Journées chiliennes : Arrate presidente El pueblo unido jamas sera vencido (6 premières parties)

lundi 17 août 2009.
 

1) Premières heures à Santiago

Me voilà bien arrivé dans la capitale du Chili. Mon dernier voyage remonte à 4 ans et demi, en mars 2005. Je me souviens qu’alors, ma dernière journée fut consacrée à la manifestation d’hommage rendu à Glawdys Marin, dirigeante historique du Parti communiste Chilien, décédée le 6 mars 2005. Dans les rues de Santiago avec plusieurs milliers d’autres personnes, autour de la Moneda, drapeau rouge au vent, une de mes filles sur les épaules, nous avions salué la mémoire de cette combattante, finalement morte d’un cancer, figure incontournable de la résistance à la dictature militaire.

Le pays que je retrouve semble avoir un peu changé. Impression juste personnelle et superficielle peut être, alors que cette journée de mars 2005 était chaude et ensoleillée, mon arrivée hier se passe en plein hiver. 4 degrés et le brouillard nous accueillent ! Mais je n’oublie pas non plus car ce serait injuste, l’imposante Cordillère des Andes enneigée qui domine l’aéroport, toujours gracieuse et majestueuse, qui offre à tous ceux qui arrivent pour la première fois au Chili le plus beau des comités d’accueil. L’aéroport s’est quelque peu modernisé, et une autoroute (payante bien entendu) nous permet de faire les 16 km pour rejoindre Santiago beaucoup plus facilement qu’auparavant. Nous longeons à vive allure le rio Mapocho aux abords des poblaciones (les villages en planches et tôles de la banlieue), un tunnel assez long nous amène dans le nord de la ville. Je ne verrai donc pas encore cette fois ci la grande Alameida central, d’ordinaire si encombrée, qui traverse le cœur de la ville.

C’est le petit matin, la ville semble déserte ce qui est vraiment étonnant pour moi. J’ai toujours connu cette ville étouffée par une suractivitée permanente. D’ordinaire partout ça roule, ça court, ça hurle, ça parle et surtout ça travaille. Mais, ce dimanche matin de première heure, c’est le calme. Sur les 16 millions de chiliens, 5,5 se concentrent ici, soit près du tiers de la population, et parmi toutes les difficultés provoquées par cette surpopulation, il y a la pollution. Mais c’est surtout l’été qu’elle est perceptible . Mais, aujourd’hui, l’air frais est agréable.

Me voilà donc à Santiago, parmi des gens que j’aime. La vie est belle.

2) A Isla negra, chez Pablo Neruda

Me voilà de retour sur ce blog. J’ai passé quelques jours sur la côte pacifique, non loin du village de pêcheurs d’Algarobo. C’est l’hiver au Chili, mais le climat est finalement très doux. Et sur la côte, ces derniers jours, le temps était superbe.

J’ai profité de ce séjour, éloigné d’un accès à internet, pour me rendre à quelques kilomètres de là, à Isla Negra. Il ne s’agit pas d’une île noire perdue au milieu de l’océan, mais d’une petite station balnéaire où Pablo Neruda, le grand, l’immense poète Chilien, possédait l’une de ses nombreuses maisons. J’en connais trois différentes, mais certains ouvrages lus il y a peu me disent qu’il en possédait quatre ou cinq.

Quelques mots sur Neruda, car parler de lui c’est parler de l’histoire contemporaine du Chili. Cet homme était un poète majeur, il recevra le prix Nobel en 1971, mais il n’était pas que cela. Diplomate, collectionneur, amoureux d’une grande élégance, il était aussi, à partir de 1943, un militant du Parti communiste chilien. Il sera même candidat à l’élection présidentielle pour le PC ! Il entretenait aussi avec le Président socialiste Allende une grande amitié, pleine de respect, et le coup d’état du 11 septembre 1973 portera un coup fatal à cet homme qui souffrait déjà d’un cancer. Il mourra le 23 septembre à Santiago du Chili. Cette mort sera symboliquement une deuxième mort, après celle d’Allende forcé au suicide, de la démocratie chilienne.

J’aime cette homme, sa vie, son engagement, ses folies et exubérances. Sa poésie, pour moi est difficile d’accès. J’apprécie sa musicalité, mais ne maîtrise pas assez bien l’espagnol pour jouir de toutes ses subtilités. Son œuvre est monumentale. On connait le magistral Canto général, el veinte poemas de amor y una cancion deseperada, mais il a publié des dizaines d’autres ouvrages. Dans ce recueil des 20 poèmes d’amour et un chanson désespérée, je m’amuse toujours à relire son poème XV, qui débute par ces vers adressés à son épouse : « Je t’aime quand tu te tais car tu es comme absente,/ et tu m’entends de loin, et ma voix point ne te touche./ On dirait que tes yeux se seraient envolés/ et on dirait qu’un baiser t’aurait scellé la bouche (…) »

J’invite surtout chacun à lire Confieso que he vivido (J’avoue que j’ai vécu). Ce sont ses mémoires, parues après sa mort. Véritable roman, cet ouvrage m’avait accompagné lors de mon premier voyage au Chili. On le trouve facilement en français aux éditions folio pour quatre sous. N’hésitez pas si vous le voyez passer.

