Santé, l’âpre bataille d’Obama

samedi 8 août 2009.
 

États-Unis. La réforme promise pendant la campagne électorale est cruciale. Mais elle connaît des ratés. Les adversaires du président le menacent d’un Waterloo tandis que les partisans d’un système universel manifestent.

Obama est menacé d’un Waterloo. Si son projet de réforme de la couverture médicale ne passe pas au Parlement, « cela va le briser ». C’est Jim De Mint, sénateur républicain de Caroline du Sud, qui a lancé l’anathème. Triomphant, il ajoute : les républicains pourront remporter les élections partielles de l’année prochaine et reprendre la majorité au Sénat.

Pour quelques points en moins dans les sondages, six mois après l’entrée à la Maison-Blanche, Obama serait donc à la veille d’une déroute sur un terrain dont il avait fait la priorité de ses priorités durant sa campagne électorale. La réforme d’un système de santé aberrant qui laisse 47 millions d’Américains (chiffre cité par le président) sans les moyens de se soigner, faute de pouvoir payer un contrat d’assurance. Une promesse approuvée massivement dans les sondages (72 % en mai) pourrait-elle échouer dans la tempête déchaînée par les maîtres du système ? Certes, six mois après l’arrivée à la Maison-Blanche, le temps de la lune de miel est passé, mais avant Obama aucun président n’a jamais eu une majorité aussi étendue.

Or, cinq millions de personnes, selon l’Institut Gallup, ont perdu leur assurance depuis septembre. Soit parce qu’elles ne peuvent plus payer les primes qui augmentent plus vite que l’inflation et les salaires, soit parce qu’elles ont été licenciées, soit parce qu’elles sont victimes de la baisse de la valeur de leur maison, valeur repère qui servait à la banque pour fixer leurs emprunts, soit parce que leurs cartes de crédit ont épuisé les possibilités de se procurer des fonds (ce pourrait être la prochaine bulle après les subprimes)… Assurance maladie et retraites figurent dans le contrat des entreprises, salariés et patrons payant chacun, en principe, une part de l’assurance. Mais depuis l’ère Bush, la part patronale est en forte diminution, quand elle n’a pas été supprimée au nom de la compétitivité. À la fin de l’année, on pourrait compter 50 millions d’exclus. Une seule possibilité : les coûteuses assurances privées

Plus de trois millions d’enfants sous-alimentés

Résultat, les inscriptions aux services d’aide aux plus pauvres ont augmenté cette année de 23 %, selon le Wall Street Journal. La demande de bons alimentaires, les foods stamps nés de la grande dépression, pour ceux qui n’ont plus de quoi se nourrir a augmenté de 19 %, toujours en un an. Derrière ces chiffres, le drame de familles entières, de 3,5 millions d’enfants de moins de 5 ans sous-alimentés (soit plus de 17 %). Ce sont des millions d’Américains qui tombent au-dessous du seuil de pauvreté fédéral, 21 910 dollars par an (15 700 euros) pour quatre personnes. Pour que les enfants puissent être épargnés, Barack Obama a fait voter une loi qui prend en charge gratuitement les plus démunis. Hors statistiques officielles, il y a ces exclus du seuil de pauvreté mais qui n’ont pas de quoi payer les contrats d’assurance. Ce n’est pas d’eux qu’il est question au Capitole, dans le débat sur la réforme mais de ce que Jim De Mint appelle « la liberté de choix », opposée à une intervention de l’État, assimilée au socialisme, voire au communisme. L’horreur. Ce ne sont pas des bureaucrates, dit-il, qui vont dire aux personnes âgées quelles pilules elles doivent prendre. Chacun doit avoir le choix. Le choix de son assurance et donc de son médecin, de son hôpital, de son traitement, selon les règles de la libre entreprise. Un choix en réalité imposé par les compagnies d’assurances privées, selon leurs multiples cautions, les consignes et les protocoles imposés au personnel médical de l’industrie hospitalière, selon une industrie pharmaceutique qui vend les médicaments au prix fort (les mêmes sont moins chers au Canada), selon les exigences de l’Association des médecins (l’AMA)… en fait selon des réseaux de soins plus préoccupés par l’augmentation des dividendes des actionnaires de leurs sociétés cotées à Wall Street que par le serment d’Hippocrate. Le système ignore la prévention pour le traitement curatif, lui préfère le soin à l’acte, d’un meilleur rapport.

