Européennes : Gérard Mordillat, écrivain et cinéaste, candidat du Front de Gauche en Ile de France, donne de la voix

lundi 11 mai 2009.
 

Vous figurez sur la liste présentée par le Front de gauche aux élections européennes en Île-de-France. Pourquoi cet engagement ?

Gérard Mordillat. Il y a trois ans, les Français, par référendum, ont clairement rejeté le projet de traité constitutionnel européen. Mis à part des modifications de pure forme, ce même traité, qui consacrait le libéralisme comme base intangible de l’Union européenne, a été adopté par voie parlementaire en février 2008. Ce qui, à mes yeux, constituait un déni scandaleux de démocratie doublé, de la part des élus socialistes, d’une trahison de leur électorat. Le traité dit de Lisbonne constitue un acte manifeste d’injustice d’État. En l’adoptant, l’État se vengeait des citoyens qui n’avait pas obéi à ses injonctions et les parlementaires se vengeaient de leurs électeurs qui avaient refusé de suivre les ordres. Cette injustice, ce mépris, cette trahison sont les trois éléments fondamentaux qui motivent mon engagement à lutter activement contre cette conception d’une Europe qu’on savait antisociale et qui se révèle foncièrement antidémocratique.

Qu’est-ce qui vous a décidé ?

Gérard Mordillat. J’ai pris cette décision après une conversation avec Francis Wurtz dont l’action à l’intérieur du Parlement européen m’a toujours paru très juste et très fondée. Je l’ai prise aussi parce que je crois qu’il y a une nécessité absolue à constituer un Front de gauche face à l’UMPS. Je trouve profondément désolant que le NPA, en tout cas ses dirigeants, refuse de participer à cette démarche unitaire. Sur l’Europe, si on interroge les militants ou les sympathisants du NPA, on trouvera une convergence de 99,9 % entre leurs positions et les options du Front de gauche. Dès lors, les choix du NPA sont incompréhensibles, sauf à se placer dans une dérive sectaire animée par un esprit de boutique. Une sorte de caricature de l’électoralisme où l’intérêt particulier prime sur l’intérêt général.

Comment voyez-vous votre rôle, compte tenu de votre position dans le champ culturel ?

Gérard Mordillat. Mon rôle, comme cinéaste, comme écrivain, est de parler de ce qui ne va pas. De montrer le réel, et de faire entendre par des voix différentes d’autres voix qui se font entendre par ailleurs. Je crois qu’un grand débat doit avoir lieu en Europe, c’est celui de l’égalité. La liberté, on voit à peu près ce que c’est. La fraternité aussi, même si elle est dévoyée sur le mode de la charité. L’égalité est la question centrale qui se pose en Europe. Parce qu’il ne suffit pas de proclamer l’égalité des droits entre les citoyens. La situation sociale et politique fait qu’une part immense des populations européennes est incapable d’exercer les droits qui leur sont théoriquement reconnus. Les « sans » prolifèrent : sans travail, sans logement, sans papiers, sans, sans, sans…

Une grande question qui se repose périodiquement est aussi celle de la culture. Où en est-on en Europe ?

Gérard Mordillat. Déjà, quand j’étais président de la société des réalisateurs de films, avec l’appui et les encouragements de Jack Ralite, j’ai fait en sorte que nous nous engagions pour l’exception culturelle, pour empêcher la mise en place de l’AMI, et pour sauvegarder cette notion essentielle du droit français, que constitue le droit d’auteur, contre le copyright que veulent imposer les Anglo-Saxons, les Britanniques et les Néerlandais agissant en chevaux de Troie de l’industrie américaine. Mais, la culture, ce ne sont pas que les arts : c’est l’éducation, la science, les savoirs. Or, pour ne parler que de la France, on voit se multiplier les signes alarmants de mise en place au niveau du savoir d’une réduction de toutes les capacités de l’enseignement et de la recherche, au nom d’une rentabilité immédiate. On sait bien que la recherche fondamentale, par exemple, ne peut être évaluée de cette manière. Cette idée de tout vendre, de tout rendre vendable, je la combattrai chaque fois que je le pourrai.

Une autre dimension de la politique européenne, qui renvoie au travail que vous avez accompli avec Jérôme Prieur, est la question de la laïcité, de la liberté de pensée.

Gérard Mordillat. C’est en Europe un enjeu important. Cela ne se sait pas beaucoup, mais en France, il existe un lobby universitaire catholique, proche des fondamentalistes, qui entend enseigner l’histoire sainte comme histoire. D’ailleurs, le président de la République vient de faire reconnaître en France la validité des diplômes délivrés par le Vatican. C’est une régression incroyable. Les convictions religieuses sont et doivent rester du domaine privé. Malheureusement, en Europe et en France, la religion et les religieux de tous bords interviennent de plus en plus dans la vie intellectuelle et politique. On réécrit l’histoire à l’eau bénite et l’on dresse les bûchers inquisitoriaux pour y faire brûler ceux qui ne sont pas dans l’orthodoxie cléricale. Condorcet distinguait les hommes qui raisonnent et ceux qui croient. Je me place résolument du côté de la raison contre la foi et ses superstitions. Il y a eu cette querelle sur les racines chrétiennes de l’Europe.

Le Parlement européen sera-t-il un terrain d’affrontements en matière de laïcité et de neutralité religieuse ?

Gérard Mordillat. L’Europe n’a pas que des racines chrétiennes, la philosophie grecque, la sagesse juive, l’islam, pour ne parler que d’évidences, sont autant constitutives de l’Europe que la chrétienté. Quant à l’idée laïque, elle ne cesse d’être attaquée à l’intérieur du Parlement européen, et doit être défendue avec vigueur. Je prends par exemple le darwinisme, que les créationnistes - pas seulement américains - ont pris pour cible. Ils veulent, avec le soutien des églises, imposer une lecture religieuse de la science comme un enseignement croyant de l’histoire. Nous devons nous y opposer de toutes nos forces et, avec les moyens qui sont ceux d’un cinéaste et d’un écrivain, je me battrai toujours contre toutes ces formes d’obscurantisme. Un obscurantisme qui a un grand avantage politique pour ceux qui rêvent de gouverner des peuples soumis et dominés.

Comment envisagez-vous votre action pendant ces semaines de campagne ?

Gérard Mordillat. Ce sera avant tout une campagne de témoignages. Je suis en train de tourner les Vivants et les Morts, une adaptation d’un roman que j’ai écrit il y a trois ans. Un très long projet, réalisé sous la forme de huit épisodes de cinquante-deux minutes pour France 2 et Arte. Je pourrai donc intervenir dans les médias, mais je ne pourrai pas participer autrement à la campagne. En réalité, en tournant dans le Nord cette histoire d’une insurrection ouvrière à la suite de la fermeture d’une usine, j’ai l’impression d’être dans la campagne par une autre voie, mais d’y être, d’y être pleinement ! Un des personnages du film dit à un moment : « La peur doit changer de côté. » Une phrase qui résume à la fois le sens de mon engagement et la perspective politique de ces élections.

Entretien réalisé par Alain Nicolas pour L’Humanité du 5 mai 2009


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