Mai 2007 Mai 2009 Sarkozy à l’Elysée : Un pays sens dessus dessous (par Denis Sieffert, Politis)

samedi 9 mai 2009.
 

Si l’on veut bien lire l’abondante littérature qui accompagne le deuxième anniversaire de l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, on constate qu’un mot revient sans cesse, et comme une évidence : « Réforme ». Est-ce bien le terme approprié ? N’est-on pas déjà, comme souvent avec Sarkozy, dans le toc et l’arnaque ? Même pris dans son sens historico-religieux, le mot « Réforme » évoque plutôt l’ascétisme et l’intégrité. Notre Bling-Bling, que l’on sache, n’est pas très luthérien, ni vraiment calviniste. Il serait plutôt du côté des « Indulgences ». C’est-à-dire de l’argent-roi qui rachète tout, même les adversaires politiques ou les intellectuels anciennement de gauche qui ne savent plus ce qu’est la honte. Mais c’est évidemment une autre « réforme » que vise la communication élyséenne. Celle qui évoque Jaurès et Blum, 1936 et 1945, les acquis sociaux et l’amélioration de la condition ouvrière. C’est-à-dire exactement tout ce que l’ouragan Sarkozy tente de balayer depuis deux ans. S’il n’a pas tout ruiné et tout brisé, il a au moins essayé. Il s’en est pris aux régimes spéciaux de retraite à la SNCF et à la RATP, et au régime général. Il a augmenté le temps de travail hebdomadaire, détruit l’acquis des 35 heures, encouragé les entreprises à recourir aux heures supplémentaires, aggravant par là même le chômage. Il a entrepris une véritable saignée du service public en décidant du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, réduit les effectifs parmi les enseignants et au sein du personnel hospitalier.

Parallèlement, il s’est attaqué au droit de grève avec la création d’un service minimum dans les transports. Il a affaibli le pouvoir d’achat des plus bas salaires en rompant avec l’usage annuel du « coup de pouce » au Smic. Mais c’est sans doute à l’Université qu’il a réservé ses coups les plus durs avec une loi dite d’autonomie qui nous rapproche à grands pas d’une privatisation de fait de l’enseignement supérieur. Enfin, sur le dossier fiscal, il a inventé le fameux bouclier destiné à protéger de l’impôt les plus grosses fortunes. Comme un symbole de ce qui allait suivre, c’est dès le mois d’août 2007 qu’il a imposé cette disposition qui, mieux que toute autre, nous dit de quelle catégorie sociale Sarkozy est le légat. Et ce n’est ici qu’un survol. Assez cependant pour comprendre qu’en fait de « réforme », c’est de dévastation sociale qu’il s’agit. Deux ans après la victoire électorale du 6 mai 2007, la France est un pays sens dessus dessous. S’il a pu opérer avec une telle violence, c’est que Nicolas Sarkozy a gagné ce qu’on a appelé la bataille idéologique. La droite décomplexée, c’est lui. À commencer par son comportement personnel, qui n’a cessé d’afficher son appartenance à une France d’en haut, fière de son opulence et parfois de son ignorance. Sarkozy a infligé à notre peuple un nouveau juin 1848, moins l’effusion de sang, Dieu merci ! Autre temps, autres mœurs.

Comme le parti de l’Ordre, né de cette contre-révolution, son système est à la fois libéral dans sa logique économique, et répressif dans sa composante morale et sociétale. La loi créant des peines planchers pour les récidivistes, ou la tentative (en partie avortée) de maintenir en détention certains criminels au-delà de leur peine témoignent de cette politique ultra-répressive qui est aussi une politique de classe : impitoyable avec les petits délinquants, complaisante avec la voyoucratie en col blanc. Le résultat aura été de remplir les prisons et de faire de la France pénitentiaire un pays du tiers monde. Procédant de la même philosophie, la politique d’immigration a associé la répression à des invocations d’une identité nationale aux relents nettement pétainistes. Cette tranquille médiocrité flatte nos pires instincts : un fait divers, une loi. La force de Nicolas Sarkozy est de s’assumer totalement comme chef d’une droite dure, telle que la France n’en avait plus connue depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il poursuit un objectif idéologique dont la crise – contrairement à ce qui a parfois été dit – ne l’a jamais détourné. Ainsi, la flambée du chômage ne l’a pas conduit à reconsidérer un seul instant son slogan du « travailler plus pour gagner plus », pourtant totalement à contre-courant des nécessités sociales. Sa « gouvernance » pose un problème démocratique. Elle a souligné plus encore qu’avec ses prédécesseurs de la Ve République que nous vivons sous les auspices d’une sorte de « dictature électorale ». Tous les cinq ans, nous sommes invités, librement et démocratiquement, à élire notre Chef et à lui accorder notre blanc-seing ; puis nous ne pouvons plus rien. Hormis, peut-être, nous révolter. Lui peut tout. Même ignorer un référendum européen.

C’est à propos de cette démocratie infirme que François Bayrou, homme de droite, est sans doute le plus pertinent. La justesse de sa critique pour autant ne le transforme pas en parangon de justice sociale. Il est tout de même étonnant que, face à Sarkozy, ce soit sa voix, avec celles de Mélenchon et de Besancenot, qui porte le mieux. La visibilité du leader centriste conduit immédiatement nos socialistes et leurs journalistes à ordonner leur pauvre stratégie autour de lui. Autant dire à imaginer l’autodissolution de la gauche. Et pourtant, si nous voulons retenir de ces deux années de sarkozysme au moins une leçon positive, ce serait celle-ci : à la droite décomplexée, il faut opposer une gauche décomplexée. Une gauche qui s’assume comme telle, et n’a pas honte de défendre les salariés, les exclus et les pauvres. Curieusement, des sondages révèlent ces jours-ci que les Français désapprouvent massivement Sarkozy, mais que celui-ci serait réélu si la présidentielle avait lieu demain. Comme la preuve mathématique de l’inexistence de la gauche, et de l’urgente nécessité de la reconstruire.


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