Remettre le combat laïque sur les bons rails (treize opinions, treize textes. Point de vue de Robert Duguet)

jeudi 30 juillet 2020.
 

1) La laïcité sous la 5ème République

2) Le mouvement ouvrier et la bataille laïque

3) La république bourgeoise et franc-maçonne face à l’héritage révolutionnaire

4) Spécificité de l’Eglise catholique

5) La Vème République et les lois anti laïques

6) La trahison « socialiste » de 1983-1984

7) La politique de Jack Lang et le protocole Lang-Cloupet

8) 1994, la dernière offensive laïque

9) Les manœuvres de diversion : la question du foulard islamique

10) Les ambiguités de la ligne républicaine…

11) Au bout de la chaîne Riposte laïque ou la dérive outrancière

12) Une « discussion » de Riposte Laïque avec Henry Pena Ruiz

13) Quelques éléments de conclusion

1) La laïcité sous la 5ème République

La Vème République et tous ses gouvernements ont méthodiquement porté atteinte à la laïcité de l’école et de l’Etat. Nicolas Sarkozy est allé se prosterner devant Benoit 16 au Vatican en décembre 2007, en rupture avec toutes les traditions de la République Française. Jean-Marc Ayrault a assisté à l’intronisation du pape François 1er. Même De Gaulle, général maurrassien, avait traité avec indifférence le titre honorifique de « chanoine du Latran », que la hiérarchie catholique accorde aux présidents de la République Française, l’église marquant par là sa volonté de continuer à reconnaître la France comme « la fille aînée de l’Eglise ». Pompidou avait refusé cette distinction relevant du droit canonique catholique. Néanmoins la mise en cause des valeurs instituées par la Révolution Française n’est pas un cas d’espèce réservé à la droite, simplement, à l’image de sa politique sociale, avec ses prétentions de petit histrion bonapartiste, Sarkozy va un peu plus loin que les autres. Laïcité amputée, laïcité défigurée, aujourd’hui c’est la question de la destruction de l’Etat laïque qui est posée, au nom d’une prétendue « laïcité » moderne, qui n’est pas autre chose qu’une adaptation aux institutions de l’Union Européenne, d’une éducation privée associée aux projets de reconfessionnalisation du corps social, compatible avec le principe de la « concurrence libre et non faussée ». C’est l’Europe de la mondialisation capitaliste, qui s’est donnée pour drapeau la couronne d’étoile sur fond bleu, cet emblème n’étant pas autre chose que le symbole du culte de la vierge Marie dans la religion catholique. Europe des traités, qui de Maastricht à Lisbonne font référence centrale au « principe de subsidiarité », forme modernisée de la vieille doctrine économique de l’Eglise, manteau idéologique de l’Occident chrétien. Qui veut comprendre ce qui se passe, doit honnêtement exercer un droit d’inventaire, sur ce qui s’est passé depuis le début de la Vème République, mais aussi depuis l’élection de François Mitterand en mai 1981. Tout doit être passé au crible du libre examen…

Au moment où une attaque centrale contre un principe fondateur de la laïcité de l’école, celui du monopole d’Etat de la collation des grades universitaire, vient d’être pris par voie de décret, suscitant une émotion profonde chez nos concitoyens, il convient de faire ce travail, notamment aussi pour rejeter les utilisations politicardes ou frauduleuses de la laïcité, comme celles auxquelles se livre le journal « Riposte Laïques » à longueur de colonnes.

Travaillant actuellement sur des écrits de Marceau Pivert portant sur les rapports de l’église et de l’école, de l’église et de l’état, je place en exergue de cet article un extrait de la conclusion du livre de Marceau, ce dirigeant socialiste révolutionnaire, qui a forgé son tempérament et sa pensée dans la bataille laïque. Combien ces éléments de sa conclusion sont d’une éblouissante actualité… nous étions en 1932, comme vous savez c’était la veille de 1933, nous sommes à l’automne 2008 entrés dans une crise du mode de production capitaliste aussi sinon plus menaçante pour toute la civilisation humaine.

« Dans la société où le capitalisme se révèle pourvoyeur de guerre et de chômage, à une époque où des millions et des millions d’êtres humains sont jetés dans la misère ou massacrés sur les champs de bataille par le seul jeu d’un monstrueux régime d’exploitation, les principes essentiels d’une laïcité telle que nous l’avons définie apparaissent bien comme une sorte de « catégorie mentale » du prolétariat révolutionnaire. En elle se retrouve l’esprit d’indépendance, la réaction contre l’autorité, le besoin de justice et de raison de la vieille civilisation grecque. En elle se symbolise tout l’effort des travailleurs en lutte continuelle contre les forces de la nature et les iniquités sociales. En elle se réfugie le véritable optimisme humain, réaliste et scientifique, diamétralement opposé au pessimisme chrétien qui ne peut pas imaginer l’homme en dehors d’un gendarme pour le punir ou d’un prêtre pour l’absoudre. En face d’une société corrompue, d’une classe bourgeoise qui revient à la religiosité et au mysticisme, qui n’a plus confiance dans la valeur de l’intelligence humaine et qui se blottit peureusement, abdiquant toute dignité, à l’ombre des églises et des hiérarchies ecclésiastiques, oui, la classe ouvrière demeure le seul support de la laïcité, la seule sauvegarde du libre examen. »

Marceau Pivert, extrait de la conclusion du livre « L’église et l’école » (1932)

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2) Le mouvement ouvrier et la bataille laïque

A la fin du règne de Louis XVI, un jeune noble anticlérical d’Abbeville, refuse de se découvrir au passage d’une procession. Il est condamné et supplicié. Dans les années qui précéderont le vote de la loi de 1905, le mouvement ouvrier et les libres penseurs manifestaient traditionnellement tous les ans aux pieds d’un monument qui porte l’inscription suivante :

« Monument élevé par le prolétariat au chevalier de La Barre pour l’émancipation complète de la pensée humaine. »

La première fois que j’ai participé à une manifestation laïque dans cette ville, l’inscription m’avait frappé par son contenu politique tellement éloigné de ce que nous avons vécu durant les dernières décennies. La laïcité ayant été tellement pervertie, notamment depuis 1981 et l’émergence des majorités de gauche à la direction du pays, tellement utilisée à droite comme à gauche par des manœuvres politicardes, qu’il est utile de revenir aux racines.

