Georges Fenech, président de la Miviludes : “Il faut faire le tri entre psychothérapeutes et charlatans”

jeudi 21 mai 2009.
 

Georges Fenech préside, depuis septembre 2008, la Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Dans un entretien à France-Soir, l’ancien juge d’instruction lyonnais dit son inquiétude face à l’entrisme des organisations sectaires dans la « bulle psy ».

FRANCE-SOIR. Quels sont les grands traits de ce rapport 2008 ?

GEORGES FENECH. Ce rapport s’inscrit d’abord dans la continuité des précédents avec, notamment, l’étude approfondie du phénomène – en expansion – du satanisme. On se rend compte qu’il est en expansion en France où, selon nous, près de 20.000 jeunes et adolescents sont touchés, comme en Europe. Ce développement s’explique, en partie, par la culture. Evidemment, on ne peut pas considérer que le simple fait d’aimer la musique black metal ou de suivre une mode gothique soit un comportement sectaire, mais c’est tout de même une porte d’entrée pour certains à cette dérive qu’est le satanisme.

En février 2009 a été créé un « groupe d’appui technique » destiné à recenser les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique. Qu’en est-il ?

C’était une vieille revendication. Enfin, ce groupe d’appui technique a vu le jour. Il va commencer un travail de longue haleine pour repérer et classer les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique dangereuses ou non dangereuses, car il existe des psychothérapies non conventionnelles qui ne sont pas forcément nuisibles. Mais il faut savoir faire le tri entre ce qui relève de la psychothérapie, installée et acceptable, dispensée par des gens de bonne foi et compétents, et des méthodes charlatanesques dans lesquelles s’engouffrent des organisations à caractère sectaire et un grand nombre d’individus mal intentionnés.

Peut-on chiffrer le nombre de ces « charlatans » ?

Il y environ 15.000 praticiens psychothérapeutes en France. Sur ces 15.000, 10 à 15 % ont un diplôme de docteur en médecine, notamment dans la spécialité psychiatrie, 25 à 30 % sont des psychologues formés dans des facultés de sciences humaines, 15 à 20 % sont des psychanalystes formés par leurs pairs et 25 à 30 % – ce qui n’est pas négligeable – se déclarent psychothérapeutes de disciplines diverses. C’est là que le danger apparaît. D’où la très grande utilité de ce groupe d’appui technique qui est composée de grandes institutions : Miviludes, Direction générale de la santé (DGS), ordre des médecins, ministères de la Justice, de l’Intérieur et de l’Education nationale, Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, Igas…

Quelle sera son action, à terme ?

L’idée, c’est, à travers ce recensement qui sera disponible sur Internet, d’informer le public des dangers de telle ou telle pratique. Et, également, de créer des incriminations en exercice illégal de la médecine pour des pratiques dangereuses qui seraient interdites. Car, aujourd’hui, nous sommes dans un flou qui permet aux sectes de proliférer.

Dans le collimateur de la Miviludes donc, les médecines parallèles ?

Nous ne sommes pas contre les médecines alternatives ! Les médecines douces, psychothérapies, traitements de la personnalité, etc., font partie désormais de notre société et prennent le relais de la médecine traditionnelle. Elles ne présentent pas de danger à condition qu’elles soient bien appliquées. Mais il existe aussi des techniques dangereuses qu’utilisent les organisations à caractère sectaire, comme la méthode Hamer par exemple, qui viennent de la mouvance new age et qui prônent l’autothérapie. Elles convainquent les patients que la maladie grave dont ils souffrent n’est pas d’origine biologique ou environnementale, mais qu’elle est exclusivement d’origine conflictuelle : elle provient d’un choc qu’il faut identifier et on doit se guérir soi-même.

Les formations professionnelles sont-elles, cette année encore, sous surveillance de la mission ?

La formation professionnelle est le deuxième moyen utilisé par les organisations à caractère sectaire pour faire du prosélytisme. Nous participons auprès du ministère du Travail à la réforme du système de formation professionnelle. Il faut plus de garanties sur le contenu des formations et sur les responsables de ces enseignements, de façon à éviter les pièges. Le ministère s’est également fixé comme objectif important de demander aux inspecteurs du travail d’aller constater d’éventuels travaux dissimulés ou faussement bénévoles dans les organisations à caractère sectaire.

Le rapport évoque également les dérives sectaires dans le cadre de l’instruction des enfants à domicile…

Le ministère de l’Education nationale a, en effet, comme objectif de mieux connaître la réalité de l’instruction à domicile. Nous respectons totalement la liberté d’enseignement qui comprend la possibilité pour les familles de ne pas envoyer leurs enfants à l’école. Il faut cependant être conscient que cette forme d’instruction peut se révéler être un terreau propice à la manifestation des risques sectaires. La Direction générale de l’enseignement scolaire a d’ailleurs adressé, le 23 janvier dernier, aux recteurs d’académie une demande d’enquête. Cela nous permettra, pour la première fois, d’évaluer les effectifs concernés, car on ne sait pas encore aujourd’hui combien d’enfants sont hors du système, sans doute 3 à 4.000. C’est là que peut s’engouffrer la dérive sectaire en isolant l’enfant de la société, en lui inculquant des vérités qui n’en sont pas, en l’empêchant d’avoir un esprit critique ; bref, tout ce qui peut être contraire à la Convention de New York sur les droits de l’enfant. Nous avions peur jusqu’à maintenant de porter atteinte à la liberté de se soigner et d’enseigner. On jetait un voile pudique sur tout ça. Aujourd’hui, nous sommes en train de franchir un palier et de s’attaquer aux vrais problèmes. Nous ne sommes plus dans l’incantation mais dans l’action.

Un mot sur le procès de l’Eglise de scientologie, qui s’ouvre le 25 mai devant le tribunal correctionnel de Paris ?

Organisation que vous avez poursuivie, en tant que juge d’instruction, après qu’un adepte se fut suicidé en 1988…

Cela fait douze ans, après le procès devant la cour d’appel de Lyon, en 1997, que les méthodes et les pratiques de l’Eglise de scientologie n’ont pas été réexaminées par la justice. Nous allons, à la Miviludes, suivre de près le déroulement de ce procès, car la juridiction parisienne dispose désormais de la possibilité juridique, en cas de condamnation éventuelle, de prononcer la dissolution de l’église. Ce n’était pas le cas à Lyon, puisque les faits étaient antérieurs à la loi de 1994 sur la responsabilité pénale des personnes morales. Or là, l’église est poursuivie comme personne morale. C’est elle, et quelques personnes physiques, qui est prévenue devant le tribunal correctionnel, il faut bien mesurer cette importance.

Propos recueillis par Sandrine Briclot, le mardi 19 mai 2009


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