"La fin de Tony Blair" tragédie social-libérale en 5 actes (25 septembre 2006)

dimanche 1er octobre 2023.
 

La fin médiatique soudaine de Tony Blair en septembre 2006 mérite d’être méditée. Tout dirigeant social-libéral s’appuyant sur les institutions et la communication marketing finira ainsi ; malheur à ceux qui mourront politiquement avec eux.

Septembre 2006 ne laissera pas un bon souvenir à Tony Blair. Lui qui a toujours surfé sur des sondages et de la communication sous forme de rapport direct à l’opinion par média interposé voit tous ces voyants passer au rouge. Même les sondages de journaux et instituts amis annoncent que les milieux populaires lui sont totalement hostiles. Des appels à son retrait émanent de la base de son propre parti lassée de son libéralisme économique et de son alignement systématique sur la politique de George Bush. Le mois s’est poursuivi par des démissions du gouvernement, un congrès hostile des syndicats, des scandales financiers, enfin une Conférence travailliste où il annonce son départ.

1) Démissions du gouvernement

Mercredi 5 septembre, 17 députés travaillistes demandent au premier ministre de préciser la date exacte où il quittera ses fonctions. Parmi les signataires se trouve un de ses "fidèles", Tom Watson, sous-secrétaire d’Etat à la défense. Tony Blair croit ruser et ne répond pas.

Mercredi 6 septembre, Tom Watson annonce sa démission du gouvernement. A son avis "il n’est pas dans l’intérêt du parti et du pays" que Blair reste premier ministre. Tony balaie le problème et remplace Watson accusé de déloyauté, discourtoisie et incorrection. Dans l’après-midi de ce mercredi, six autres membres du gouvernement démissionnent ( "assistants" des secrétariats d’Etat à l’Intérieur, Défense, Education, Trésor, Travail et retraites, Communautés)

2) Le Congrès des syndicats

Aussitôt après ces démissions, se tient le Trade Union Congress (six millions d’adhérents) durant quatre jours à Brighton. Qu’en ressort-il ?

- Incompréhension devant le nouvel appel gouvernemental à la "modération salariale" alors que le grand patronat s’est accordé 23% d’augmentation en 2005.

- Appels virulents à la réduction du temps de travail ( une grosse majorité de salariés dépasse les 48 heures heddomadaires)

- Attaques contre l’effondrement des retraites

- Condamnation des Partenariats Privé Public, cette privatisation rampante étant "plus coûteuse, nuisible au fonctionnement des services, créant des inégalités dans les conditions de travail, minant la démocratie locale et la responsabilité financière".

- Opposition à la guerre en Irak. Demande de retrait immédiat des troupes britanniques. "Nous devons tout faire pour que de telles guerres illégales et injustifiées ne soient jamais lancées de nouveau" ( Tony Woodley, secrétaire général du syndicat T & G, 850000 membres).

Tony Blair croyait avoir assagi les syndicats en appâtant ses cadres nationaux et locaux (revenus complémentaires, fonctions...). Il tombe de haut lors de ce congrès, se voyant tout au long de son discours hué et interrompu par des slogans "Oui au service public, non aux privatisations", "Retrait des troupes", "Dehors".

3) Les scandales financiers

A force de flatter "l’opinion" en lui tendant un miroir, celle-ci s’est avisée de passer de l’autre côté du miroir pour voir qui le lui présentait. Catastrophe ! L’entourage personnel de Tony Blair apparaît aujourd’hui pour "l’opinion" comme un cloaque de richissimes corrompus. Le travaillisme britannique ne méritait pas un tel déshonneur.

Son ami très proche et influent "conseiller du premier ministre pour le Moyen-Orient", Lord Levi, est interpellé par la police. Il aurait conseillé à des milliardaires de cacher au fisc leurs versements au profit politique de Blair (campagnes électorales...) ; en échange, ils pouvaient compter sur un anoblisssement à la Chambre des Lords.

Ainsi, douze milliardaires ont versé 20 millions d’euros au Labour, sous forme de "prêts". Sir Christopher Evans, un de ces 12 milliardaires, a été arrêté puis Sir Gulam Noon ( "le roi du curry"), autre milliardaire devenu lord (350000 euros versés "de la main à la main" sur le conseil de Lord Levi).

4) La Conférence annuelle du Parti travailliste

Le samedi 23 septembre, veille de l’ouverture de la conférence, à Manchester, 30000 personnes manifestent dans cette ville contre la politique étrangère du gouvernement.

Mais Tony Blair représente indiscutablement une version très "modernisée" de la "politique" conçue comme capacité à manoeuvrer "l’opinion" par les médias.

Le 25 septembre, son rival et ministre des finances Gordon Brown, intervient devant la Conférence. La presse n’analyse pas son discours mais fait ses choux gras de quelques propos fielleux sur son compte qu’aurait tenus Cherie, l’épouse de Tony.

Le 26, que va dire le premier ministre devant les délégués du Labour ?

Premier souci de Blair : bourrer la salle, pour se faire applaudir devant les caméras. Réussi.

Deuxième souci : Choisir une "image", jouer un "personnage" retransmis par les médias. Il interprète celui du héros modeste si souvent victorieux, usé par les guerres et le manque de reconnaissance qui se retirera dans l’intérêt général.

" Il est juste que ceci soit mon dernier congrès en tant que dirigeant du parti... on ne peut pas éternellement rester en fonction... Bien sûr que ce sera difficile de s’en aller... Mais ce sera juste, pour le pays, pour vous, pour le parti".

Sur les questions politiques, il concède seulement "Ce n’est pas toujours facile d’être le plus proche allié des Etats Unis".

Conclusion

Deux questions se posent aujourd’hui :

- Combien de temps faudra-t-il à la gauche et aux syndicats britanniques liés à elle pour regagner de la crédibilité auprès des citoyens britanniques après la politique libérale menée par Tony Blair emballée dans une comédie médiatique les prenant pour des benêts ?

- La gauche du Parti Travailliste n’aurait-elle pas dû sortir depuis quelques années du traquenard sans avenir que représente ce cloaque libéral et pourri pour ne pas se déconsidérer, pour préparer l’avenir avec d’autres forces ? Au minimum, elle doit se démarquer en permanence des blairistes, y compris au Parlement, sinon elle n’a aucune chance de peser sur l’avenir du pays.

Jacques Serieys, 25 septembre 2006


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