La question de l’eau dans les élections européennes

jeudi 4 juin 2009.
 

Aucune autre ressource naturelle ne mérite autant que l’eau que la Politique s’en empare afin de permettre à la société de choisir quel modèle s’adapte le mieux pour l’exploiter et la préserver : l’eau est à l’origine même de la vie sur terre, elle est une ressource vitale, elle est un bien commun de l’Humanité, et les conditions de son exploitation peuvent objectivement remettre en cause tant sa qualité que son existence même dans certaines régions du monde.

Considérant ces enjeux, il nous apparaît important de proposer une réflexion publique à la veille des élections européennes, au même titre, du reste, qu’à toutes les élections, puisque la question de l’eau se pose autant à l’échelle globale que locale.

Or, cette question est une grande absente de cette campagne, et dans les programmes des partis « dominants » de l’Union Européenne, dans les discours des dirigeants de la Commission, ce débat (comme beaucoup autres d’ailleurs) est totalement évacué. Tout se passe comme si l’eau n’était pas une question européenne, et comme si l’Union Européenne ne s’en occupait pas. Rien n’est plus faux !

Comment la Commission Européenne conçoit-elle la question de l’eau ?

Il faut d’abord connaître le cadre de travail dans lequel la Commission Européenne se place résolument : celui défini en 1994 par les accords de Marrakech, donnant naissance à l’Organisation Mondiale du Commerce (l’OMC), sur la base de l’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS) dont l’objectif clairement affiché est de renverser à l’échelle mondiale tout ce qui subsiste des normes et réglementations de l’économie planétaire, afin d’y permettre la marchandisation, c’est-à-dire l’introduction de la logique financière dans tous les secteurs de l’activité humaine.

Il faut également ne jamais perdre de vue que si chaque pays de l’Union européenne est membres à part entière de l’OMC, c’est l’Union Européenne qui négocie et agit en leur nom.

L’AGCS définit dans l’article premier ce qu’il entend par service : il s’agit de « tous les services de tous les secteurs à l’exception des services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental ». On sait quelles exceptions sont visées par cette définition : les « fonctions régaliennes » de l’Etat (armée, justice, police...). En ce qui concerne le service de l’eau, il est évident qu’il entre totalement dans la définition des services à libéraliser selon les signataires de l’AGCS.

En novembre 2001, à Doha, l’OMC donne un nouveau coup d’accélérateur dans le processus de marchandisation de l’eau, sous l’impulsion notable de l’Union Européenne dont les représentants prennent l’initiative d’une série de propositions majeures, notamment celles visant à « renforcer le soutien mutuel du commerce et de l’environnement, [convenant] de négociations, sans préjuger de leur résultat, concernant : [...] la réduction ou, selon qu’il sera approprié, l’élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires visant les biens et services environnementaux. » (Doha - déclaration ministérielle 14/11/2001). Impressionnante leçon d’éco-capitalisme donnée par l’Union européenne et l’OMC...

Mais ça n’est pas tout ! Dans les deux ans qui ont suivi, dans le droit fil des décisions de Doha, l’Union Européenne a obtenu dans le cadre de l’OMC que chaque Etat définisse dans des documents « internes » la liste des services qu’il souhaitait voir libéraliser chez les autres, et la liste des services qu’il s’engageait à libéraliser chez lui. C’est cette pratique habituelle du « donnant - donnant » dans les négociations totalement occultes de l’OMC, ce huis clos si cher aux libéraux, qui permet d’anéantir à la longue toute volonté d’un Etat - s’il y en a une ! - de résister à la pression pour l’ouverture à la concurrence de l’ensemble des secteurs d’activité !

Le secteur de l’eau figure sans surprise dans cette liste. Les ONG travaillant sur le commerce ont ainsi révélé en 2002 [1] des documents confidentiels prouvant que la Commission Européenne a demandé à pas moins de 109 pays membres de l’Organisation Mondiale du Commerce qu’ils libéralisent, au même titre que l’énergie, le tourisme et les transports, des services dits « environnementaux », et notamment le service de l’eau, dans 72 pays où des barrières existent encore entravant la marchandisation de ce secteur, tant au niveau des Etats qu’à celui des autorités locales.

Voilà ce qui vaudrait d’être révélé et discuté au grand jour à l’occasion de ces élections européennes, concernant l’orientation générale et l’action très concrète de l’UE sur cette question de l’eau, développées par le PSE et le PPE qui se partageant les pouvoirs à la tête de l’UE depuis le début des années 1990, mènent les négociations au sein de l’OMC et en conduisent la mise en œuvre. Mais la loi du silence est scrupuleusement respectée.

Il est aussi instructif d’aller lire les divers documents, propositions et communications adoptées depuis la directive du 23 octobre 2000 (consultables sur le site internet de l’UE), établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau. On y trouve des recommandations incontestablement utiles à l’échelle des 27 pays membres pour réaliser le recensement des ressources eaux souterraines, de surface, d’estuaire et côtières, ainsi que des éléments de diagnostic très précis sur la détérioration rapide de la situation, très alarmante dans certaines régions.

