Sur le livre de Daniel Cohn-Bendit : Que faire ? ( par Gauche Unitaire)

lundi 11 mai 2009.
 

Daniel Conh-Bendit, tête de liste de la liste Europe Ecologie en Ile-de-France et porte parole de ces mêmes listes aux côtés de José Bové et Eva Joly, est en campagne. Autour d’un thème central : la conversion écologique de l’économie, à l’échelle européenne… L’irruption de la crise capitaliste et l’immersion dans les remous de la situation politique française rendent plus complexe le travail de conviction.

Dans Le Monde daté des 19-20 avril, Daniel Cohn-Bendit calibre assez précisément l’objectif : « Le pari de cette élection est de voir si 10% à 15% des électeurs sont capables d’adhérer à cette idée de transformation ».

Par ailleurs on notera l’aveu d’un doute quant à l’avenir de l’Union européenne : « Je pensais l’unification européenne irréversible. J’en suis moins convaincu aujourd’hui. » Et aussi un positionnement par rapport au pouvoir sarkozyste qui mérite attention : « C’est pour cela qu’il ne faut pas chercher à faire campagne contre Sarko. Il faut se différencier de lui ». Pour en savoir davantage sur ce que propose Conh-Bendit se reporter à son livre, qui vient d’être publié.

... On ne s’attardera pas sur les raccourcis, scandaleux, de l’auteur : Les révolutionnaires condamnés, par mépris de la démocratie, à céder au totalitarisme ! Les opposants à l’Europe libérale qui ne peuvent être que des « souverainistes » ! Mais on s’intéressera aux propositions avancées pour l’Europe, puisque tel est bien le sujet de l’heure et le thème central du livre.

Il en est bon nombre qu’on ne peut qu’approuver et partager : la lutte contre les inégalités sociales, la nécessité de services publics à l’échelle européenne, l’espoir de rapports solidaires avec les pays du Sud, en particulier dans le domaine agricole, le refus d’une Europe forteresse…

D’autres laissent davantage perplexe. Ainsi l’engagement solennellement pris par l’auteur (p142) : « Au regard de la gravité de la situation que nous traversons, j’entends donc demander que le Parlement qui sera nouvellement élu vote pour qu’une coordination de ces trois instances [ la BCE, la Banque européenne d’investissement, l’Eurogroupe ] puisse émettre pour 1000 milliards d’ « eurobligations » sur cinq ans, afin de financer un véritable plan de transformation de nos systèmes productifs dévastés par les crises financière, économique, sociale et écologique ». Et aussi l’idée d’organiser des référendums paneuropéeens à double majorité pour permettre que s’affirme une souveraineté supra nationale : « Le même jour, dans toute l’Europe, tous les Européens, c’est-à-dire les « citoyens résidentiels », (tous ceux qui sont en possession d’un titre de séjour durable), sont consultés sur la même question. La double majorité, c’est une majorité d’Etats-membres et une majorité de la population de l’Union européenne. On peut même, dans les deux cas, penser à des majorités qualifiées qui pourraient se situer autour de 60% des Etats et de la population, par exemple. » (p152) Idée, il est vrai, présentée dans la partie qui suit celle intitulée « L’Europe, école de la complexité » !

Notons pourtant que, si le montage imaginé est complexe, il répond à un souci simple : justifier l’escamotage des votes souverains des peuples français, néerlandais, irlandais, et justifier le vote des députés verts qui ont permis l’opération de Sarkozy d’évitement d’un nouveau référendum !

Et ce en disqualifiant la procédure qui a permis l’expression de cette volonté populaire opposée au Traité constitutionnel : « Les défis aujourd’hui sont tels qu’il faut donner à l’Europe les moyens d’agir plus fortement en surmontant ses blocages. Mais cela ne se fera pas en court-circuitant les peuples, et pas davantage en offrant aux souverainistes la tribune des référendums nationaux. Ces référendums sur des sujets européens sont une contradiction en soi. Ils reconduisent à l’échelle des peuples la règle de l’unanimité qui prévaut dans l’intergouvernemental » (p152). Faute d’être un politicien professionnel, Dany s’avère être un sophiste retors ! A l’échelle d’un pays, la règle n’est pas l’unanimité mais bien la majorité (une majorité de 55% dans le cas français), à l’échelle de l’Union, tant qu’il n’existe pas un peuple européen, la démocratie exige (ou plutôt exigerait) que chacun des peuples souverains soit consulté. Mais rien n’interdit en principe qu’un de ces peuples refuse ce que les autres acceptent, sans que celui-là interdise à ceux-ci de mettre en application ce qu’ils ont adopté. C’est au demeurant ce qu’envisage explicitement Cohn-Bendit pour ses référendums paneuropéens.

La vraie question est ailleurs : « Pourquoi certains peuples de l’Union refusent-ils la Constitution qui leur est proposée ? ». Le problème étant épineux, Dany ne sait comment s’en dépêtrer.