Donc, lors de chacun de mes séjours ici, je m’efforce de faire la tournée des visites de toutes ses maisons. Cette fois ci, j’y ai entrainé mes deux filles qui ont découvert l’univers du poète. Elles ont adoré, et j’en suis très fier.

Que dire de cette demeure ? A Isla Negra, on découvre un ensemble de bâtiments aux formes originales, décoré de milles objets collectionnés par Don Pablo. Il collectionnait tout : les livres, les verres et les bouteilles de couleurs bleues et vertes, les coquillages, les maquettes de bateaux, les bateaux mis en bouteille, des éperons de huaso, des statuettes… Mais le plus impressionnant est sa collection de figures de proues de bateaux. Il en a rassemblé 14 dans sa maison d’Isla Negra.

Tout cela constitue un grand poème d’amour dédié à Mathilde, sa dernière épouse, avec laquelle il est enterré dans le jardin, face à l’océan.

Ce lieu est magique. Ce poète puisait dans l’amour et l’amitié une énergie créatrice hors du commun.

A la veille de sa mort, cette maison, il l’a donné au Parti communiste en ces termes : "Je laisse aux syndicats/ du cuivre, du charbon et du salpêtre/ ma maison des flots à Isla Negra./ je veux qu’ici reposent les bafoués, les malmenés/ de ma patrie, pillée par les haches et les traîtres. / profanée dans son sang, écarlatée / consumée en guenille volcaniques.../ Frère voici ma maison. Entre dans un monde / de fleur marine et de pierre étoilée / que j’ai bâti en luttant dans ma pauvreté."

La beauté mélancolique du lieu, où l’absence du grand homme se fait sentir dans chaque objet, me ramène étonnement à de sombres nouvelles de France, transmises par SMS, m’ apprenant la disparition d’une amie, Valérie, décédée stupidement à l’occasion d’une opération bénigne. Sans leur envoyer un message qui ne servirait à rien, je pense à son mari Claude et à ses enfants, à leurs douleurs. La vie est décidement toujours trop courte, et la mort peut venir nous chercher dans les moments les plus inattendus. C’est ainsi. Nulle colère ne nous permettra d’éviter cette loi implacable. Il faut l’accepter et profiter pleinement de la vie.

L’art de Pablo nous aide à nous enrichir le mieux possible de notre court passage sur la terre. Merci poète.

3) Poème XV de Pablo Neruda

J’aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente,

et tu m’entends au loin, et ma voix ne t’atteint pas.

On dirait que tes yeux se sont envolés,

et on dirait qu’un baiser t’a clos la bouche

******

Comme toutes les choses sont remplies de mon âme,

tu émerges des choses pleine de mon âme.

Papillon de rêve, tu ressembles à mon âme

et tu ressembles au mot : mélancolie.

******

J’aime quand tu te tais et que tu es comme distante.

Et tu es comme plaintive, papillon que l’on berce.

Et tu m’entends au loin, et ma voix ne t’atteint pas :

laisse-moi me taire avec ton silence.

******

Laisse-moi aussi te parler avec ton silence,

clair comme une lampe, simple comme un anneau.

Tu es comme la nuit, silencieuse et constellée.

Ton silence est d’étoile, si lointain et si simple.

******

J’aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente,

distante et dolente, comme si tu étais morte.

Un mot alors, un sourire suffisent,

et je suis heureux, heureux que ce ne soit pas vrai.

Pablo Neruda

(extrait de "Vingt poèmes d amour et une chanson désespérée")

4) Rapa nui

Depuis l’élection de Ricardo Lagos, premier président issu de la « gauche » chilienne après le coup d’état, en janvier 2000, le Palais de la Moneda, siège national de la Présidence de la République, a totalement changé. Désormais, on peut librement traverser ce bâtiment et on trouvera souvent dans la cour des œuvres temporaires de divers artistes.

Je reviendrai plus longuement sur ce lieu mythique dans un prochain billet, lorsque j’écrirai sur ce grand homme, si courageux que fut Salvador Allende. Mais, le fait que les chiliens viennent ici pour y découvrir de la culture est une rupture fondamentale avec les sombres années de dictature militaire. Symboliquement, une statue d’Allende a été dressé devant la Moneda. Lors de chacun de mes séjours ici, je passe la saluer quelques minutes.

