Après le 7 juin

jeudi 11 juin 2009.
 

Il y a un vertige de la page blanche un lendemain d’élection. En témoigne ce retour à mon clavier deux jours après un événement aussi considérable que cette élection européenne du 7 juin. S’ajoute à tout ce que l’on devine qui peut bloquer la plume, ce fait, dorénavant, que je ne peux substituer ma parole purement personnelle à celle nécessairement plus lente, parce qu’elle s’élabore collectivement, du Parti de Gauche dont je suis le porte parole. Ce qui suit n’est donc rien d’autre que quelques éclairages. L’analyse globale viendra, dès que nous aurons fini d’en convenir ensemble, cette fin de semaine. Je commence par quelque chose de personnel. Je suis élu député des 18 départements du grand sud ouest de la France au parlement européen. C’est peu de dire que j’en ressens une immense et existentielle gratitude et fierté. D’autant que je sais à quel point c’est à un spectaculaire effort de mobilisation militante que ce résultat est du. Un effort dont je n’oublie jamais qu’il ne se faisait pas pour une personne. Mais pour une cause. Si bien qu’au moment où je suis chargé d’en assurer la représentation, le mandat ainsi acquis me fait devoir d’une façon spécialement impérative. J’en viens à mes éclairages. Et d’abord à propos du coût du refus par le NPA de l’alliance dans le Front de Gauche.

L’ARDOISE DE LA DESUNION

On se souvient, c’est une façon de parler, de notre bataille pour rassembler dans le Front de gauche toute l’autre gauche. Et notamment le NPA. Au vu des résultats que ce serait-il passé ? En se contentant d’une simple addition, en excluant toute dynamique collective, le constat est vraiment très rageant. Et même accablant. Les scores, le nombre de sièges pour l’autre gauche et aussi le rapport de forces au sein de la gauche auraient été profondément changés. Et nous aurions bouleversé le paysage politique. En effet nous aurions été la quatrième force. A une toute proche encablure du PS et des Verts. Et surtout le résultat en sièges aurait été radicalement différent. Tous ensemble nous aurions pu avoir 12 élus au lieux des seuls 5 du Front de Gauche (puisque le NPA pour finir n’a aucun élu).

Ce n’est pas tout. Il faut regarder le détail de la répartition des sièges dans chaque circonscription. Nord : deux élus au lieu d’un. Est : un élu au lieu d’aucun. Et nous aurions alors privé le FN d’un siège ! Ouest : un élu au lieu d’aucun. Cette fois ci au détriment de l’UMP. En Ile de France : deux élus au lieu d’un. Là encore au détriment de l’UMP. Sud Ouest : deux élus au lieu d’un. Et dans cette circonscription nous aurions pu être la troisième force politique…Sud Est : deux élus au lieu d’un. Et surtout voici le vrai sujet de remord : nous aurions privé Le Pen de sa réélection ! Centre : un élu au lieu d’aucun. Et là, c’est à Hortefeux que nous aurions coupé les ailes ! Hortefeux, l’homme de la traque aux sans papier ! Quel symbole non ? Relisez et faites savoir : la désunion de l’autre gauche a permis à Le Pen et à Hortefeux d’être élus… Unis, nous aurions laminé le Front national. Je suis certain que les camarades du NPA n’ont jamais imaginé que leur stratégie aurait ce coût quand ils nous accusaient de façon si étroitement polémique de vouloir faire un « bon coup électoral ».

Mais peut-être auraient-il dû au moins écouter nos arguments « électoraux » en comprenant qu’une bataille électorale est une lutte dont le contenu et les résultats peuvent être tout à fait concrets. En effet, battre le Front National en le devançant comme le fait le Front de Gauche est déjà très beau. C’est un mérite de ses militants et de leur campagne. Mais sortir Le pen lui-même de la scène politique où il représente notre pays devant l’Europe, voilà qui eut été notre plus grand titre de mérite. Non ? Sans parler d’Hortefeux et sans le mettre dans la même case que Le Pen ! De cela le NPA ne semble même pas avoir conscience du tout. Et je me demande quel enseignement tire Olivier Besancenot, personnellement candidat en troisième position sur la liste d’ile de France, du fait qu’il recueille 3 % des suffrages, tandis que le Front de Gauche en fait le double ! J’imagine assez facilement ce qu’auraient été les commentaires si tel avait été mon cas dans le grand sud ouest !

UNE PROGRESSION CONCRETE

C’est la première présence du bulletin de vote « Front de Gauche » dans les bureaux de vote. A quoi comparer son résultat pour en mesurer la signification politique ? La seule comparaison possible est avec les résultats obtenus aux précédentes élections par le PCF, puisque c’est le seul parti du Front de Gauche présent à l’élection européenne de 2004. Soit. Le journal l’Humanité note que le score est en progression alors qu’il était en baisse constante pour les communistes depuis la première élection de 1979. De fait, on constate bien une augmentation des suffrages non seulement en pourcentage mais surtout en valeur absolue. Et aussi un renouvellement des électeurs. Un nombre plus grand d’électeurs. Représentant un part croissante du total de ceux qui ont voté. Des gens nouveaux pour voter. Ces faits se vérifient dans chaque bureau de vote.