Les dépenses les plus élevées au monde

Au nom de la concurrence libre et d’une compétitivité non faussée par l’État, cette coalition des armées de l’empire de l’Ancien Régime est partie sur le sentier de la guerre contre une réforme qui n’a pas pourtant l’intention d’instaurer une sécurité sociale pour tous comme on la connaît en France et en Europe. Le single payer, cette sécu demandée par les syndicats, les associations progressistes et une partie des médecins, promise en 2001 par le sénateur Obama pour mettre fin au système qui fait des États-Unis le pays où les dépenses de santé sont les plus élevées au monde et où, comble de l’inefficacité, l’espérance de vie arrive au 24e rang des pays développés dans le classement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et la mortalité infantile au 8e rang derrière Cuba. Les dépenses creusent d’année en année un déficit dans un budget fédéral contraint par le Medicare (pour les plus âgés de 65 ans) et le Medicaid (pour les plus pauvres) de voler au secours de malades et d’hôpitaux publics, qui sous le règne du marché s’alignent de plus en plus sur les privés.

Dans l’imaginaire hérité de l’histoire de la conquête, du puritanisme, ceux qui ne travaillent pas sont des paresseux qui vivent de la charité publique, des impôts payés par les honnêtes gens qui travaillent dur. Car il y aurait toujours « une nouvelle frontière » à conquérir. Une idéologie qui ne perd pas de poids dans la récession qui frappe dans un pays qui a perdu l’hégémonie de jadis, mais qui continue à fournir des arguments au parti de la libre entreprise. Sous le déluge de pub télé des républicains, 42 % ont peur de voir leurs impôts augmenter et se prononcent contre la réforme (sondage du Wall Street Journal, jeudi dernier). Depuis toujours ces disciples ont tiré à boulets rouges sur les velléités de réforme du système de sécurité sociale des présidents Kennedy, Johnson, Carter, Clinton. À l’époque de celui-ci, Hillary Clinton avait dû capituler sans condition avec un projet légèrement plus avancé que celui d’Obama.

Le poids des lobbies

Cette fois, selon la méthode qu’il a toujours prêchée pour surmonter les divisions partisanes, Obama doit trouver un compromis acceptable par une majorité d’élus des deux partis. Il en a réuni à la Maison-Blanche. Il est allé au Congrès pour les convaincre. En même temps, sans trop d’illusions sans doute, il a fait appel aux réseaux des temps électoraux, un million de mails, de lettres ont été adressés aux sénateurs. Des spots passent sur les sites du syndicat des infirmières ou des associations : ceux qui viennent de perdre leurs assurances ou qui ne peuvent s’en payer témoignent à la télé. Ceux de la présidence, à la télé, se terminent par « It’s time ». C’est le moment de réformer. Une manifestation a lieu samedi devant le Sénat. Des dizaines d’associations, des syndicalistes, des féministes (les femmes, les Noirs et les Hispaniques sont les plus touchés) se rendront au Sénat à Washington. Des manifestations auront lieu dans 53 villes pour commémorer la naissance, il y a 44 ans, des premières institutions d’aide.

Le combat est serré. L’armée du sénateur De Mint avait rassemblé, dès le premier jour du débat, un millier de représentants des maîtres des réseaux de santé dans les couloirs du Capitole. Les lobbyistes dont les carnets de chèques arbitrent le champ de bataille (voire ci-contre), laissant dans le doute une réforme qui devait apporter une couverture médicale à 22 des 47 millions qui n’en ont pas, en élargissant le domaine du Medicare.

Et dans la plaine de Waterloo, on a vu la troupe des Blue Dogs (les chiens bleus), un groupe d’une quarantaine d’élus démocrates, passer à l’ennemi pour s’opposer à la réforme, habillés en combattants du déficit et respectueux de la liberté du choix chère à Jim De Mintt. Jusqu’au bout, Barack Obama aura mené le combat pour en finir avant les vacances parlementaires, le 7 août, afin que la réforme puisse être adoptée cette année comme promis. Hier, après avoir arraché un consensus au sein d’une commission au Congrès, le Washington Post titrait : « Il cherche un soutien en promettant moins ». Le journal rappelait qu’Obama n’a jamais promis que tous les non-assurés auraient une couverture maladie. Dans le meilleur des cas, le vote de la loi réformant le système de santé américain n’aura pas lieu avant l’automne.

Jacques Coubard


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