Depuis peu donc , sous l’esplanade de cet immense édifice, a ouvert le Centro cultural Palacio La Moneda. Actuellement, et pour un mois, on peut y voir une belle exposition concernant l’Ile de Pâques : Rapa Nui.

L’île de Pâques est située à plus de 3700 km des côtes chiliennes, mais pourtant administrativement, elle dépend du Chili. Elle fut découverte par les européens en 1722 (le jour de Pâques), mais, c’est depuis 1886 que la marine chilienne a pris le contrôle du territoire et depuis 1966, les pascuans sont chiliens à part entière alors qu’ils avaient été longtemps méprisés.

Désormais, ils peuvent disposer du droit de vote, de papiers d’identités, et progressivement, ils auront l’électricité, l’eau courante… Aujourd’hui, le tourisme est la principale richesse naturelle de cette île.

Cette île renferme encore bien des mystères. Les célèbres statues alignées sur les côtes sont devenues des images mondialement connues. Pourtant, sa première caractéristique et son éloignement de toutes autres terres habitées. Les Moai, les célébrissimes statues, ont été taillées aux alentours de l’an 800, elles sont quasi totalement sculpté (à 97 %) dans de la roche volcanique. Pour ceux qui sont encore debout, le plus petit mesure 1,13 m et le plus grand dépasse les 9,80 M et pèse 74 tonnes. Mais, on a trouvé allongé au sol un Moai qui, s’il fut encore dressé, aurait mesuré près de 20 m de haut.

Dressées pour des raisons religieuses, elles sont l’héritage d’un système féodal qui a structuré l’île pendant plusieurs siècles. Il semble que vers le 18e siècle, après que la population ait atteint son apogée (10 000 habitants) de violents affrontements se soient produit entre les différents clans, peut être divisés selon les vagues successives d’immigration dont ils provenaient. Ainsi, les « grandes oreilles » et les « petites oreilles » vont se mener un combat sans merci au terme duquel le vainqueur pourra faire effondrer le Moai du clan vaincu. Progressivement, la population déclinera. A présent, elle ne dépasse pas les 5000 pascuans (sans les touristes bien sûr).

La beauté des œuvres ne me fait donc pas oublier la brutalité des relations entre ces hommes. La Polynésie reste un des lieux où l’on pratiquait l’anthropophagie sacrificielle pour marquer symboliquement sa domination sur l’adversaire battu. Ce « cannibalisme » nourrira bien des fantasmes chez les occidentaux et servira de prétexte à bien des épisodes de colonisation.

Loin d’une vision idéalisée, Rapa nui du temps des tribus enfermait violences et inégalités qui côtoyaient des paysages magnifiques.

Peut être, un jour, pourrais je me rendre en ce lieu.

Pour l’heure, je profite de cette exposition, en ce lieu où des forces meurtrières à la tête des armées ont dirigé ce beau pays. Elles aussi ont renversé des statues, qui en 1973, symbolisait la démocratie. J’ignore si elles ont dévoré les corps de ceux qu’elles ont assassinés dans leurs geôles. Sans doute que la CIA, qui les conseillait si activement, leur a-t-elle soufflé que ce ne serait vraiment pas « convenable ».

Les coups de crosse et les balles suffisent. Les corps, il vaut mieux les faire disparaître dans le désert qu’en manger une partie.

C’est plus prudent, parfois les peuples redressent la tête et demandent justice.

5) Election présidentielle au Chili fin 2009

Le 13 décembre 2009, les élections présidentielles auront lieu au Chili. La présidente Michelle Bachelet, on le sait issue du PS, arrivera alors au terme de son mandat et constitutionnellement elle ne peut se présenter à nouveau après avoir été élue.

