Abstention piège à cons (éditorial national du Parti de Gauche)

mercredi 13 mai 2009.
 

Dans la culture républicaine dont est pétri notre pays, il est périlleux de soutenir publiquement l’abstention. L’appel civique au vote est presque une figure imposée car notre société considère globalement l’abstention comme un problème pour la démocratie. On pourrait oublier que ce point de vue est singulier. Les Etats-Unis se pensent comme la démocratie la plus avancée du monde malgré un taux d’abstention record sans y voir de contradiction. Pas la France. Seul Devedjian, alors ministre et précurseur de l’atlantisme décomplexé de Sarkozy, avait eu la franchise de déclarer au Sénat en 2003 : « dans l’abstention, on peut regretter l’insuffisance de civisme, mais on peut aussi se féliciter d’une meilleure expression du consensus (...) qui s’exprime d’autant plus facilement que la société est apaisée ».

Ajoutons plus prosaïquement qu’il est pour le moins maladroit de solliciter les suffrages des électeurs tout en les incitant à rester chez eux. C’est pourquoi vous n’entendrez aucun des principaux protagonistes de cette élection européenne appeler à déserter les urnes. Et pourtant c’est le message subliminal qu’ils diffusent.

Depuis quelques jours, les médias annoncent ainsi comme une certitude inévitable un taux d’abstention dépassant 65%. Cette « information » est généralement accompagnée du commentaire suivant : ce n’est pas étonnant, les Français ne comprennent rien à l’Union Européenne. Après le référendum de 2005 les mêmes avaient expliqué la participation record par un « vote de la peur ». Le diagnostic varie, jamais le malade. C’est toujours le peuple qui va de travers. Les puissants, eux, sont sans doute contraints à leur corps défendant de conserver entre leurs mains par définition expertes les affaires européennes victimes de l’indifférence populaire. D’ailleurs les dirigeants européens ne font-ils pas preuve d’un activisme débordant et sincère pour impliquer leurs concitoyens ? Le 9 mai, ne financeront-ils pas un bus civique à l’occasion de la journée de l’Europe ? Devant de tels efforts, il serait franchement déplacé d’oser rappeler que les mêmes ont pris soin de placer la Banque Centrale Européenne à l’abri des caprices des peuples ou encore de proscrire tout référendum populaire sur le traité de Lisbonne. Il y a des appels au vote qui feraient fuir les isoloirs.

Embarqués dans ce courant de despotisme éclairé qui domine les élites européennes, l’UMP mais aussi le PS, semblent convaincues à leur tour des délices de l’abstention. Sinon pourquoi un départ en campagne aussi tardif, à un mois seulement de l’échéance alors qu’ils sont en train de commencer la campagne des régionales plus d’un an à l’avance ? Les listes européennes de l’UMP ne sont toujours pas bouclées et Pécresse révèle déjà les premiers noms de celle qu’elle conduira pour les régionales en Ile-de-France ! Quant aux dirigeants socialistes, que font-ils ? Ils sont conduits par une Martine Aubry qui explique que l’Europe est un « projet en soi » après l’avoir été pendant dix ans par un François Hollande qui disait pareillement « quand nos engagements européens sont en cause, il n’y a plus de clivages politiques qui demeurent ». Ils devraient donc obsédés par cette rencontre entre l’Europe et le peuple. Eh bien non. Ils sont, de Hollande à Rebsamen, ostensiblement occupés à discuter de l’alliance avec le Modem pour les prochaines régionales.

« Le but est dans le chemin » disait le taoïste Lao Zi. Projet européen et rapport au peuple forment un tout cohérent. La poursuite, même aménagée dans un sens plus « social », du cours actuel de la construction européenne est incompatible avec la participation populaire. Ce n’est pas une accusation polémique. C’est désormais officiel depuis que les partisans du traité de Lisbonne ont admis publiquement que la ratification qu’ils défendent justifiait le non recours aux référendums et le non respect du vote des peuples. A l’inverse, la réorientation radicale de la construction européenne n’aura pas lieu sans un processus d’implication populaire. Comme dirait l’autre, tout se tient ! C’est pourquoi les listes pro-traité de Lisbonne sont aussi des listes pro-abstention. C’est pourquoi les partisans du Front de Gauche se crèvent la peau pour faire vivre cette échéance. Deux cohérences s’affrontent. Ceux qui croient contester l’Europe actuelle en s’abstenant se laissent donc enfumer. Quant on veut changer d’Europe, le slogan de saison c’est « abstention piège à cons ! ».


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