Thierry Jonquet, mort d’un militant et très grand romancier engagé

mardi 13 octobre 2009.
 

Souvent, un auteur de polar est un vrai dur à cuire. Ce n’est qu’après un combat de deux semaines avec la mort que Thierry Jonquet s’en est allé. Victime d’un crise d’épilepsie mardi 28 juillet, Thierry « Moloch » Jonquet avait été admis à la Pitié Salpetrière.

Depuis deux semaines, son cerveau était privé d’oxygène. Ce dimanche soir, Thierry Jonquet s’est éteint.

Quinze mois après Frédéric Fajardie, un autre très grand nom du polar français disparaît donc. Un autre grand nom de cette fameuse génération « néo-polar ». J’avais pour ma part connu l’auteur de par ma profession et la sienne, mais je l’avais auparavant croisé dans des circuits exclusivement militants : Jonquet, comme de nombreux « néo-polardeux » avait beaucoup accompagné le réseau anti-fasciste Ras l’Front, où j’étais alors.

Des débuts militants, médicaux et sociaux

Car la carrière de Jonquet, fils d’ouvriers, est d’abord militante. En 1968, il milite du côté trotskiste. En 1970, il s’inscrit à Lutte ouvrière, sous le pseudonyme de Daumier, célèbre caricaturiste du XIXe siècle. Ce sera ensuite la Ligue communiste révolutionnaire en 1972. Il racontera cette expérience dans le récit « Rouge, c’est la vie » (1998).

En 1982, dans la si scintillante collection « Sanguine », ce vivier du néo-polar français que tient alors Patrick Mosconi chez Albin Michel, sort un brûlot signé Ramon Mercader : « Du passé faisons table rase ». Aujourd’hui disponible en Folio, ce livre est le tout premier pavé de Jonquet, qui fut d’abord communiste et qui en jettera d’autres.

Il a pris le nom du meurtrier de Trotski pour se payer le PCF d’alors, et surtout Georges Marchais et ses zones d’ombre…

Né en 1954, Jonquet a étudié la philosophie, puis l’ergothérapie. Il sera ensuite marchand de lessive, peintre de bandes sur les routes et livreur de chapeaux de mariée. Puis ergothérapeute dans un centre de gériatrie à Draveil, en région parisienne.

C’est là que, au contact de la vieillesse, des vies saccagées et de la mort, il commence à écrire. « Le bal des débris », tiré de cette expérience, paraîtra en 1984. Après un court passage en psychiatrie en tant que soignant, Thierry Jonquet aboutit à l’hôpital de Saint-Maurice, où l’on rééduque notamment les bébés amputés congénitaux.

Lessivé, Thierry Jonquet cherche alors à devenir enseignant. Il sera affecté à un centre de neuropsychiatrie infantile. Puis direction la banlieue nord parisienne, où il a en charge une classe de section d’éducation spécialisée. Il donna des cours de français dans le cadre d’éducation surveillée de jeunes délinquants.

Un des meilleurs mixeurs de sa génération

Tous ces métiers l’ont mis en contact avec des destins cassés, des vies lessivées. Lorsqu’il découvre assez tardivement les romans noirs, la Série noire, il peut faire le lien entre la violence du réel et la violence littéraire.

Il entre dans la prestigieuse collection avec « Mygale » (1984) qui, comme le roman précédent (« Mémoire en cage ») porte sur l’enfermement, les médecins, la vengeance, avec en plus le thème de la transformation physique forcée et de la transexualité.

Pas étonnant que Pedro Almodovar ait acheté les droits il y a quelques années (on attend toujours…). « La Bête et la belle » (1985) aura les honneurs d’être le n°2000 de la Série Noire. On y trouve ce qui fait la force de Jonquet : un regard social dénué de tout angélisme, savamment mixé à une dimension fantastique nette et à un grand humour. Noir.

Durant toute la suite de sa carrière littéraire, cette réussite dans les mixes sera sa marque, et sa façon à lui de ne pas faire que du roman noir, tout en en faisant.

Polémiques et faits divers

« La Vie de ma mère ! » (1994) traduit l’inquiétude de Thierry Jonquet face à la montée de l’insécurité dans les banlieues et les quartiers dits populaires. Le livre, qui existe aussi en BD, est dénué de toute idéologie, et Jonquet s’y paye autant le pouvoir que la jeunesse. Jonquet était un des premiers, dans la veine de la littérature politique, à refuser d’adopter un discours de gauche angélique.

« Moloch » (1998) est peut-être le roman le plus fort de Jonquet. C’est la suite des « Orpailleurs » (1993). L’auteur y revient sur ce qui a décidé de son engagement militant : le nazisme.

Jonquet se retrouva au cœur d’une polémique car, pour ce roman, il s’était fortement inspiré de trois faits divers tournant autour de l’enfance, du viol, de la prostitution, de la persécution, de la souffrance et du syndrome de Münchhausen.

Les similitudes de certains faits avec l’affaire Kazkaz (quand, en 1990, une mère est accusée d’avoir empoisonné sa fille) l’amèneront devant les tribunaux pour violation du secret d’instruction. Le livre étant paru avant le rendu du jugement.

Cette façon de s’inspirer d’un fait divers, d’une actualité politique, de la lier avec l’Histoire ou avec le contexte politique, d’y ajouter du suspense, c’est ce que fera Jonquet dans ce qui restera son dernier roman : « Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte » (2006), qui n’était pas sans rappeler le meurtre d’Ilan Halimi…

Entre temps, Jonquet sera revenu sur le terrain du troisième âge avec « Mon vieux » (2005) et sur le statut du corps dans nos société avec le superbe « Ad vitam aeternam » (2002).

Activités parallèles

Jonquet avait deux pseudonymes en plus de son nom. Ramon Mercader (trois romans) et Martin Eden (deux novelisations de la série « David Lansky », cette série eighties où jouait… Johnny Halliday).

Pour l’histoire, la série télé « Boulevard du Palais » est une adaptation palote des « Orpailleurs ». Pour l’Histoire, Thierry Jonquet est un très grand du roman noir.

ARTUS Hubert


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