Je vais consacrer plusieurs billets à cette échéance importante. Elle l’est avant tout pour le Chili lui-même, mais pas seulement. Le spectacle que je découvre me semble un « cas d’école », pouvant intéresser toutes consciences de gauche, particulièrement celles qui vivent en France, et qui cherchent à participer à construction d’une gauche nouvelle. D’autant que, pour tous les français progressistes, ce qui se passe au Chili a toujours un intérêt. On se souvient d’ailleurs de quelle manière en janvier 2006, Ségolène Royal avait médiatisé en France son soutien à Bachelet. Cela lui avait servi de rampe de lancement pour sa campagne interne au PS, puis pour la suite. Cela n’était pas innocent. Car, le Chili n’intéresse pas seulement ceux qui, comme nous, n’oublient pas l’exemple glorieux d’Allende et son gouvernement d’Unité Populaire (UP) soutenu par toute la gauche, contre l’opposition active de la Démocratie chrétienne et de la droite. Depuis plusieurs années maintenant, les courants les plus à droite du PS français regardent ce pays dans le détails et non par nostalgie de la UP qu’ils doivent considérer comme du folklore d’un autre âge. Patrick Menucci, qui fut le principal organisateur de la campagne de Ségolène Royal, explique clairement les choses dans un ouvrage rédigé après la présidentielle française (Ma candidate, ed. Albin Michel- p.30) : "Politiquement, les socialistes chiliens sont en avance sur nous, ils sont d’accord avec le centre. Ils font des primaires. Alors qu’ils ne pèsent que 15 % dans les urnes, ils parviennent à constituer une large coalition." Tout est dit. En Amérique latine, c’est cet exemple là qui les intéresse et les inspire, et non, comme nous, les exemples bolivien ou vénézuélien qui s’affrontent, avec le soutien constant du peuple et la majorité dans les suffrages, aux groupes privés et à l’influence économique nord américaine.

Ici, une part du spectacle est donc assez désolante et symptomatique de la dégradation de la gauche qui se prétend « socialiste ». Mais, pour comprendre mieux, il faut reprendre quelques aspects de la vie politique récente du Chili.

Après le coup d’état du 11 septembre 1973 et le massacre trés rapide de plus de 3 000 militants, en juin 1974, le Général Pinochet est officiellement nommé par la junte militaire « Chef suprême de la nation ». Le 11 septembre 1980, il fera même adopter une « Constitution » par un référendum bidonné. C’est curieux, mais c’est ainsi. Même dans les dictatures, les chiliens entretiennent une forme de « légalisme ». Cette constitution fortement antidémocratique, donne tous pouvoirs aux militaires, des sénateurs sont nommés à vie, etc. Pendant toutes les années de dictatures, le peuple résistera et de nombreuses luttes courageuses se multiplieront malgré les risques quotidiens. Des centaines d’hommes et de femmes de gauche y laisseront leur vie. Les années passant, les militaires comprennent que cela ne peut continuer ainsi. Le grand patronnat leur fait aussi comprendre que ce n’est pas bon pour les affaires. L’Eglise catholique condamne de plus en plus ouvertement les crimes et la répression. Les américains, la CIA a financé le coup d’état en 1973, leur font comprendre que la guerre froide est finie. On peut un peu relacher la pression. Toutefois, la résistance populaire continue. En 1986, un attentat mené par le Front patriotique Manuel Rodriguez manque de peu le sinistre tyran.

Ecoutant les milieux économiques, les militaires comprennent qu’"il faut que tout change, pour que rien ne change". Le 5 octobre 1988, Agusto Pinochet, voulant assoir sa légitimité populaire pour continuer, organise un plébiscite qui devait le reconduire à la tête du pays pour de nombreuses années. Il mène la quasi totalité de sa campagne en civil. Et là, contre toute attente car les pinochétistes pensaient tenir plus fermement le pays, malgré triches et pressions des militaires, le « No » l’emporte avec 55 % des voix (et 43 % de « Si »). Des élections présidentielles sont organisées le 14 décembre 1989. Patricio Aylwin (un Démocrate Chrétien – DC) est élu pour 4 ans. Il constitue un gouvernement nommé « transition vers la démocratie ». Pinochet reste chef des armées et la Constitution est encore renforcée par de nombreuses lois piétinant la démocratie la plus élémentaire.

Les socialistes, les Radicaux et la DC constituent un Bloc électoral : la « Concertation ». A la présidentielle suivante, ce Bloc présente un candidat commun qui sera élu en 1994, le DC Eduardo Frei, puis en janvier 2000, Ricardo Lagos ex socialiste à la tête d’un petit parti social-libéral le PPD, puis enfin en 2006, Michelle Bachelet socialiste Chilienne, fille d’un militaire fidèle à Allende mort sous la torture.

Depuis, plus de 15 ans la « Concertation » dirige donc le Chili, dans le cadre d’une constitution héritée de la dictature. Socialement, le pays connaît encore de terribles et insupportables inégalités. La constitution a été un peu modifiée, le droit au divorce par exemple enfin reconnut en 2004, mais tout cela reste, quand on constate les injustices sociales et judiciaires, des aspects cosmétiques. De nombreuses grèves ouvrières réclamant plus de redistributions de richesses, des puissantes mobilisations étudiantes ont secoué le pays durant la Présidence Bachelet… ce système, en réalité totalement verrouillé où les privatisations n’ont jamais aussi forte, est à bout de course !