Comme l’abstention a aussi frappé les bastions communistes traditionnels c’est donc que des électeurs nouveaux sont venus compenser ceux d’hier qui ne sont pas venus cette fois ci. Dès lors on doit faire ce constat qu’il existe dorénavant un électorat Front de Gauche spécifique. Et il ne se résume pas uniquement à l’addition de ceux qui votaient avant communiste même si ceux bien évidemment y sont déterminants. La progression en nombre de voix est l’aspect le plus important et le plus incontestable de ce constat. Parce qu’il s’agit de personnes réelles qui se déplacent et pas de pourcentages de quantité de gens en diminution comme c’est le cas pour les premiers Partis du tableau des résultats. C’est particulièrement frappant si l’on compare aux résultats en voix du premier tour de la présidentielle de 2007. La quasi totalité des listes perdent des voix. C’est le cas de l’UMP qui perd plus de 6 millions de voix. Le PS, plus de 5 millions. Le Modem, près de 3 millions. Le FN, 650 000. Le NPA, 400 000. Seules deux listes progressent. Europe Écologie qui gagne 1 700 000 voix. Et le Front de Gauche qui en rassemble 400 000 de plus !

Mais si l’on en revient à la comparaison avec le scrutin européen de 2004, la progression n’en est pas moins frappante. Les plus fortes progression sont dans ma circonscription du Sud Ouest avec 31,36% de voix supplémentaires. Puis dans l’est avec 30,41% de voix de plus. Une seule circonscription est en recul, le Nord-Ouest qui perd 3,03% de voix mais sur une population elle-même en décroissance.

La gauche est dans le trou

Si j’en reste là, et quelles que soient les précautions que j’ai prises avant de commencer pour signaler que je ne donnerais que quelques éclairages sans prétention globalisante, on me dira que je reste dans le triomphalisme de Parti. Rien n’est plus éloigné de moi que cette approche, à cette heure.

Pour moi la gauche est dans le trou. Le 7 juin, dans les urnes, cette Europe là, la leur, celle du traité de Lisbonne, est officiellement devenue un désert de la démocratie. Dans toute l’Europe les milieux populaires s’en sont auto-exclus par une abstention presque totale. Les élites sociales, et leurs préoccupations qui ne sont guère sociales, la dominent presque sans partage. Du coup, ce qui va mal, ira encore plus mal. En France, ubuesquement, la droite l’emporte. Toutes listes confondues, elle est majoritaire en voix. Il faut regarder cette réalité en face.

La droite marche en tête et donne le rythme au moment même où sévit une crise historique du capitalisme. C’est vrai dans toute l’Europe. Le Parlement européen sera ainsi l’un des plus à droite de son histoire. Un cauchemar. Ce n’était pas une fatalité. L’histoire aurait pu être tout autre. Les partis sociaux-démocrates dominants à gauche en Europe portent la principale responsabilité de ce désastre. Face aux partis de droite, ils n’offrent aucune alternative. Aux mieux proposent-ils, d’une façon d’ailleurs très vague, la régulation du capitalisme financier. On connait le modèle. Et on peut donner des noms. Pascal Lamy et Dominique Strauss Kahn comme horizon politique !. « Non merci » ont répondu les salariés dans tous les pays, délaissant une partie qui semblait jouée d’avance entre pareil et même.

Tous les modèles sociaux-démocrates sont en déroute. En Italie, pays des primaires, la défaite est sans appel. En Grande-Bretagne, pays du « parti unique à gauche », le Labour, l’effondrement est historique. C’est donc un problème d’orientation politique qui est posé à la social-démocratie en Europe. Hélas, mille fois hélas, c’est exactement la pente que j’avais décrite dans mon livre « En quête de gauche ».

Le Parti socialiste en France peut-il en tirer les conséquences ? Va-t-il renoncer à son alignement sur le PSE ? Va-t-il enfin renoncer à cogérer le Parlement européen avec la droite avec le groupe du PSE ? Bref va -t-il situer la source de son impuissance là où elle est c’est à dire dans son orientation social libérale dont l’adhésion au Traité de Lisbonne est le cœur ? Ça m’étonnerait. Les discours contradictoires des grands chefs et sous chefs innombrables, vont fonctionner comme d’habitude sur le modèle des pavés auto bloquant. Il ne se passera donc rien. Ou alors seulement des appels poignant à la « rénovation". A moins que ce soit à la « modernisation ». Ou l’inverse. La rénovation de la modernisation serait mieux venue. Ou bien la modernisation de la rénovation. Ca changerait un peu le refrain de ces invocations psalmodiées en cadence depuis dix ans après chaque défaite électorale.

Combien ont-elles usé de trentenaires devenus quadras et à présent quinquas ! Il est probable enfin que la rédaction d’un nouveau projet « pour dix ans » sera annoncée. Sera aussitôt mise sur pied une magnifique commission de deux cent membres pour le rédiger et cinq grand coordinateurs représentatifs des personnalités, de la parité, de la diversité, des minorités visibles et des courants pour l’animer. Ce sera la quatrième fois en sept ans que le PS se projettera sur les dix prochaines années dans un splendide parcours des feuilles de papier de l’ordinateur à la poubelle en passant par la case « amendements venus des sections ». On peut faire mieux. Sans trop de mal.

D’ici samedi, sur le site du Parti de gauche nous ferons nos propositions. Ce n’est pas le lieu ici. Ici je parle à saut et gambade de ce qui me semble devoir relever d’une parole qui va à son rythme et selon ses inclinations, sans autres limites qu’elle-même. Hum ! Et la limite de l’heure. Je vais dormir, plaisir rudement disputé aux emplois du temps depuis plus de quatre mois…..


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