Portée par l’élan de la grande révolution bourgeoise et les travaux de la Législative, le plan Condorcet, salué par Jaurès dans son Histoire de la Révolution Française, pose le projet d’une instruction publique laïque, fondée sur l’enseignement de la science positive. Dès Thermidor et tous les régimes semi-monarchistes ou bonapartistes qui se succéderont au cours du 19ème siècle, la bourgeoisie ne reconnaîtra pas son propre enfant. Face aux classes dangereuses, elle préférera le concordat, c’est-à-dire un régime où l’Etat s’appuie sur l’autel, et ce que Marx nomme « la gendarmerie des consciences ».

A la « forme enfin découverte de l’émancipation du travail », caractérisation que Marx porte à l’endroit de la Commune de Paris, se posent d’emblée les bases institutionnelles indispensables « à l’émancipation complète de la pensée humaine ». Le prolétariat pousse les feux, c’est lui met à l’ordre du jour l’affranchissement de la pensée. Ainsi on trouve au journal Officiel de la Commune (n° du 20 avril 1871), les textes suivants :

« Les délégués de la société « L’Education Nouvelle » ont été reçus hier par les membres de la Commune, auxquels ils ont remis une requête :

« A la Commune de Paris,

Considérant la nécessité qu’il y a dans une République à préparer la jeunesse au gouvernement d’elle-même par une éducation républicaine qui est à créer ;

Considérant que la question d’éducation, laquelle n’est exclusive d’aucune autre, est la question mère, qui embrasse toutes les questions politiques et agricoles, et sans la solution de laquelle il ne sera jamais fait de réformes sérieuses et durables ;

Considérant que les maisons d’instruction et d’éducation entretenues par la commune ou par le département ou par l’Etat doivent être ouvertes aux enfants de la collectivité, quelles que soient les croyances intimes de chacun d’eux ;

Les soussignés demandent d’urgence, au nom de la liberté de conscience, au nom de la justice :

Que l’instruction religieuse ou dogmatique soit laissée tout entière à l’initiative et à la discrétion libre des familles, et qu’elle soit immédiatement et radicalement supprimée, pour les deux sexes, dans toutes les écoles, dans tous les établissements dont les frais sont payés par l’impôt ;

Que ces maisons d’instruction et d’éducation ne contiennent, aux places exposées aux regards des élèves ou du public, aucun objet de culte, aucune image religieuse ;

Qu’il n’y soit enseigné ou pratiqué en commun ni prières, ni dogmes, ni rien de ce qui est réservé à la conscience individuelle ;

Qu’on n’y emploie exclusivement que la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part toujours de l’observation des faits, quelle qu’en soit la nature, physiques, moraux, intellectuels ;

Que toutes les questions du domaine religieux soient complètement supprimées dans tous les examens publics et principalement dans les examens pour brevets de capacité ;

Qu’enfin les corporations enseignantes ne puissent plus exister que comme établissements privés ou libres.

La qualité de l’enseignement étant déterminée tout d’abord par l’instruction rationnelle, intégrale, qui deviendra le meilleur apprentissage possible de la vie privée, de la vie professionnelle, de la vie politique et sociale - la société l’Education nouvelle émet, en outre, le vœu que l’instruction soit considérée comme un service public de premier ordre - qu’en conséquence elle soit gratuite et complète pour tous les enfants des deux sexes, à la seule condition du concours pour les spécialités professionnelles.

Enfin, elle demande que l’instruction soit obligatoire, en ce sens qu’elle devienne un droit à la portée de tout enfant, quelle que soit sa position sociale et un devoir pour les parents ou pour les tuteurs ou pour la société.

Au nom de la société « l’Education Nouvelle a, les délégués nommés à la séance du 26 mars 1871 à l’Ecole Turgot : Henriette Garotte, J. Manier, J. Rama, Rheimo, Maria Verdure, »

Le Journal Officiel ajoute :

« Il a été répondu aux délégués que la Commune était entièrement favorable à une réforme radicale de l’éducation dans le sens qu’ils indiquaient ; qu’elle comprenait l’importance capitale de cette réforme et qu’elle considérait la présente demande comme un encouragement à entrer dans la voie où elle était résolue à marcher. »

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3) La république bourgeoise et franc-maçonne face à l’héritage révolutionnaire

Lorsque le parti bourgeois républicain fonde en 1876 la 3ème République, il est conduit à s’opposer à une partie de la classe dominante qui reste attachée aux régimes concordataires et qui est hantée par le spectre des révolutions. Le spectre de 1848 est là. Le besoin pour des raisons d’expansion du capitalisme d’une classe ouvrière qualifiée conduit les Jules Ferry, Ferdinand Buisson, Gambetta et autres libéraux à séculariser partiellement l’Etat et laïciser l’école, la rendre obligatoire du moins pour son cycle élémentaire. La laïcité de la 3ème République n’a rien d’un temple d’union, où les classes sociales se réconcilient dans les valeurs d’un rationalisme abstrait et universel, pensé dans l’espace des loges maçonnique. En fait la bourgeoisie évoluera toujours sur la question laïque en fonction de sa confrontation permanente avec d’un côté ses ennemis féodaux et de l’autre la montée prolétarienne. Elle se jette avec fureur du côté du parti clérical avec Thiers, avec la loi Falloux après l’explosion révolutionnaire de 1848, puis, en fonction des besoins propres du capitalisme français, se place timidement avec Jules Ferry du côté des lois laïques. Le même Jules Ferry qui considérera que pour l’empire colonial, les frères ignorantins des écoles chrétiennes suffiront largement pour enseigner les petits arabes.

Le dernier acte significativement progressiste de la bourgeoisie républicaine sera la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat du 9 décembre 1905, où cette dernière fait entrer dans sa constitution le principe de « la liberté absolue de conscience », qui a pour conséquence directe que : « la république ne salarie et ne subventionne aucun culte… » Il s’en suit une série de dispositions très précises qui engage le processus définitif de séparation du domaine de la citoyenneté et de celui de la liberté privée. La loi de 1905 est un cas d’espèce, aucune des législations européennes, ne parlons pas de la constitution américaine, n’a poussé aussi loin ce processus d’affranchissement de la pensée. Par exemple le délit de blasphème est toujours inscrit dans la constitution allemande, italienne ou espagnole. L’esprit de 1905 en fait s’éteint avec le début de la première guerre mondiale. La bourgeoisie regarde à nouveau vers la religion, et les toutes premières mesures anti laïques datent des lendemains du premier conflit mondial. C’est avec la Vème République que s’ordonne avec la mise en place d’un régime bonapartiste des dispositions qui relèvent d’un esprit concordataire, à travers le financement de l’école confessionnelle. Ni les majorités républicaines n’ont été capables de régler la question des statuts d’exception d’Alsace et Moselle, héritage des bottes de Bismark, ni les majorités socialistes d’appliquer le mandat laïque et de remettre en cause la législation issue du coup d’Etat gaulliste.