Notre auteur est clair , enthousiaste, voire lyrique lorsqu’il plaide pour plus d’Europe, et pour une meilleure Europe : « Je n’aime pas quand l’Europe n’est pas à la hauteur de ses ambitions, des espoirs mis en elle par celles et ceux qui se sont engagés dans cette aventure au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu’elle déçoit les attentes de justice et de liberté qu’une bonne partie du monde place en elle. » (p137) Ce qui l’amène à applaudir chaleureusement à tout ce qui porte le label européen : l’euro, le Traité de Lisbonne, la vraie Constitution qu’il faudra à l’avenir… Et, reconnaissons-lui se mérite, à ne pas ménager ses critiques à l’encontre des dirigeants, en premier lieu Sarkozy, qui ne se montrent pas à la hauteur de l’ambition européenne.

Pourquoi sa plume se fait-elle lourde et embarrassée lorsqu’il faut traiter du désenchantement qui règne parmi les peuples de cette Europe si enthousiasmante ? Et de multiplier les euphémismes : « la désaffection d’un certain nombre de citoyens envers l’Europe », « la conscience diffuse, chez certains citoyens, que la construction européenne leur échappe », « la défiance envers les institutions et politiques européennes se nourrit de l’idée que l’Europe est lointaine et hors de tout contrôle démocratique » (p142-143)…

Et pourtant… Pourtant, nous explique Cohn-Bendit, il n’est est rien ! « Or, il n’est pas vrai que les institutions européennes ne sont pas démocratiques » (p145). Le Parlement est élu au suffrage universel, le Conseil européen réunit des chefs de gouvernement qui ont été élus, la Commission est désignée par le Conseil et investie par le Parlement… Donc tout est pour le mieux dans l’Europe la plus démocratique possible !

Pourtant les citoyens ne le ressentent pas ainsi, et Cohn-Bendit le sachant s’efforce de comprendre pourquoi. « C’est le fonctionnement de l’Union européenne qu’il est nécessaire de clarifier, de simplifier et auquel il faut redonner légitimité et efficacité » (p146) ; il faut que les gouvernants cessent de renvoyer démagogiquement sur Bruxelles la responsabilité de leurs propres politiques ; il faudrait rompre avec un cadre conceptuel prégnant : « Tout se passe en effet comme si les Européens n’étaient pas en mesure de penser la démocratie en dehors du contexte de l’Etat-nation » (p145). Sérieux problème en effet, de savoir quel autre cadre, européen, leur est proposé pour « penser la démocratie ».

Survient alors sous la plume de notre auteur un aveu de taille : « Le manque de légitimité politique est en outre aggravé par le caractère technocratique de nombreuses décisions prises par la Commission européenne » (p146). Cette institution démocratique prendrait donc des décisions de caractère technocratique ? Voici l’Europe idéale, à laquelle Cohn-Bendit ne se lasse de tresser des lauriers, bousculée par la réelle Union européenne : « Dans la formation de l’intérêt général européen, la Commission joue néanmoins un rôle fondamental car elle se situe théoriquement au-delà des Etats-membres. Mais, progressivement, la doctrine de la Commission a glissé du consensus autour de l’économie sociale de marché à la dérégulation néolibérale » (p147). On sera d’accord avec Cohn-Bendit pour ne pas ménager le président de ladite Commission, José Manuel Barroso. Mais, en élève attentif des explications qu’il nous a apportées précédemment, on a compris que de cette dérégulation néolibérale est responsable l’ensemble des institutions européennes, des gouvernements européens et des multiples lobbys qui a fait de l’Union une machine redoutablement efficace pour imposer l’ultralibéralisme à des peuples qui la combattent… Et voici pourquoi, cher Daniel Cohn-Bendit, ces peuples manifestent désaffection et défiance à l’égard de cette même Union !

Lorsqu’on daigne les consulter, ils disent « non » : non à l’aggravation et à l’institutionnalisation de ces politiques ultralibérales. Quant à ceux qui feignent de ne pas le comprendre, pour expliquer que ces peuples sont victimes de la démagogie souverainiste d’anti-européens viscéraux, ils ne sauraient répondre au problème posé.

Qu’est-ce qui sépare l’Europe rêvée de Cohn-Bendit - solidaire, écologiste, de justice et de paix - et l’Europe réelle des classes dirigeantes européennes - antisociale, antidémocratique et impérialiste ? Tout simplement les antagonismes de classes et les affrontements politiques… Que l’auteur semble vouloir dissoudre dans une espèce d’eurobéatitude, séduisante peut-être, mais trompeuse.

Un projet pour l’Europe, oui ! Mais un projet porté par les peuples, et répondant à leurs intérêts et aspirations. Donc s’opposant frontalement à cet autre projet qui est celui des classes dirigeantes. Entre l’un et l’autre, nul ne saurait échapper à… faire le choix.


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