Grenouilles, crapauds, tritons et salamandres en voie de disparition sur le continent européen

lundi 25 décembre 2017.
 

On n’a jamais vu une grenouille avec des plumes, et c’est bien dommage. Car si le déclin des espèces volatiles émeut aisément l’opinion, celui des batraciens, en revanche, la laisse froide comme leur sang. Grenouilles, crapauds, tritons et salamandres sont pourtant en mauvaise passe sur le Vieux Continent. Selon une étude réalisée à la demande de la Commission européenne par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), un quart des espèces européennes d’amphibiens - il en existe au total 85 - sont menacées de disparition et plus de la moitié (59 %) sont en déclin. Les batraciens ne sont pas seuls à péricliter. Les reptiles - serpents, lézards et tortues - sont eux aussi sur la sellette, avec 42 % d’espèces déclinantes. Au final, l’UICN classe 23 % des amphibiens et 21 % des reptiles sur la liste rouge des espèces menacées en Europe.

Les premiers se portent encore plus mal au niveau mondial, où une espèce sur trois court un danger critique. Les grenouilles arboricoles, singulièrement, ont la tête sur le billot, victimes des déforestations tropicales et d’une mycose friande de canicule. Or, le champignon a récemment mis le pied, si l’on peut dire, sur le continent européen. « Des cas ont été constatés en Espagne, en altitude et par forte chaleur », explique Alain Pagano, maître de conférences en écologie à l’université d’Angers et spécialiste du sujet. Encore limitée, cette apparition inquiète, alors que le monde se prépare au réchauffement climatique.

Mais pour l’heure, la cause principale du déclin des amphibiens en Europe est à chercher dans l’action humaine et les bouleversements qu’elle inflige à leurs habitats. Routes, voies ferrées ou encore lotissements ont peu à peu rogné sur les zones humides. Quand les constructions ne les ont pas détruites, elles les ont isolées les unes des autres, freinant le brassage des individus et favorisant une consanguinité stérile. « Quand on est une grenouille, mieux vaut courir le gueux que de se cloîtrer avec son concubin », résume Alain Pagano.

L’agriculture intensive est elle aussi en cause, entre autre du fait des pesticides qui ont contaminé les mares. Idem pour la pollution en général. L’introduction d’espèces envahissantes, enfin, est pointée du doigt. Exemple éloquent : celui de la grenouille taureau - elle meugle… -, vraisemblablement rapportée des États-Unis par un particulier. Trente ans après, elle envahit le sud de la France, bouffant les ressources des autres espèces.

Résultant de l’action humaine, la disgrâce des batraciens ne pose pas uniquement un problème éthique. « D’abord, elle est le reflet d’un mal-être plus profond de la biodiversité », explique Florian Kirchner, chargé du programme Espèces pour l’UICN-France. Par ailleurs, alors que les amphibiens, amateurs de moustiques et autres insectes, contribuent à la régulation réciproque des espèces, leur perte pourrait priver les écosystèmes de ce service, poursuit-il. D’un point de vue scientifique, enfin, ils sont les porteurs potentiels de molécules susceptibles d’intéresser l’homme. « En 2000, une grenouille à incubation gastrique (elle "couvait" dans son estomac - NDLR) a été découverte en Australie, ce qui ouvre des perspectives de remède contre les ulcères », raconte Florian Kirchner. Las, l’espèce a disparu avant qu’on ait le temps d’exploiter sa capacité à protéger ses oeufs des sucs gastriques.

Que faire pour juguler la décroissance ? Préserver et restaurer les espèces menacées et créer, à cet effet, des espaces protégés. Prendre en compte, aussi, les enjeux de la biodiversité dans les politiques sectorielles. En renonçant à l’agriculture intensive ou en révisant, si nécessaire, le tracé d’une route, voire en l’aménageant de tunnels afin que les bêtes puissent la traverser. Enfin il faut pouvoir évaluer l’efficacité des mesures engagées pour les réorienter le cas échéant. Et là, Alain Pagano est très clair : « La recherche publique n’a plus aujourd’hui les moyens, ni humains ni financiers, d’effectuer le suivi indispensable à cette évaluation. »

Marie-Noëlle Bertrand, L’Humanité


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