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4) Spécificité de l’Eglise catholique

A la différence des communautés musulmanes, juives ou protestantes, l’église catholique est organisée comme un Etat dans l’Etat, une théocratie face à l’Etat. C’est le bonapartisme qui a imposé dans l’histoire la constitution d’instances représentatives de ces religions en face de l’Etat. Napoléon 1er avec la création du Consistoire pour les juifs. Puis plus tard la fédération protestante de France. Et ce cher Chevènement avec son Islam de France. Mais ni les juifs, ni les protestants, ni les musulmans ne se considèrent représentés par ces instances, cela ne correspond absolument pas à leur culture religieuse. De plus depuis les lois mussoliniennes, les accords du Latran de 1922, le Vatican est reconnu comme un état. Aucun gouvernement démocratique bourgeois, ni aucune majorité de gauche, n’a été capable de remettre en cause cet état de fait étranger à la démocratie imposé par des lois fascistes. Mieux, on a maintenant un président de la République qui va faire allégeance aux pieds de leur sainteté Benoît 16 pour déclarer que le curé sera toujours supérieur à l’instituteur.

La France est ce vieux pays où les affrontements entre les communautés religieuses, au moment du développement de la religion réformée au 16ème siècle, conduisit à une longue guerre civile. C’est le philosophe Montaigne, alors édile de la ville de Bordeaux, qui formule déjà la nécessité de la laïcité des institutions publiques. Le problème de la laïcité en France s’est toujours posé par rapport à l’église catholique. Le processus de séparation de 1905 est l’aboutissement d’un long processus historique de lutte pour rompre les liens du trône et de l’autel. La question des empiétements des autres communautés par rapport à la laïcité est parfaitement secondaire. Si d’autres communautés aujourd’hui empiètent elles aussi sur le domaine de la citoyenneté, que l’Etat commence par balayer devant sa porte et rompe, conformément à l’article 2 de la loi de 1905, avec l’Eglise catholique. Le mouvement ouvrier défend la rupture du Concordat, la religion affaire privée, la religion libre dans l’Etat libre de toute prise de position religieuse. Il refuse l’entreprise de « gendarmerie des consciences », contenue dans le Concordat, qui implique que le pouvoir civil est l’auxiliaire et le bras séculier du pouvoir spirituel.

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5) La Vème République et les lois anti laïques

Le régime bonapartiste qui se met en place en 1958 prend des mesures d’emblée concordataire : la loi Debré subventionne l’enseignement privé, catholique à 90%. Le 19 juin 1960, 500 000 laïques, représentant 10 millions de pétitionnaires, se rassemblent à Vincennes :

« Nous délégués des pétitionnaires des communes de France, représentant 10 813 697 françaises et français de toutes origines et de toutes opinions, ayant signé la protestation solennelle contre la loi scolaire de division du 31/12/1959, faisons le serment solennel :

- de manifester en toutes circonstances et en tout lieux notre irréductible opposition à cette loi contraire à l’évolution historique de la nation ;

- de lutter sans trêve et sans défaillance jusqu’à son abrogation ;

- et d’obtenir que l’effort scolaire de la République soit uniquement réservé à l’école de la Nation, espoir de notre jeunesse. »

A l’issue de ce rassemblement le CNAL (Comité National d’Action Laïque), dont l’axe organisateur est le syndicalisme unitaire enseignant, la FEN et le SNI. Le mouvement ouvrier, sous sa forme syndicale et politique soutient. De même le courant humaniste, particulièrement le Grand Orient de France.

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6) La trahison « socialiste » de 1983-1984

Elle n’éclate pas comme un éclair au milieu d’un ciel serein, elle est le produit d’une longue évolution rétrograde, en particulier de la majorité UID (Unité Indépendance et Démocratie) de la FEN, proche d’une fraction du courant mitterandiste du PS ; je dis proche du mitterandisme. Toutefois un certain nombre de responsables mitterandistes, notamment Louis Mexandeau, alors responsable de la délégation du parti à l’enseignement, sont souvent opposés à la direction de la FEN. Au sein de la fédération syndicale unitaire enseignante, le courant Unité et Action, alors lié organiquement au PCF, combat pour une laïcité ouverte. Il faut le dire très clairement : c’est le courant Unité et Action, impulsé au sein de la fédération unitaire par le PCF, qui le premier a instillé le poison de la prétendue « laïcité ouverte ». Le mot d’ordre des fonds publics à l’école publique, fonds privés à l’école privée n’est plus au premier plan. Pour mieux comprendre il faut rappeler que c’est l’époque où le PCF est sur la ligne de l’ouverture aux chrétiens et où l’homologue italien du PCF défend la ligne du compromis historique avec la Démocratie Chrétienne. En 1971, le nouveau parti socialiste est constitué à Epinay, ouvrant sa représentation aux personnalistes chrétiens salués par le discours inaugural de François Mitterand, c’est-à-dire à des fractions de l’église catholique « Vie Nouvelle » et l’ACO (Action Catholique Ouvrière). En 1972 le CNAL tient un colloque où pour la première fois apparaît la notion « d’unification » laïque, notion qui n’a plus rien à voir avec le mandat laïque de 1960. En outre, pour la première fois, le cartel d’organisations soutenant l’action du CNAL est élargi à la CFDT, c’est-à-dire aux tenants même déconfessionnalisés en 1964 de la doctrine sociale de l’église.