Et donc, dans ce contexte de profonde crise, la « Concertation » décide de présenter en 2009 comme candidat un Démocrate chrétien, Eduardo Frei (c’est lui au milieu de la photo en train de boire un verre et de "subir douloureusement" la dictature). C’est-à-dire le même qui fut déjà Président il y a 15 ans. Avec lui, tous ceux qui ont profité de la dictature peuvent dormir tranquille : il est un des leurs et n’a nulle volonté de les géner en quoi que ce soit dans leurs business. Pendant la dictature cet homme d’affaire à continuer à s’enrichir confortablement. De plus, il est lui-même le fils du Président Frei du Chili de 1964 à 1970 qui a précédé Allende. Son père a soutenu le coup d’état militaire pensant que la junte lui rendrait le pouvoir, ce qu’elle ne fit pas et même il semble qu’elle l’empoisonna quelques années plus tard. Le fils se présente même parfois (sans rire) comme lui aussi d’une famille victime de la dictature, mais on voit dans quelles conditions ! De toute manière ici, quiconque est aujourd’hui un grand patron puissant est lié aux militaires. Au Chili, pour paraphraser St Just : « Nul ne peut s’enrichir innocemment ».

Voilà Eduardo Frei fils, comparé à lui notre François Bayrou national est un guérillero guévariste, et bien cet homme cynique et sans scrupule est aujourd’hui à nouveau le candidat de la Concertation, soutenu par le PS qui a décidé de ne pas présenter de candidat. Il serait utile de savoir ce qu’en pense la direction actuelle du PS français ou encore Ségolène Royal qui s’était enthousiasmés pour Mme Bachelet. Sont-ils d’accord pour que le PS, dès le premier tour, s’efface et laisse la place à un Démocrate-chrétien ? Personne dans l’Internationale socialiste n’a protesté contre cette liquidation pure et simple au profit de l’échange de quelques postes institutionnels. La triste réalité est aussi qu’aujourd’hui, sur les questions économiques, le PS chilien et la DC pensent de même.

Face au candidat de "la Concertation", la droite réactionnaire (évidemment pro-pinochetiste, est il besoin de le préciser ?) après plusieurs défaites, s’est intelligement rassemblée sur la candidature unique de Sébastian Pinera, homme d’affaire lui aussi.

Pour compléter ce tableau, depuis quelques semaines est apparu la candidature « indépendante » du jeune Marco Enriquez-Ominami (MEO), jusque là député socialiste. Ce jeune homme a la particularité d’être le fils du grand dirigeant du MIR, Miguel Enriquez, héros du combat contre la dictature, assassiné en 1974. Il a été adopté par Carlos Ominami, dirigeant PS, un temps Ministre de l’économie. Carlos a vécu en France pendant l’exil. Il y compte de très nombreux amis dans le PS français. On peut le considérer comme très proche du courant DSK en France. Pour l’anecdote, il était l’organisateur du voyage de Ségolène en 2006. Il vient de se mettre « en congés » du PS pour soutenir son fils.

Marco, en rompant avec le PS, se présente comme antisystème, il rejette certains aspects de la Concertation et la connivence entre le PS et la DC. Il a un réel franc-parler et ne manque pas de panache. Toutefois, dès que l’on gratte un peu, la critique profonde des terribles règles ultra libérales qui frappent ce pays et bien timide, voire même inexistante. Dans le magazine El périodista, il déclare "Dans mon équipe seront les meilleurs, viennent d’où ils viennent, ils doivent adhérer (...) à la démocratie et être compétents". On connait ces types d’arguments totalement tyranniques, ils sont généralement portés par Sarkozy ou le Modem dans notre pays. Que personne donc en lisant ce blog ne se trompe en considérant ce garçon comme une relève pour la gauche contestatrice. Vu de loin, son coté play-boy peut apparaître rafraichissant dans un pays où beaucoup d’hommes politiques sont assez âgés. Dans sa vie privée (que tout le monde connait par les magazines "pipole"), il est le compagnon d’une présentatrice de "Télé réality" très en vue, ce qui lui donne une visibilité médiatique supplémentaire. Sa profession semble être cinéaste ou producteur de clips vidéos. Son âge entraine qu’il n’a jamais milité sous la dictature, il n’a jamais été membre d’un syndicat, jamais participé à la moindre lutte sociale du pays. Des socialistes qui ne l’apprécient pas me disent même qu’il n’a jamais milité au PS, ni participé à la moindre réunion de section. La position importante de son père dans l’appareil socialiste lui aurait permis de bénéficier d’une circonscription électorale infaillible. Sur le fond, son programme économique prévoit entre autre de modifier le statut de Codelco, l’entreprise d’Etat de production du cuivre, ce qui porterait un coup fatal pour l’indépendance économique nationale (ou du moins ce qu’il en reste). Bien sûr, dans ce cas MEO utilise des arguments pseudo modernistes, au nom de la transparence qui n’existe pas à l’heure actuelle dans Codelco. Pour dire les choses clairement, il est clairement soutenu par certains secteurs du patronnat (voulant briser des réseaux issues du passé) qui financent cette campagne "spontanée". Il fut un temps, dans les années 70, où les trotskystes lambertistes avec leur vocabulaire un peu rude auraient dit pour caractériser ce type de personnage : « une candidature propulsée par la bourgeoisie ». La formule certes est un tantinet vulgaire, car il s’agit ici d’une fraction de la bourgeoisie "concertationniste" craignant le retour brutal aux affaires des pinochétistes "pur jus", je m’en excuse. Mais, elle s’applique assez bien dans le cas de MEO. « Le candidat indépendant » , malgré l’absence de militants et de Parti, a les moyens de se payer une campagne avec immense panneaux publicitaires dans les rues et sur les bus et de payer des gens qui font signer des formulaires de soutien !! Pour finir, et c’est aussi sans doute la principale explication, la candidature Enriquez-Ominami est un contre-feux mis en place en réaction aux nombreuses contestations au sein du PS et aux ruptures qui se sont organisées.

