Réunion anticrise de l’ONU : « C’est une attaque de front contre le néolibéralisme » (interview de François Houtard, membre de la commission Stiglitz et représentant de Miguel d’Escoto, le président de l’assemblée générale des Nations unies)

jeudi 2 juillet 2009.
 

Les pays du Sud sont les plus vulnérables face à la crise. Comment sont-ils affectés ?

François Houtard. L’impact peut être direct. Par exemple, avec le ralentissement de l’activité économique, les achats de matières premières et de ressources énergétiques diminuent. Les rentrées d’argent sont donc moindres dans les pays producteurs. Ils peuvent aussi être affectés de manière indirecte comme dans les pays à forte immigration, comme l’Amérique centrale ou le Mexique par rapport aux États-Unis ou à l’Équateur, la Colombie vis-à-vis de l’Espagne ou du sud de l’Europe, l’Asie, les Philippines, le Bangladesh, le Pakistan, qui envoient des travailleurs soit dans la région du Golfe, soit dans les fameux Tigres asiatiques. L’effet de l’augmentation du chômage est immédiat, car les travailleurs envoient moins d’argent qu’avant la crise vers les pays d’origine. Il faut ajouter les problèmes liés à la mondialisation de l’économie, à la fois sur le plan de l’inflation, sur celui du coût du crédit, sur celui des krachs boursiers qui, même s’ils se sont produits au Nord, ont des effets dans le Sud. Certes, les effets sont différenciés selon les régions du Sud. Mais la crise a d’importantes conséquences, et en aura encore plus si elle dure, sur les pays du Sud. Cette crise est financière et monétaire, et aussi alimentaire, énergétique et climatique.

Quels sont les liens entre ces crises ?

François Houtard. La commission Stiglitz avait pour mission de répondre à la question : « Comment réformer le système financier et monétaire de façon à éviter de reproduire des crises aussi dramatiques ? » Mais cette crise financière et économique peut amener à une véritable dépression mondiale. Et ce n’est là qu’un seul de ses aspects, ce qu’il était difficile de faire admettre aux instances de l’ONU notamment. La crise alimentaire est due, en bonne partie, à la spéculation, donc au système financier et à l’hégémonie du capital financier sur l’économie. La crise énergétique signifie que, dans les quarante ans à venir, il va falloir changer de sources énergétiques et de modèle de production énergétique. Enfin, la crise climatique est totalement structurelle, et beaucoup plus grave que ce que l’opinion publique perçoit pour le moment. Elle va exiger des mesures extrêmement importantes. Cette crise représente un ensemble. Or le problème d’une commission comme celle de Stiglitz qui va très loin dans les propositions et dans la régulation du système est qu’il ne suffit pas de remettre la machine monétaire en route ; il faut se demander pour quoi faire, afin de ne pas recommencer comme avant. Cette question fondamentale n’a été posée que de façon marginale.

Dans la Commission, avez-vous senti une forme de remise en question du « libéralisme » ?

François Houtard.Oui, certainement. Elle représente clairement une attaque de front contre le néolibéralisme. Mais pas nécessairement au capitalisme. Voilà toute la question. Essaye-t-on de corriger le néolibéralisme par un retour de l’État ou de définir des paramètres pour un postcapitalisme ? Cette question de fond doit être sous-jacente à beaucoup de discussions.

Pourtant, les pays riches semblent ne pas avoir envie d’entendre certaines propositions de la Commission. Les clivages sociaux, à l’échelle mondiale, ne sont-ils pas mis au grand jour ?

François Houtard. Exactement. Dans toutes les discussions au sein de l’assemblée générale des Nations unies pour préparer ce « G192 », le clivage Nord-Sud est apparu clairement. Certains ont même affirmé que nous étions en train de sortir de la crise, et se sont demandé pourquoi « dramatiser les choses » ! Et quand nous affirmons que les pays du Sud vont souffrir le plus, les mêmes rétorquent que ce n’est pas vrai du tout, que les pays industriels, et surtout les États-Unis, sont ceux qui ont perdu le plus d’argent. Le représentant de l’Union européenne, de son côté, a prétendu que le texte et les propositions étaient très émotionnels, donc pas du tout objectifs. En revanche, le « groupe des 77 », cette coalition de pays en voie de développement qui compte, d’ailleurs, plus de 77 membres, était favorable aux propositions de la commission Stiglitz, allant même parfois plus loin. Les discussions ont été très fortement axées par une contradiction Nord-Sud. Voilà pourquoi peu de chefs d’État viendront au G192 sur lequel, par des pressions, on aura réussi à jeter un seau d’eau froide !

Quelles propositions sont le plus susceptibles de recueillir l’assentiment de la majorité des pays et celles qui représentent des lignes de partage ?

François Houtard. Le G20 avait déjà rédigé ses propositions prônant une certaine régulation du système mais sans toucher aux principes de l’économie de marché, qui, à leurs yeux, a permis à des millions de personnes de sortir de la pauvreté. Mais ils oublient combien de centaines de millions d’autres ont été plongées ou maintenues dans la pauvreté parfois extrême. En restant dans ce cadre, ils proposent un peu plus de participation du Sud au FMI et à la Banque mondiale, la fermeture de certains paradis fiscaux sauf ceux anglo-saxons, une aide accrue aux pays en développement mais via le FMI.

Dans les propositions de la commission Stiglitz ayant une chance d’être acceptées, il y a le contrôle des banques et des agences de notation (c’est-à-dire des règles internationales de contrôle), la suppression du monopole du dollar comme monnaie d’échange internationale, l’abolition des paradis fiscaux, la suppression du secret bancaire, peut-être aussi des taxes internationales, l’une équivalente à la taxe Tobin sur les flux monétaires internationaux et d’autres sur les émissions de carbone (en fait déjà proposées sur les accords de Kyoto).

Quelques pas en avant pourront être faits pour transformer la Banque mondiale et le FMI en y accordant plus de pouvoirs aux pays du Sud et émergents. Le G20 propose aussi de ne plus avoir le monopole des États-Unis pour la présidence de la Banque mondiale et de l’Europe pour celle du FMI, mais qu’éventuellement, des gens d’autres pays puissent y accéder. La commission Stiglitz va plus loin en ne souhaitant pas confier les solutions de la crise aux organismes qui ont été une partie de la cause de la crise. Ces deux organismes sont devenus des instruments au service de la politique néolibérale. Il faut revenir aux fonctions de Bretton Wood : pour la Banque mondiale, le financement du développement et pour le FMI une agence d’équilibre pour les déficits commerciaux.

Beaucoup de pays, et notamment ceux du G20, sont en revanche opposés à la création de plusieurs organismes nouveaux des Nations unies, comme ils sont également opposés à l’abolition des dettes odieuses du tiers-monde.

Entretien réalisé par Fabien Perrier


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