Le PS arrivant au pouvoir reprend à son compte le programme de la FEN. Le passage de Louis Mexandeau au ministère des PTT, qui s’était marqué dans la période précédente pour ses prises de position intransigeantes pour l’abrogation des lois Debré et Guermeur, au profit d’Alain Savary n’est pas anodin. Savary dira à la droite qui l’attaque : « nous avions le pouvoir d’abroger les lois anti laïques en une nuit, nous ne l’avons pas fait… »

Le cours politique nouveau démarré dans les années 1971-1972 allait avec l’exercice du pouvoir révéler une véritable trahison. Qu’était la soi-disant « unification laïque » ? un projet négocié avec la hiérarchie catholique reconnaissant le caractère propre de l’école confessionnelle au sein d’un service unique, tandis que l’école publique elle-même pouvait éclater en autant de projets propres qu’il y a d’écoles sur le territoire. La loi Savary mit les deux France dans la rue l’une contre l’autre, mais comme le gouvernement se soumettait aux conditions fixées par l’adversaire, ce fut l’adversaire qui gagna. La hiérarchie catholique qui ne pouvait accepter que les personnels de ses écoles ne soient fonctionnarisés rompit les accords. Le camp laïc essuya une défaite historique. De nombreux militants socialistes quitteront le PS, des fédérations entières se fissureront. De là date la mise en sommeil du CNAL et sa quasi-disparition, puis l’éclatement de la FEN quelques dix ans plus tard.


7) La politique de Jack Lang et le protocole Lang-Cloupet

Jack Lang étant ministre de la culture, un projet de construction de cathédrale à Evry, partiellement financé par des fonds publics, sous couvert de subventions à un musée d’art sacré dans l’enceinte de l’édifice, est mis en œuvre en 1992. La pilule sur le plan architectural est présentée par une mise en parallèle du rite catholique et de la symbolique maçonnique (l’édifice se présentant sous la forme d’une colonne tronquée) : l’unité entre les deux cultures, la culture laïque et la culture chrétienne, c’est la ligne du Parti d’Epinay. Une première grande rupture intervenant sous un gouvernement socialiste, avec la loi de 1905. Un protocole d’accord signé entre avril 1992 et mars 1993 entre Lang et le chanoine Cloupet, secrétaire général de l’enseignement catholique, instaure la parité public-privé pour les personnels de l’enseignement privé. Les signataires appellent cela : « du droit et de la reconnaissance de la contribution de l’enseignement privé au système éducatif ». La loi Savary stipulait : « l’enseignement privé concourt au service public… » La même logique que celle de 1984 continue de s’appliquer. Le contentieux est énorme entre la gauche institutionnelle et les militants laïques. Jack Lang se distinguera par la suite en autorisant les adventistes du septième jour à ne pas aller en cours le samedi. Il marquera aussi sa volonté d’intégrer les écoles Diwan en langue bretonne dans le service public ; rappelons que le fondateur Diwan de cette école en langue bretonne était un séparatiste qui a fini dans les wagons de la collaboration avec les nazis : les indépendantistes bretons, courant fort heureusement ultra-minoritaire, avaient cette particularité, c’est qu’ils ne passaient pas par Pétain, ils négociaient directement avec la gestapo…


8) 1994, la dernière offensive laïque

On se souvient du combat de Victor Hugo contre la loi du vicomte de Falloux, représentant du parti clérical qui impose au pays une loi faisant passer l’enseignement semi-public primaire sous la coupe du clergé. Toutefois, en matière d’aide à la construction d’écoles privées catholiques, les pouvoirs publics limitaient la subvention accordée à 10% du coût de construction. Après la défaite du PS aux législatives de 1993, l’offensive contre la laïcité reprend. Monsieur Bayrou étant ministre de l’éducation, la loi Bourg-Broc levait la limitation de l’aide publique à 10% et donc proposait que la loi Falloux, loi antilaïque s’il en est et jamais abrogée, soit encore aggravée. Mitterand fait un croc en jambes à la droite et refuse de signer. Partis sur un coup politique, les premiers surpris par la mobilisation furent les organisateurs de la manifestation du 16 janvier 1994, un million de personnes défilent pour le retrait du projet gouvernemental visant à libéraliser totalement le taux de financement à l’investissement pouvant être attribué par les collectivités territoriales aux établissements privés.

300 000 bretons ouvriront le cortège et les manifestants présents depuis le matin ne commenceront à défiler que le soir à 18 heures !

Le projet gouvernemental est retiré. Alors que cette mobilisation représentait un véritable appel d’air pour laver la défaite de 1984, les grandes organisations, notamment la FSU, qui vient de réaliser une percée spectaculaire aux élections professionnelles en reprenant le drapeau du syndicalisme unitaire maintenu, restent l’arme au pied. Un million de personnes dans la rue, et on se contente de faire retirer un projet réactionnaire, sans contre-attaquer !

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9) Les manœuvres de diversion : la question du foulard islamique

Au terme de ce rappel historique, nous insistons sur le fait que le combat laïque a une carte d’identité, il revendique la rupture définitive entre le pouvoir, les services publics et les religions ; en France cette question s’est toujours concentré sur les rapports spécifiques de l’Etat et de la hiérarchie catholique ; les laïques revendiquent l’application intégrale du principe républicain de 1905, la République ne subventionne aucun culte ; fonds publics à l’école publique ! Nous avons connu depuis bien des manœuvres de diversion.

C’est le cas des affaires qui ont tourné autour du port du foulard. La première remonte à 1989 dans un collège de Creil, dont le proviseur sera ensuite candidat du RPR aux élections législatives qui suivront. Une campagne médiatique outrancière monte en flèche le fait que trois élèves refusent de retirer leur voile à la porte de l’établissement scolaire. C’est aussi l’époque où l’Elysée et François Mitterand en particulier utilise la question du vote des immigrés dans les élections locales pour diviser la droite et favoriser le vote populiste en faveur de Le Pen. La question du foulard est purement et simplement une manœuvre politicienne qui n’a pas grand-chose à voir avec le combat des laïques.

A l’époque un courant jouant sur ses relations au sein du Grand Orient de France, avec le soutien de plusieurs associations (dont Europe et Laïcité et le CNAFAL), se déchaîne contre le port du voile à l’école. Ainsi donc les trois gamines de Creil menaceraient la puissante République une et indivisible et la ferait trembler sur ses bases… Bernard Teper, un des responsables de cette mouvance montera en 1992 un éphémère mouvement politique, Initiative Républicaine.


