations en matière d’information consultation.

3. tu protègeras la production en loucedé

En avril, la direction a admis que Molex avait bien mis en place, et en douce depuis plusieurs mois, un double système de production prévu pour des usines aux États-Unis et ailleurs en clonant les moules et les outils de travail utilisés à Villemur. Elle devait également confirmer la constitution, sur un site néerlandais, d’un stock de pièces fabriquées à Villemur-sur-Tarn pour répondre aux demandes des constructeurs automobiles. Ces derniers, comme le groupe PSA, étaient parfaitement au courant des intentions du groupe Molex. Les syndicats ont découvert ces collusions en mettant la main sur une note interne qui prouve combien le constructeur automobile suit de près l’évolution des stocks de pièces et prévient du déclenchement imminent du « plan de sécurisation » de Molex. Dans un e-mail découvert par les salariés, des cadres du constructeur automobile français expliquent platement la manoeuvre. « Cela fait trois ans que la direction prépare la fermeture et le clonage de la production, raconte José, employé depuis trente ans chez Molex, dans l’Humanité du 29 juin. À partir de 2006, huit cadres ont photographié nos outils et recensé nos méthodes de travail. Depuis que nous avons découvert le pot-aux-roses, ces cadres n’ont pas remis les pieds à l’usine. Cela vaut probablement mieux pour eux. » Ainsi, alors que la fermeture n’est programmée qu’en octobre, une usine américaine à Lincoln (Nebraska) produit déjà les mêmes pièces que l’usine de Villemur-sur-Tarn.

4. tu déclareras ta flamme aux salariés… Pour de rire !

À la mi-juillet, la direction a eu le très bon goût d’utiliser une enveloppe avec un beau timbre rose en forme de coeur pour livrer à domicile à chacun de ses salariés les dernières nouvelles du désastre qu’elle organise. « Ils nous plantent un couteau dans le dos et ils nous l’envoient avec amour, observe Guy Pavan. Ils ne manquent pas d’air, c’est de la provocation ! »

5. tu décourageras toute vélléité de reprise

Fin juillet, Christian Estrosi a promis de faire un exemple de son efficacité au ministère de l’Industrie. Il y a un ou deux repreneurs en lice, se gargarisait-il en substance. Patatras ! Quelques jours plus tard, la direction de Molex tente de tuer dans l’oeuf toute perspective de reprise. Admirez la rhétorique : « Des rumeurs font état d’offres de reprise du site de Villemur-Sur-Tarn, pointe les dirigeants de Molex. Si des discussions ont effectivement eu lieu avec un tiers pour évoquer d’éventuels projets de réindustrialisation du site, il ne s’agissait aucunement d’un projet de reprise du site. Les discussions se sont soldées par le constat fait en commun de l’impossibilité de mettre en oeuvre un projet économique viable et durable, compatible avec les stratégies industrielles des deux groupes. » Et Marcus Kerriou d’ajouter, non sans perversité : « Cette précision nous a paru indispensable. Il ne faut pas créer de faux espoirs pour les salariés de Villemur. Les discussions qui viennent de se terminer ont démontré que le site n’était pas, en tant que tel, viable sur le plan économique. » En vérité, ce n’est évidemment pas par grandeur d’âme que Molex refuse à tout prix de céder son site de production ; pour ses dirigeants, il n’est absolument pas question de laisser un concurrent potentiel relancer une activité qui pourrait devenir à la fois concurrentielle et rentable.

6. tu compareras ton sort à celui d’Ingrid Betancourt

Retenu pendant vingt-quatre heures, en avril, par les salariés qui venaient de découvrir l’existence du plan de clonage de leurs pièces (voir plus haut), Marcus Kerriou, le cogérant de Molex, est sorti très marqué de cette « expérience extrême ». Physiquement, il s’est vite remis, mais, mentalement, on peut redouter de graves séquelles quand on l’entend comparer son sort à celui des otages des pirates en Somalie ou à celui d’Ingrid Betancourt. « Nous étions dans le flou le plus total, sans savoir combien de temps ça allait durer. Vous êtes privé de liberté et d’intimité, et vous vous sentez de plus en plus sale », gémit-il en qualifiant d’« infect » le matelas que les salariés lui avaient offert pour se reposer. « Les Américains, abasourdis, voulaient envoyer un commando d’exfiltration ; moi, je souhaitais privilégier la médiation », pérore-t-il encore, n’écoutant que son courage.

7. si on te touche un cheveu, tu feras comme si on t’avait arraché la tête

Mardi dernier, Éric Doesburg, un dirigeant américain de Molex, a reçu quelques oeufs sur la tête, à la sortie de l’usine. Immédiatement, la direction a publié un long communiqué dénonçant une « attaque violente », avec un « groupe d’environ 40 personnes » contre un patron encadré par deux gorilles. « Nous sommes indignés par le comportement tant des individus impliqués dans les actions violentes que par l’absence de réaction de la police que nous avions appelée à l’aide », s’étrangle cette victime de premier plan de la violence sociale. Guy Pavan, délégué CGT dans l’entreprise, relativise l’ampleur de ces événements : « Il n’y a pas eu de coups, que des oeufs jetés. Les responsables syndicaux se sont interposés entre les membres de la direction et certains salariés qui ne maîtrisaient plus leur colère. » Incroyable manoeuvre encore : aujourd’hui, la direction refuse encore de rouvrir les portes de l’usine à ses salariés afin de protéger la « sécurité des biens et des personnes ».

Thomas Lemahieu

Source : L’Humanité


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