Voilà les trois candidats officiels, autorisés par les médias (dont vous devinez le degré d’indépendance avec la grande bourgeoisie pinochetiste) que je vois présents dans tous les journaux (je dis bien tous sans exception ) et magazines depuis mon arrivée.

Dans ce contexte là, la crise est à son paroxysme dans le PS depuis plusieurs mois. En janvier dernier, l’ancien président du PS Jorge Arrate a rompu avec ce dernier pour qu’une gauche sociale réelle, digne de ce nom puisse se faire entendre. Avec le PC Chilien, des groupes de socialistes ; des jeunes ex socialistes regroupés dans « Izquierda 21 », la gauche chrétienne et au départ le Parti Humaniste (et oui, cela existe au Chili et cela représente un peu nos Verts français, depuis son Président Tomas Hirsh a rompu avec Arrate et semble soutenir Enriquez-Ominami, mais la majorité des militants humanistes soutiennent encore Jorge), ont mis en œuvre une méthode de désignation pour présenter un candidat commun. Jorge Arrate a été désigné au terme de ce processus passionnant. Parmi plusieurs de ses soutiens actifs, le Parti de gauche (PG) français est un modèle d’inspiration, j’y reviendrai.

La campagne commence donc. Depuis des semaines, Jorge Arrate est confronté à ce terrible mur médiatique face auquel sa candidature n’existe pas. Pas une ligne, ni mention, … rien. Incroyable ! Quelques autres candidats de gauche souhaitent encore se présenter, notamment un autre ex socialiste le sénateur Alejandro Navarro de la région de Concepcion. C’est aussi un homme courageux, et il serait bon que les ces deux candidatures fusionnent en une seule. Plusieurs personnes ici s’emploient à obtenir ce résultat.

Malgré ces difficultés, ceux qui animent la candidature de rassemblement Arrate (comprable au "Front de gauche" en France) ont bon espoir. Arrate présente un programme ambitieux répondant aux nombreuses attentes populaires du pays. Je développerai cela dans un prochain billet avec plus de précisions.

6) Se siente, se siente, Arrate Presidente !

Il me faut maintenant faire un rapide portrait de Jorge Arrate. Né en 1941, sa vie militante se confond avec celle de la gauche socialiste chilienne. Jorge est d’abord avocat, mais c’est comme économiste qu’il est connu comme universitaire. Il rejoint le PS dès 1963. En 1972, Salvador Allende le nomme chef de la direction de Codelco (l’entreprise nationale de cuivre). C’est lui qui gère le processus de nationalisation de l’entreprise. Parallèlement, à l’université du Chili, il est aussi Directeur de l’Institut d’économie et de la planification. Après le coup d’état, en exil, il est le secrétaire exécutif de la Gauche chilienne qui regroupe socialistes et « miriste » (les militants du MIR).

Il rentre au Chili au milieu des années 80 pour organiser avec d’autres la « transition démocratique ». Le 29 décembre 1989, il est nommé Président du PS chilien qui vient de se réunifier après des années de division dues à l’émiettement des éxilés et à de nombreux désaccords politiques sur la stratégie à suivre. Par la suite, il participe comme ministre à deux gouvernements de « la Concertation ». Il sera Ministre de l’éducation du gouvernement de P. Aylwin de 1992 à 1994, et Ministre du travail et de la protection sociale du gouvernement E. Frei de 1994 à 1998. Puis enfin, il sera secrétaire général du gouvernement, ce qui ici est un poste de première importance, de 1998 à 1999. De 2000 à 2003, il sera Ambassadeur du Chili en Argentine.