10) Les ambiguités de la ligne républicaine…

Après la défaite laïque de 1984, le PS connaîtra une première hémorragie ; de nombreux militants le quitteront en raison de la trahison du mandat laïque que représentait la loi Savary, assortie à l’époque de plans de réforme du lycée (rapport Prost) et du collège (rapport Legrand) largement rejetés par la profession enseignante. Des fédérations entières du parti se casseront en deux. Le départ de nombreux militants accroîtra encore le poids des élus dans le contrôle de l’organisation politique. Parmi ces militants beaucoup chercheront des engagements qui, à leurs yeux, pouvaient leur permettre de continuer le combat laïque. Les années 1984 verront un mouvement vers la franc maçonnerie, en particulier le Grand Orient. Sain au point de départ ce mouvement sera progressivement endigué dans les limites offertes par l’organisation qui les accueillait. Quelque part il y avait la nostalgie de la république franc-maçonne, l’illusion d’une laïcité « centre de l’union » et bien des ambiguïtés sur la question du voile, par exemple…

Le mouvement Initiative Républicaine jouera un rôle dans la naissance de la Coordination Nationale de la Gauche Républicaine ou Gauche Républicaine dans la perspective de rassembler l’ensemble de l’arc politique de la gauche républicaine. Son secrétaire national est l’ancien député Pierre Carassus. On retrouve dans ce rassemblement l’Association pour une Gauche Républicaine, Initiative Républicaine (Bernard Teper), le club Société et Démocratie, des dissidents du MRC et plusieurs groupes locaux. Le projet politique de la CNGR se définit par sa fidélité aux valeurs fondatrices de la Révolution Française, telles qu celles-ci sont définies dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et du programme du Conseil National de la Résistance.

La montée de la discussion dans l’électorat socialiste et au sein du PS à la fin de l’année 2004 conduit un certain nombre de ses membres à adhérer ou réadhérer au PS, tandis qu’une partie des autres soutiennent le PCF. En 2005 la CNGR jouera un rôle dans la campagne et au sein des collectifs pour le non au TCE ; Par la suite elle participera aux collectifs du 29 mai, qui ont rédigé la charte antilibérale, ainsi qu’au collectif national d’initiative pour un rassemblement antilibéral de gauche et des candidatures communes, en vue des élections présidentielles de 2007. En juillet 2006, la CNGR, rebaptisée Gauche Républicaine et le Mouvement pour une alternative républicaine et sociale annoncent leur rapprochement, qui doit aboutir à terme à la fusion des deux organisations. Les deux mouvements fusionnent le 27 mars 2007 et donnent naissance au MARS-Gauche Républicaine. Lorsque les courants Forces Militantes (Marc Dolez) et PRS (Jean Luc Mélenchon) rompent avec le PS au congrès de Reims (octobre 2008) pour fonder le Parti de Gauche, le MARS de Eric Coquerel rejoint le nouveau parti.

La gauche républicaine, comme son nom l’indique, se fonde sur les valeurs de la République, pas sur le socialisme, c’est une composante « républicaine » qui a sans doute sa respectabilité, ce n’est pas une orientation anticapitaliste, dont la lutte pour l’émancipation sociale met comme préalable d’affranchir « les organes de la pensée publique » (Jaurès) de tout lien avec les religions. De plus l’itinéraire des républicains de gauche s’est plus concentré sur le combat contre le port de signes d’appartenance communautaire dans les services publics que sur la revendication laïque de rupture du concordat imposé par les gouvernements de la Vème République. L’ensemble des courants de la gauche républicaine ne se sont jamais fixés comme objectif de remettre clairement cette question à l’ordre du jour…

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11) Au bout de la chaîne Riposte laïque ou la dérive outrancière

En septembre 2007 une composante du journal Respublica, dont Bernard Teper, a été une cheville ouvrière, fondait le journal Riposte Laïque ; le texte de la déclaration de principes stipule ceci :

« Nous sommes, pour un certain nombre d’entre nous, issus du journal en ligne Respublica. Après avoir participé avec beaucoup de plaisir à cette aventure, le rédacteur en chef, ainsi que celui qui écrivait la plupart du temps la chronique d’Evariste et d’autres collaborateurs ont décidé de créer un nouveau média plus spécifiquement ancré dans la priorité du combat laïque. Nous pensons que le moment est venu pour cela. »

Troublant ! A la lecture de cette citation on peut se demander s’il s’agit d’une scission ou d’un complément ? J’aimerais bien recevoir une réponse sur ce point…

Il suffit de prendre quelques thèmes traités par ce journal pour être édifié sur son orientation. Le lundi 12 janvier, alors qu’un mouvement d’instituteurs se développe contre Darcos, une certaine Christine Tassin dans un article intitulé « halte à l’imposture des enseignants désobéisseurs » écrit :

« Depuis plus d’un mois, un mouvement d’ « enseignants-désobéisseurs » se développe. Il concerne environ 1 millier de professeurs des écoles qui refusent d’appliquer les programmes du primaire 2008 et d’organiser l’aide personnalisée. On croit rêver. Non seulement ces enseignants, qui, comme fonctionnaires, doivent (devraient) appliquer les textes et les programmes ne le font pas, mais, en plus, non seulement ils s’en targuent mais ils osent protester contre les sanctions administratives dont ils font l’objet, avec le soutien, comme d’habitude, de plusieurs syndicats coresponsables de l’état de déliquescence de l’école publique. »

Dans un article du 12 janvier, intitulé « les laïques doivent abandonner à l’extrême droite le combat contre l’offensive islamiste », un certain Pierre Cassen écrit :

« L’arrogante offensive de l’islam contre la laïcité exaspère de plus en plus de citoyens de notre pays qui ont en mémoire la bataille de leurs ancêtres contre l’hégémonie de l’église catholique. La prolifération de voiles et de burquas est ressentie comme une agression par de nombreuses femmes, pour qui cet accoutrement constitue une régression et nie les combats féministes et laïques. D’autres faits, piscines communautaristes, constructions de mosquées de plus en plus visibles, souvent payées par le contribuable, annulation du mariage de Lille, affaire des caricatures, revendication de viande halal dans les cantines scolaires, refus de mixité à l’hôpital, etc font comprendre aux moins politisés qu’aujourd’hui l’islam est le fer de lance d’une vaste offensive contre la laïcité, et plus largement la liberté et l’égalité, en France et d’autres pays d’Europe. »

