SUIS JE UN TRAITRE ORGANIQUE ?

mercredi 17 juin 2009.
 

A présent il règne un vague calme dans mon emploi du temps. Pas au point de me laisser du temps pour faire les courses où quoi que ce soit de semblable, mais juste assez pour pouvoir jeter des coups d’œil dans la masse des articles qui m’ont concerné au fil de la campagne. J’y trouve peu de compliments. Mais il y en a. Et je les lis avec plaisir parce que dans mon arène il pleut surtout des coups. J’y viens.

L’une des choses les plus étonnantes pour moi est l’acharnement de ceux qui vont chercher dans mon passé ce qui s’y trouve en contradiction avec ce que je dis et fais à présent. Je pense à mes choix à propos de Maastricht en particulier. En fait quelques procureurs se disant marxistes ont récupéré trois textes où je défends le traité de 1989 que les socialistes avaient déjà mis en circulation contre moi en 2005. Les uns et les autres y trouvent la preuve formelle et incontestable d’une révélation destinée à me disqualifier.

Voici le résumé de cette révélation : j’aurais changé d’avis. Qu’ai je à répliquer ? Bien sûr, je confirme que je suis bien l’auteur de tous ces textes. J’ai fait aussi de nombreux meetings en faveur du traité de Maastricht. J’ai réellement cru que c’était la bonne stratégie de construction d’un nouvel espace pertinent pour faire face au capitalisme. Puis, voyant ce que je voyais du résultat pratique, j’ai travaillé avec d’autres à essayer de comprendre pourquoi rien ne se passait comme nous avions cru que cela se passerait. Nous ne pouvions prendre appui sur aucune des critiques que nous avions entendues alors. En effet, selon ce que nous en voyions toutes se référaient à une vision dans laquelle la Nation était centrale. Cela ne correspondait pas à notre grille d’analyse. D’abord du fait de nos atavismes universalistes. Ensuite parce que notre problème était bien la centralité de l’affrontement capital travail. Je résume bien sur.

Nous avons donc commencé par là où il nous semblait qu’il fallait commencer c’est à dire par l’analyse du capitalisme de notre époque. Je veux dire que nous avons agi en matérialiste que nous sommes. Nous avons travaillé en partant de l’idée que c’est dans les ressorts de la production et de l’échange qu’une société ancre ses dynamiques particulières. Comment mettre nos pendules à l’heure sinon ? C’est alors que nous avons rédigé nos thèses sur « le nouvel age du capitalisme ». Nous le nommions « capitalisme financier transnational » Cette appellation a été reprise depuis par d’autres qui n’en connaissent sûrement pas l’origine bien modeste. Puis nous en avons tiré nos conclusions dans tous les compartiments de nos analyses.

Cela donna lieu à l’édition d’un texte paru sous le titre « Maastricht c’est fini ». De ce texte nous avons tiré un amendement pour la première Convention thématique qu’organisa en 1996 Lionel Jospin après son retour à la tête du PS sur le thème « Europe et Mondialisation ». Cet amendement fut majoritaire en voix (18 000 contre 16 000). Il fut néanmoins réputé battu ! En effet les organisateurs de la Convention instituèrent la règle selon laquelle pour être majoritaire il fallait avoir recueilli la majorité des suffrages, blancs et nuls inclus…. Cependant, à partir de ce vote, à tous les congrès et Conventions du parti socialiste sans exception, j’ai défendu cette thèse. Son argument central est que dans le nouvel age du capitalisme l’intégration économique ne peut produire l’intégration citoyenne ou les conquêtes sociales et donc la régulation que prévoyait le crédo socialiste. C’est pourquoi la thèse de notre stratégie européenne était qu’il fallait prendre le problème par l’angle institutionnel et commencer l’autre Europe que nous voulions par la démocratie et donc par une Constituante européenne.

Tout cela est aussi expliqué, si mes souvenirs sont bons, dans un livre que j’ai publié sous le titre « Rocard le rendez-vous manqué ». Je ne reprends pas ce sujet ici. Je ne vise qu’à donner l’information qui permet de comprendre un parcours politique autant qu’intellectuel. Je pense que la plupart de ceux qui produisent et reproduisent sans cesse mes textes d’avant cette période sont parfaitement informés de tout cela. Je ne leur reproche nullement de me publier de cette façon. J’estime au contraire que j’écrivais avec assez de précision et de détail pour que l’on voit mieux où je me trompais. En ce sens ces publications sont utiles car elles mettent en mots simples et bien argumentés, selon moi, un raisonnement qui a cours chez de très nombreux socialistes encore à cette heure. Ces textes permettent donc le dialogue.

Mais quel est le but de ceux qui les produisent à charge aujourd’hui contre mes positions actuelles ? S’agit-il de dire que puisque je me trompais alors je me trompe tout le temps ? Y compris quand j’arrive aux mêmes conclusions qu’eux aujourd’hui ? Non, sans doute, car ce serait trop absurde. Peut-être s’agit-il de dire que je suis coupable quant au passé et donc que je dois expier aujourd’hui par une disqualification générale de tout ce que je dis. C’est alors la vieille rhétorique judéo chrétienne du péché originel revisitée par les maoïstes et leur séance d’expiation publique des ennemis de classe. J’ironise bien sûr.

En fait les diatribes contre moi du fait de mes textes de 1989 n’ont aucune espèce d’impact sur moi. Ce qui compte c’est ce que je peux en tirer comme observation pour ma propre construction intellectuelle et celles des miens. En voici un aperçu. Je vois que pour mes procureurs, ceux qui ne sont pas de leur avis sont en réalité motivés non par des arguments mais par une réalité indépassable. Ils sont par nature des traitres où je ne sais quoi de méprisable, d’une façon essentielle. Des traitres organiques. On dirait aujourd’hui "génétiquement traitre".

Pour moi, dans la tradition des lumières, au contraire, tout est affaire d’argumentation rationnelle et de conviction intime . On peut donc convaincre tout le monde. Alors, il est heureux que l’on puisse constater qu’en effet d’aucuns changent d’avis où d’angle d’analyses. Je précise qu’alors, dans cette façon de voir, la sincérité de celui qui le fait, par définition invérifiable, compte moins que la qualité des arguments qu’il utilise pour le faire. Cet état d’esprit s’exprime de bien des façons. Par exemple pour dire que toute personne peut apprendre. Que tout fautif peut s’amender. Et ainsi de suite. Ça s’appelle l’humanisme, je pense.

Pour moi le matérialisme est un humanisme. Pas un bréviaire d’inquisiteur.


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