Cependant, aucune recommandation particulière n’a été formalisée pour impulser une quelconque harmonisation du type de gestion permettant d’atteindre les objectifs décrits dans cette directive supposés « prévenir la détérioration, améliorer et restaurer l’état des masses d’eau de surface, atteindre un bon état chimique et écologique de celles-ci, ainsi que réduire la pollution due aux rejets et émissions de substances dangereuses ; protéger, améliorer et restaurer les eaux souterraines, prévenir leur pollution, leur détérioration et assurer un équilibre entre leurs captages et leur renouvellement ; préserver les zones protégées. » (Directive du 23 octobre 2000). Cette liste d’objectifs donne froid dans le dos lorsqu’on réalise qu’elle exprime - depuis 2000 - une crise écologique très grave et clairement identifiée, qui ne fait qu’empirer, mais qui n’amène aucune mesure politique d’ampleur pour l’enrayer ! Pourquoi ? Parce que la logique libérale de construction européenne s’y oppose catégoriquement, sur ce terrain comme sur tous les autres.

De toute évidence, comme on l’a vu, la véritable préoccupation pour l’eau des dirigeants européens depuis 15 ans est ailleurs, et se joue avant tout au niveau de l’OMC où ils s’attèlent à faire sauter les verrous qui préservent encore ce bien commun de l’Humanité de la soumission complète aux lois du marché.

Changement d’ambiance...

Parallèlement à cette action très consciente des libéraux au sein de l’OMC et de l’UE pour intégrer l’eau à la sphère marchande, il faut reconnaître que c’était généralement la résignation politique qui prévalait jusqu’à la fin des années 1990 en France et dans le monde, lorsqu’il s’agissait de concevoir cette ressource et d’en choisir le mode de gestion. Au nom le plus souvent d’un « pragmatisme » technique, d’un renoncement aux valeurs, ou d’une franche indifférence... et parfois, il faut aussi le dire, par la mise en place d’un système très au point de compromission et de corruption, personne ne semblait pouvoir résister à l’emprise planétaire de Véolia, Suez, Thames-Water et Aquamundo sur le « marché mondial de l’eau ».

Mais l’ambiance a changé depuis quelques années. Longtemps réservée aux spécialistes du secteur, aux gestionnaires, à quelques écologistes et à une avant-garde éclairée, cette question éminemment politique de la gestion de l’eau est revenue en force dans le débat public depuis la fin des années 1990, au moment où se révèle au grand jour, avec la crise économique et écologique, la réalité prédatrice et destructrice du nouvel âge du capitalisme.

De plus en plus de citoyens prennent conscience aujourd’hui qu’il est inconcevable - pour le moment - de traiter l’eau comme n’importe quelle autre ressource, comme le souhaiteraient les libéraux. Comme on l’a déjà dit, l’eau contient pour l’Humanité consciente des conditions nécessaires pour sa survie une valeur fondamentale qui dépasse de loin le simple statut de matière première. C’est ainsi que l’eau est partout admise comme un bien commun de l’Humanité, irrévocablement, et lorsque on tente brutalement de remettre en cause cela, au nom d’intérêt privés, le peuple sait se défendre, et en se défendant, il peut même en profiter pour prendre conscience que d’autres domaines sont peut-être comparables : l’énergie, la santé, l’alimentation... C’est exactement ce qui s’est passé depuis quelques années.

C’est d’abord en Amérique du Sud que la mécanique bien huilée de l’AGCS s’est grippée, et singulièrement en Bolivie, où une véritable guerre de l’eau a éclaté au début de l’année 2000, lorsque la « loi 2029 », prévoyant la privatisation de l’eau douce, a été adoptée par le gouvernement de l’époque. Au-delà de la mise en échec de cette loi par la véritable insurrection populaire qu’elle a provoqué, il faut réaliser que cette bataille de l’eau a été l’un des facteurs décisifs de l’arrivée d’Evo Morales à la Présidence de la République, entraînant la véritable révolution politique et sociale qui se poursuit depuis, avec - bien entendu - le retour intégral de l’eau dans le domaine public, mais aussi, les nationalisations réalisées dans tous les secteurs stratégiques de l’économie Bolivienne. Sous la pression des peuples, s’appuyant sur l’exemple Bolivien, c’est dans la quasi-totalité des pays d’Amérique du Sud que depuis 2003, les contrats passés sur l’eau avec des multinationales sont remis en cause, et qu’une alternative globale à la mondialisation libérale se construit peu à peu.