L’offensive contre la laïcité c’est l’Islam. Le paragraphe que nous venons de citer aurait pu parfaitement être rédigé par Jean Marie Le Pen…

Sous le pseudonyme de Cyrano, un collectif d’auteurs nous crédite toutes les semaines de textes, dont ce dernier rédigé après les grandes manifestations en France contre le carnage de Gaza :

« On se souvient des manifestations à l’époque de Gaza. Nul n’a oublié ces démonstrations ahurissantes de haine de certains manifestants, cet amalgame systématique entre Israël et le régime nazi, entre Israël et l’Afrique du Sud, la références à des crimes de guerre, l’antisémitisme déguisé en antisionisme. Nous avions, sans aucune concession, dénoncé les Buffet, Besançenot et Mélenchon qui, en participant à des manifestations, notamment à Paris et à Marseille, où les Allah akbar faisaient bien plus de bruit que l’Internationale, s’étaient déshonorés en marchant avec les adorateurs d’un parti religieux fasciste, le Hamas.

Il est particulièrement intéressant de regarder la composition de nos nouveaux miliciens, avec l’uniforme vert (quel symbole !) On y voit très peu de femmes arabo-musulmanes, et pas de voile de service. On y voit beaucoup de militants « souchiens », comme dirait l’inimitable porte-parole des indigènes de la République, Houria Bouteldja. Les islamistes ont été assez malins pour instrumentaliser leurs idiots inutiles, et les mettre en avant. L’homme qui finit dans une prise de parole est tellement dans cette caricature qu’on ne sait si on doit rire ou pleurer. Il ressemble tellement à tous ces marxistes, en Iran, qui ont aidé l’ayatollah Khomeiny à prendre le pouvoir, et qui ont compris leur erreur le jour où ils se sont retrouvés en prison, avant d’être exécutés. Tous ces gauchistes compassionnels dégénérés, qui doivent lire la prose d’Alain Gresh, ont l’air très fiers d’eux, et sont convaincus de lutter contre l’impérialisme et ses alliés. Ils oublient juste qu’ils sont en train, en France, d’exporter le conflit israélo-palestinien, et de servir la soupe aux Hamas et à ses militants hexagonaux. Ils sont incurables, irrécupérables, et nous savons que nous aurons ces collabos en face de nous, comme lors de la bataille pour une loi contre les signes religieux à l’école, quand il s’agira de défendre la République laïque, face aux communautaristes religieux islamistes.

Nous avons eu droit à un discours du barbu de service, qui ose dire, au-delà des diatribes habituelles sur le conflit israélo-palestinien : « on est chez nous, chez nous c’est la France, et on va prendre les choses en main pour imposer le boycott d’Israël. »

Lors des dernières élections municipales, Riposte Laïque a produit un modèle de lettre aux listes se présentant aux suffrages des électeurs, où l’on peut lire ceci :

« Si, une fois élu, vous êtes l’objet de demandes directes (ou indirectes par le biais de baux emphytéotiques portant sur des terrains) de financement public de construction ou d’entretien de lieux de culte (église, synagogue, mosquée,temple….), quelle sera votre réponse ?...

Si vous êtes soumis à des revendications de type communautariste portant sur des spécificités alimentaires, comportementales, vestimentaires (ou autres), quelle sera votre décision ? Par exemple, si dans une des écoles publiques de votre commune, des accompagnatrices de sorties scolaires prétendent imposer leur « voile islamique », comment réagirez-vous ?.. »

Les églises, temples et synagogues étant construites dans ce pays depuis longtemps, l’aide publique par le biais de baux emphytéotiques ne peut donc concerner que les communautés musulmanes (pour les non-initiés, un bail emphytéotique est le prêt d’un terrain pour y construire un bâtiment pour une période de 33 ans et en général pour un euro symbolique accordé par une collectivité locale). Quant à la question vestimentaire, elle n’est envisagée naturellement que pour le port du voile…


12) Une « discussion » de Riposte Laïque avec Henry Pena Ruiz

Le philosophe et écrivain Henry Pena Ruiz est intervenu lors des rencontres internationales de Saint Denis sur la laïcité le 5 avril, rencontres organisées par diverses associations laïques européennes. Il y disait en substance ceci :

« Du Mahgreb, de France, d’Europe et du monde entier, osons dire les principes d’une humanité réconciliée de la seule façon qui permette d’éviter le retour des fanatismes meurtriers : l’union des hommes par ce qui les élève au meilleur d’eux-mêmes. Liberté authentique fondée sur l’autonomie de jugement, égalité des droits rendue crédible par la justice sociale et internationale, se conjugueront alors, et elles le feront grâce à l’émancipation laïque des sociétés comme des personnes.

Un tel idéal n’est le produit d’aucune civilisation. Il a été conquis de haute lutte dans l’Occident comme il peut l’être ailleurs. A l’époque c’était le cléricalisme catholique, essentiellement qui lui faisait obstacle. Rompons aussi avec les illusions de perspective et avec les amnésies sélectives. Il ne faut pas que la géographie présente rende aveugle sur l’histoire passée. Chaque monothéisme a engendré ses formes d’oppression et de communautarisme, et nul ne peut donner la leçon à l’autre en la matière. C’est en Occident « chrétien » que furent inventées les croisades, les bûchers de l’inquisition, l’ « index des livres interdits », les expéditions coloniales assorties d’ethnocides, les bombardements massifs de populations civiles et les camps d’extermination à caractère raciste. Joli bilan. C’est en terre arabo-musulmane qu’a été sauvé l’immense héritage de la civilisation grecque, qu’on a inauguré une coexistence harmonieuse et un dialogue exigeant des grandes cultures, que s’est inventé le principe de lecture rationnelle des textes (avec Averroès) : les « Lumières » y ont devancé les Lumières européennes de plusieurs siècles. Serions-nous assez amnésiques pour l’oublier, et feindre de croire aujourd’hui qu’il n’y a d’islam qu’intégriste et de Christianisme que libérateur ? Certes, la figure intégriste de l’Islam politique est venue depuis ternir singulièrement l’image évoquée. Mais faut-il oublier Averroès sous prétexte qu’il y a eu Ben Laden ? A suivre un tel amalgame, il faudrait oublier le Christ, sous prétexte qu’il y a eu Torquemada.