Bref, cet homme est un homme d’état, qui a assumé des responsabilités de premier plan. Il a accepté bien des compromis qui peuvent avec le recul apparaître discutable. Ce n’est donc pas un exalté loin de là, le lecteur l’aura compris. Mais, Arrate est un homme qui pensait, sincèrement, que "la Concertation" allait apporter plus de justice sociale dans le pays.

C’est tout cela qui rend sa rupture avec le PS actuel encore plus importante. Il ne veut plus se taire devant l’évolution du PS et son adaptation absolue aux règles du néo libéralisme. Il n’accepte plus "la Concertation" cet accord mortifère pour les idées de gauche, prétexte à toutes les capitulations devant la Démocratie chrétienne, il en connait tous les vices et les ignominies. Après avoir essayé quelques temps de se battre à l’intérieur du PS, il a considéré que cela était devenu inutile, ce parti étant à présent trop intégré aux institutions pourries du pays.

A son âge, et son expérience, il ne s’agit donc plus de faire carrière. La vie lui a apporté la reconnaissance que tout honnête homme peut souhaiter. Ce qui l’anime à présent est de permettre à la gauche, de continuer tout simplement à exister au Chili, et non sous une forme grotesque. Pour Jorge, il est insupportable de repenser aux camarades morts au combat contre la dictature, pour constater un tel résultat.

Alors, le 14 janvier 2009, avec plusieurs de ses proches, il a démissionné du PS pour participer à une grande coalition, un "Front de gauche". On y retrouve l’alliance Juntos Podemos (Ensemble nous pouvons) qui unissait déjà lors de la dernière présidentielle, plusieurs Partis dont le PC, Izquierda Cristiana (IC - Gauche Chrétienne) et le Parti Humaniste (PH). Lors de cette élection, le candidat unique de Juntos Podemos, l’humaniste Tomas Hirsh, avait obtenu 5,40 % des voix. De l’avis de la presse ce fut la "surprise" de l’élection de 2006.

Cette fois ci, la coalition est encore plus large, car elle associe nombre de socialistes n’acceptaient plus les renoncements et de disparaitre derrière Eduardo Frei de la DC. Pour 2009, elle se nomme à présent Juntos Podemos Mas. cela représente 11 formations politiques : Parti Communiste, Gauche chrétienne, Parti Radical du Chili, Izquierda 21, Parti des Travailleurs, Mouvement des Forces citoyennes, Révolution Démocratique, Les Jeunesses Communistes, les "Socialistes allendistes", le MSCD, et Indentité Rodriguiste... A cela s’ajoute une cinquantaine de groupes associatifs, de Fondations, journaux et réseaux culturels, plus des intellectuels et écrivains en vue.

Le 25 avril 2009, à l’occasion d’une grande Assemblée générale nationale qui a rassemblé toutes ses forces, plusieurs candidats potentiels se sont effacés, les communistes ont retiré la candidature de leur dirigeant Guillermo Teillier, et seul Tomas Hirsh qui voulait être à nouveau candidat s’est maintenu contre Arrate. Il a été battu par Jorge, avec 20 % des voix contre 80 % lors du vote interne de désignation. Depuis, malgré le caractère démocratique de tous ce processus, comme rien ne sera décidement épargné aux forces de gauche, à titre individuel, Tomas Hirsh a rompu l’accord et soutient désormais Miguel Enriquez-Ominami. Ce n’est pas une bonne nouvelle. Mais, beaucoup de groupes locaux et de militants humanistes n’ont pas changé de candidat pour autant. Je précise ce que j’ai déjà indiqué dans mon billet précédent, qu’un autre socialiste de gauche, le sénateur de Concepcion Alejandro Navarro, est lui aussi candidat à la présidentielle, mais indépendant, extérieur à tout ce large processus. Le personnage est attachant lui aussi. Il ne manque pas de caractère. Il est dommage qu’il reste extérieur à Juntos Podemos Mas. Des observateurs locaux me disent qu’il est encore possible d’arriver à une candidature commune. C’est évidemment souhaitable.