En France aussi, la donne a aussi profondément changé. Bien sûr, milieu des années 1990, la révélation du « scandale de l’eau » à Grenoble et la condamnation pour corruption du maire de l’époque avait révélé au grand jour les pratiques constitutives d’un certain « modèle français de l’eau », qui fait que sur les 36.000 communes de la République Française, ce sont plus de 20.500 (70% des habitants) qui ont choisi depuis plus ou moins longtemps de déléguer ce service public à des entreprises privées. Mais c’est 10 ans plus tard que de véritables mobilisations citoyennes ont commencé à se structurer, au travers d’initiatives comme « l’appel de Varage » en 2005 réunissant des milliers d’élus et de responsables d’associations se positionnant pour un retour en gestion publique de l’eau potable, au travers de la publication par « UFC - Que Choisir » d’une série d’enquêtes sur les surtarifications scandaleuses pratiquées par les concessionnaires ; au travers d’innombrables actions locales engagées par des collectifs citoyens des organisation politiques et des associations... Cette prise de conscience culminant l’an dernier lors des élections municipales, où - comme à Paris notamment - la question du mode de gestion de l’eau a été posée avec force dans le débat. Et là encore, les citoyens qui mènent ces actions en défense de l’eau, découvrant la réalité d’un « modèle français de l’eau » abandonné depuis tant d’années au secteur privé, redécouvrent l’évidence de la contradiction entre l’intérêt général et l’intérêt privé. Eclairés par leur lutte pour la gestion publique de l’eau, ce sont les mêmes militants que l’on retrouve de plus en plus nombreux dans les autres batailles qui se multiplient pour la défense d’un hôpital, d’un bureau de poste, d’une ligne SNCF...

Face à ce pouvoir « contaminant » de l’eau pour développer le sens de l’intérêt général, on comprend pourquoi - pour les dirigeants actuels de l’Union Européenne - le débat public des élections du 7 juin doit faire l’impasse sur cette question.

Trois propositions pour une gestion publique de l’eau à l’échelle européenne !

Le Parti de Gauche défend depuis son congrès de fondation le principe d’un retour en gestion publique de l’eau. Au sein du Front de Gauche à l’occasion des élections européennes, les candidats et militants du parti de gauche défendent l’idée que seule une gestion publique du service de l’eau, organisé à l’échelon européen, peut assurer l’intérêt général et la préservation de la ressource, en s’appuyant notamment sur trois arguments politiques parfaitement accessibles à tous les citoyens pour leur permettre - sur cette question comme sur toutes les autres - d’émettre le 7 juin un choix quant au modèle de construction européenne qu’ils souhaitent valider démocratiquement.

1 - Il faut une gestion publique du service de l’eau en Europe pour une raison sociale. Une mesure phare mise en œuvre dans les 27 pays de l’UE consisterait à assurer la gratuité des premiers m3 d’eau consommés par les ménages. Cette mesure tendant à réhabiliter l’eau potable comme un bien commun indispensable à la vie, conformément à ce que proposent les ONG militant à l’échelle mondiale pour la garantie d’une quantité minimum d’eau potable gratuite.

2 - Il faut une gestion publique du service de l’eau en Europe pour une raison écologique. Une mesure phare mise en œuvre dans les 27 pays de l’UE consisterait à mettre en place la progressivité du prix en fonction des volumes consommés, tant par les ménages que par les entreprises. Cette mesure serait tout à fait révolutionnaire, puisqu’elle inverserait complètement la logique actuelle qui veut que les plus gros consommateurs - et gaspilleurs - de l’eau (dans l’agriculture et l’industrie) paient moins cher cette ressource que les particuliers, pour qui elle est souvent un besoin vital. Cette progressivité introduirait en outre pour tous - individus, entreprises, collectivités locales, Etat - l’incitation à utiliser cette ressource précieuse et rare dans une gestion raisonnée et sobre.

3 - Il faut une gestion publique du service de l’eau en Europe pour une raison républicaine. Une mesure phare mise en œuvre dans les 27 pays de l’UE consisterait à mettre en place la péréquation tarifaire à l’échelle d’un territoire. Il est inadmissible qu’à l’échelle nationale l’écart des prix soit à ce point fluctuant, comme l’ont montré les enquêtes d’ « UFC Que Choisir ». Pour assurer - comme pour l’électricité ou le courrier en France par exemple - une égalité républicaine dans l’accès au service de l’eau, il faudrait donc à terme mettre en place une péréquation tarifaire nationale - peut être même plus large encore - impliquant un grand service public de l’eau.

Mais sans attendre cela, il est encore plus inadmissible qu’à l’échelle d’un bassin (parfois d’une commune à l’autre) le prix du m3 passe du simple au double. Il s’agit donc, dès que possible, d’assurer une péréquation tarifaire à l’échelon local, sur le territoire le plus vaste.

Mener de Front le combat social, écologique et républicain, c’est la définition même du Parti de Gauche qui se retrouve sur cette question de la gestion publique de l’eau. Voilà un grand défi pour la Gauche toute entière, que seul un large front populaire, durable et conquérant, pourra relever dans les années qui viennent.


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