En réalité, nulle civilisation n’est réductible à un de ses moments, et c’est faire preuve d’une lecture partisane – à moins qu’elle ne soit simplement mal instruite – que de vouloir hiérachiser les civilisations, comme prétend le faire Samuel Huttington dans vision apocalyptique du « clash des civilisations ». Ceux qui dressent la croix contre le croissant en prétendant faire de l’Europe un club chrétien sont les ancêtres momifiés des fous de Dieu qui dressent l’Islamisme politique contre les « croisés ». Symétrie des ostracismes. Les uns et les autres développent une critique de la modernité laïque, de la Raison, des Lumières, comme si on pouvait leur imposer les pires maux de notre époque. Il est si commode de prendre à témoin l’opinion en insistant sur les indéniables ravages produits par la mondialisation capitaliste inhumaine, et de faire semblant de les imputer aux idéaux laïques et démocratiques !

C’est pourquoi aujourd’hui on ne peut s’acharner unilatéralement contre une figure théologico-politique particulière, celle de l’islamisme politique, évidemment distincte de l’Islam. Certes, il ne faut lui faire aucune concession, et être intraitable tant sur la laïcité des institutions publiques que sur l’égalité des femmes. Mais cela doit se faire au nom d’une laïcité universaliste, qui ne soit pas à géométrie variable. La France laïque de la loi sur les signes religieux de mars 2004 a demandé aux élèves d’ôter le voile, la kipa ou la croix charismatique en entrant dans les espaces scolaires. La même France, entre 1883 et 1905 a fait ôter les crucifix des salles de classes, des mairies, des palais de justice. Et en 1937 une circulaire de Jean Zay avait déjà prohibé les religieux dans les établissements scolaires. Ce n’est donc pas « une loi sur le voile » qui a été votée sur proposition de la commission Stasi, mais une loi sur l’ensemble des manifestations ostentatoires des religions. Il afut y insister, afin de rendre lisible l’exigence universelle qui légitime la loi. Et d’éviter toute stigmatisation. »

L’intervention de Henry Pena Ruiz a suscité une violente polémique provoquée par un thuriféraire de « Riposte laïque » dans un article intitulé : « l’affligeante complaisance de Henry Pena Ruiz avec l’offensive islamique », où l’auteur polémique sous l’angle habituel, l’ennemi principal de la laïcité c’est l’islamisme, déformant grossièrement l’argumentation de notre écrivain. Ce dernier demande un droit de réponse, et il désignera assez justement ce qui fonde in fine la démarche de ce journal :

« L’heure n’est pas, ou ne devrait pas être, aux invectives contre des personnes qui entendent défendre la laïcité. Le débat oui, mais pas la déformation polémique. A moins que sous prétexte de laïcité on ne nourrisse un autre projet politique. Mais alors, il faut le dire. La défense d’Israël par Riposte Laïque au moment où il bombardait les populations civiles de Gaza ne me semble pas précisément relever de l’esprit laïque. En fait, Riposte laïque ne combat pas seulement l’islamisme, mais aussi et surtout l’Islam, et dissimule mal sa volonté de hiérarchiser les religions, mais aussi les différentes cultures. Elle reprend en fait à son compte la thèse du « choc des civilisations », de si triste mémoire. Je crains donc qu’avec elle la défense de la laïcité ne devienne la couverture d’un autre combat, qui n’est pas du tout le mien. De là à déformer mes propos pour mieux me disqualifier il n’y avait qu’un pas, et il a été franchi. »

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13) Quelques éléments de conclusion

Le combat laïque doit être remis sur les bons rails, c’est ce que nous énoncions dans le titre de l’article.

D’abord la question de la laïcité de l’Etat : ce n’est pas l’affaire de vieux laïcard attardé. Lorsque Nicolas Sarkosy est allé au Latran, état du Vatican, le 20 décembre 2007 prononcer devant le pape un discours sur sa conception d’une laïcité nouvelle, il l’a fait en relation

directe à la fois avec la politique étrangère qui est la sienne et celle d’une fraction de la bourgeoisie française aujourd’hui, et sur le plan de la situation intérieure en continuité avec la politique de tous les présidents de la Vème République, Mitterand compris, sur la laïcité de l’école et des services publics. Le sénateur Mélenchon a produit début 2008 une « réplique au discours de Nicolas Sarkozy, chanoine de Latran », où il écrit en particulier ceci :

« … (page 45 éditions Bruno Leprince) le discours prononcé à Latran n’est pas le règlement compte d’un homme de droite décomplexé avec le récit républicain traditionnel marqué par la domination intellectuelle du courant issu des Lumières. C’est un discours pour l’actualité et à propos de l’actualité telle que la voit le président et dans laquelle il pense que la France doit prendre place. Mais elle ne peut le faire en tant qu’Etat républicain construit sur les

bases laïques telles qu’elles sont constitué par son histoire et en particulier celle de la loi de 1905. La République laïque ne peut connaître ni s’intégrer dans la logique du choc des civilisations. Cette impossibilité a éclaté dès son discours sur la politique étrangère de la France prononcé en novembre 2007. Il y affirmait que « le premier défi » que le monde aurait

à relever ce serait « le risque de confrontation entre l’islam et l’occident ». Cette lecture de l’état du monde à partir du fait religieux plutôt qu’en partant des politiques pratiquées par les états marquait une rupture du discours de politique étrangère de la France. Mais surtout il implique une conséquence inacceptable pour la France elle-même. Car les citoyens français de confession musulmane s’y trouvent immédiatement placé en situation d’impasse et de soupçon. La tension que cette vision du monde déclenche pour notre pays lui-même montre l’obstacle que représente pour cette vision la définition laïque de l’identité de la République française. On ne doit pas perdre de vue qu’il s’agit d’une opposition des principes fondamentaux mis en œuvre. Laïcité et politique du choc des civilisations s’opposent point par point sur le plan des principes sur lesquels elles reposent. Coté choc des civilisations, la diversité est la donnée indépassable, côté laïcité c’est l’unité en soi de l’espèce humaine qui est le point d’appui. Là où la politique de civilisation prône la coexistence d’intérêts intrinsèquement différents, la vision laïque postule qu’il existe un intérêt général que la raison des citoyens peut discerner et promouvoir. Là où la politique de civilisation vise une identification à une « famille », la laïcité prône l’indifférence au religieux en politique pour rendre possible l’unité et l’indivisibilité de la communauté civique. C’est pourquoi, point pour point le président est aussi méthodique dans l’affirmation et la mise en œuvre de sa vision du monde. Globalement son projet avéré est la reconfessionalisation de la société… »