C’est cet homme, Jorge Arrate, ce militant qui veut rester fidèle au combat de toute sa vie, que nous avons rencontré il y a quelques jours. Les lecteurs de ce blog savent certainement que je suis accompagné dans mon voyage par Raquel Garrido, Secrétaire nationale chargée des relations internationales au PG (photo : Jaime Gajardo, Armando Uribe Président du PS chilien en France, Jorge et Raquel). Avec elle, nous nous sommes rendus à une des nombreuses réunions publiques de soutiens à Arrate. La petite délégation du PG que nous constituons sera fraternellement acceuillie. L’évènement auquel nous avons participé, concernait le thème de l’éducation. Manifestement, Arrate fut un Ministre de l’éducation qui n’a pas laissé de mauvais souvenirs, puisque Jaime Gajardo, Président du Colegio de profesores, c’est à dire la Fédération syndicale enseignante (la FSU locale) liée à la CUT, est ici, pour annoncer son soutien public à Jorge. Des dirigeants étudiants et enseignants qui ont participé à la longue grève contre une réforme universitaire de Bachelet sont également là. Ils ouvrent la réunion.

Puis, à la demande des organisateurs, Raquel Garrido prend la parole pour le PG. Avec pédagogie, elle explique l’importance, vu de France, de cette candidature. Elle fait le lien entre le « Front de gauche » et la coalition qui se rassemble pour la candidature Arrate. Son intervention sera vigoureusement applaudie, plusieurs étudiants présents demandent par la suite à Raquel de venir dans les universités expliquer la situation en France et les raisons de la naissance du PG. Les brochures que nous avons apportées circulent de mains en mains. Le PG est un modèle pour les gens qui ont entendu parler de sa fondation.

Jorge Arrate nous remerciera chaleureusement de notre présence et particulièrement Raquel pour son discours. Nous devrions à l’avenir le rencontrer plus longuement pour qu’il nous explique mieux sa campagne et que nous lui expliquions la naissance du PG.

Après des poèmes et des chansons (ici les réunions politiques sont aussi des moments culturels), le candidat prendra la parole. Bon orateur, comme la majorité des dirigeants du gauche latino-américain, il brossera parfois avec humour, souvent avec gravité, le profil de ses principales propositions en matière d’éducation : il veut mettre fin au désengagement financier de l’Etat. Par exemple, l’université du Chili, la grande université publique est financée seulement à 14 % sur des fonds publics ! Il lui fond donc trouver des investisseurs privés. L’école élémentaire, en charge des communes, est une catastrophe totale. Les enseignants sont sous payés, les écoles abandonnées. On compte souvent près de 50 élèves par classe. Les communes les plus pauvres n’ont pas les moyens d’assumer cette charge. La part, insuffisante, que l’Etat leur verse pour financer les écoles sert dans certains cas à autre choses, de plus urgent socialement. De toute façon, l’éducation privée est un business fleurissant dans lequel bien des investisseurs s’enrichissent. L’école privée est partout triomphante ici. Elle est le reproducteur fidèle du système social bien en place. Les riches mettent leurs enfants dans les meilleures écoles privés et chacun se débrouille selon son statut social. Pour Arrate, les modèles qu’il faut appliquer sont ceux de la France, de l’Université autonome de Mexico ou de Buenos Aires : libre inscription dans les universités, gratuité de l’éducation, financement public et national de l’éducation publique ! L’éducation ne doit pas être une marchandise. Anecdote finale, le candidat raconte comment le patron d’une école privée réputée, qui jouait aux courses de chevaux, a mis son école en faillite pour payer ses dettes !

« Pas un étudiant qui ne puisse pas étudier ! », c’est sur ce cri qu’il termine son discours. En retournant en sa place, le public scande un vieux slogan de la UP « Se siente, se siente, Arrate Présidente ! » (Cela se sent, cela se sent, Arrate Président). Bien sûr, dans la salle, tout le monde est lucide, pour l’heure cette candidature est effacée par les médias et les Instituts de sondages qui n’en parlent même pas. Parfois, on le jauge à 1% ! Pourtant, cette coalition, plus restreinte, avait dépassé les 5% en 2006 ! A l’inverse, le candidat Miguel Enriquez-Ominami est lui aussitôt estimé à près de 10 % (jusqu’à 13 % dans certains). Mais, c’est le candidat de droite Sebastian Pinera qui semble bien placé pour gagner cette fois ci (47 % au premier tour selon les sondages, Frei est 10 points derrière). Mais que valent ces sondages ? Qui a le téléphone pour répondre ? Qui choisit les candidats "estimés" ? Personne n’est dupe. Alors, les femmes et les hommes ici présents, qui tapent dans leurs mains en reprenant les chants symbole de la lutte antifascistes veulent rester dignes et droits, ils se battent encore, qu’importent les difficultés !

A la guitare, à la tribune, un homme chante « El pueblo unido jamas sera vencido ». Larmes et sourires terminent cette réunion où tous les présents se congratulent. Chili d’hier, Chili d’aujourd’hui, malgré les difficultés le même combat continue. Jorge Arrate symbolise ce long fil qui relie les histoires de la gauche de ce pays. Il ne doit pas être rompu.


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