Reconfessionnaliser la société me semble difficile, notamment sur les questions du mode de vie, les citoyens de confession chrétienne sont très largement en rupture avec la politique papale ; les dernières prises de position de la hiérarchie sur le sida ou le mariage des prêtres n’ont rien arrangé. En revanche chercher à établir, comme tout régime bonapartiste l’a fait dans le passé, un régime de fait concordataire dans lequel l’Etat considère la religion comme son auxiliaire spirituel c’est là où l’on voudrait ramener le corps social. Mais là aussi quelles difficultés ! Monsieur Bayrou lui-même, qui avait pourtant contribué à mettre 1 million de citoyens dans la rue contre la révision de la loi Falloux, a pris des positions proches des milieux chrétiens démocrates, dans la tradition gallicane, revendiquant d’un point de vue chrétien la séparation de l’Eglise et de l’Etat… Pourtant la volonté qui est celle de Sarkozy de se débarrasser de la laïcité pour les besoins propres de la politique qu’il incarne est bien là : engager la France dans de nouvelles aventures guerrières, retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, installation d’une base militaire aux émirats arabes… Le sénateur Mélenchon a raison de pointer cette volonté de détruire cet acquis de civilisation fondamental qu’est la laïcité, pour engager la France dans la logique du « choc des civilisations ».

Le deuxième point concerne la laïcité de l’école ; je dirai du reste très librement vis-à-vis du sénateur, que ce qui vient de se passer dans ce domaine à travers le décret du 19 avril 2009, est le fruit pourri de la trahison « socialiste » de 1984. En 1962 la loi Debré, dans le droit fil du coup d’état bonapartiste de 1958, impose le financement public de l’enseignement privé catholique, mais impose dans le contrat une série de disposition qui garantissent les droits de l’Etat « laïque », en particulier le monopole de la collation des grades. En 1983 la loi Savary marque la volonté du gouvernement présidé par François Mitterand d’établir une parité public-privé, selon le préambule de la loi, l’école privée catholique « concourt au service public ». Le protocole Lang-Cloupet récidive. Jusqu’à présent, dans la tradition républicaine les universités publiques sont seules habilitées à délivrer des diplômes. Désormais les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur catholiques pourront obtenir une reconnaissance directe de leur grade à l’université publique. Le journal « A gauche » (publié par le Parti de Gauche) du 14 mai 2009 ajoute ceci :

« Cet accord ouvre aussi la voie, par transitivité, à la reconnaissance de l’ensemble des diplômes de l’enseignement privé au nom « de la concurrence libre et non faussée » inscrite dans les Traités européens et appliqués au domaine de l’Education par le processus de Bologne et l’agenda de Lisbonne. A des diplômes immanquablement dévalorisés, se substituerait une certification des connaissances dont les travailleurs seraient bien en peine de se réclamer ensuite en termes de conventions collectives. La coalition de la religion et des marchands menace ainsi à la fois la laïcité et l’égalité sociale. »

Il y a quelques semaines un collectif d’organisations du Maine et Loire (Le Collectif Vigilance Laïcité de ce département regroupant DDEN – FCPE – FOL – FRANCAS – FSU – JPA – LDH – OCCE - SDEN CGT –SE - SNEP - SNES – SNUipp - Solidarité Laïque – UNSA Education) lance une pétition sous l’angle de la résistance à la privatisation : « Il faut, dès maintenant, penser mettre fin à un financement public de la concurrence scolaire… » Aux questions que j’ai posé au principal initiateur de cette pétition, Jack Proult, secrétaire de la FOL du 44, me répond :

« Le projet "d’unification-complémentarité" n’est pas dans les cartons du gouvernement Sarkozy, mais dans ceux du P. S. et dans ceux de la Ligue de l’enseignement. A l’assemblée générale de Paris (2007), Tournemire, secrétaire national de la ligue, à ma question sur l’unification laïque, me répondait : "La ligue reste plus que jamais (. . . ) partisane d’un service public d’éducation dans le respect de la diversité" (souligné par moi). Que signifie cette diversité ? Sinon le caractère propre ethnique (école D’iwan) ou religieux. Lors d’une réunion à Paris en décembre 2008, Eric Favey, autre secrétaire national, à la même question répondait que la Ligue pensait à une initiative d’unification qui n’aurait rien à voir avec celle que demandait Jack Proult. Suite à la suppression de la carte scolaire, la ligue a proposé son élargissement et d’y inclure les établissements privés (ce qui consistait à une reconnaissance et à une forme d’intégration). L’argument avancé était de circonscrire l’enseignement privé.

Par ailleurs, le Conseil régional des Pays de la Loire, présidé par Jacques Auxiette avait prévu un service d’éducation intégrant le privé. Suite aux protestions des laïques, la formule n’est plus avancée, mais les initiatives pises dans le domaine de l’éducation concerne aussi bien le privé que le public. Vous comprendrez que nous pouvions mettre cela dans l’exposé des motifs. Toutefois nous insistons sur le danger de service régionaux d’éducation qui, en s’appuyant sur les SIG (Services d’Intérêt Généraux) européens, associeraient public et privé. Naturellement la formule "unification-complémentarité" est de notre crû. Cordialement.

Par ailleurs, le conseil régional des pays de la Loire présidée par Jacques Auxiette émettait l’idée d’un service régional d’éducation. »

Mon point de vue est légèrement différent : nous sommes toujours, qu’il s’agisse du décret du gouvernement de Sarkozy, ou dans celle du PS et de la Ligue de l’Enseignement dans la même logique, celle de la loi Savary-Lang-Cloupet, celle de l’Unification public-privé. Nous portons la même accusation qu’en 1984, c’est une privatisation de l’enseignement public, totalement conforme avec la politique de l’Union Européenne. De ce point de vue là, les tenants du oui de gauche au TCE de 2005 et la politique de Sarkozy dans le domaine de la laïcité se rejoignent.

Le combat laïque doit se mener là-dessus et écarter au passage les ambigüités des courants républicains, plus grave les manœuvres de diversion comme celle promue par « Riposte Laïque », qui elle cherche à engager le camp laïque dans la logique du « choc des civilisations ».


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