Annick Coupé : « Personne n’a l’équation parfaite, il faut débattre avec les salariés ».

samedi 25 avril 2009.
 

HD. L’unité maintenue par les 8 organisations syndicales est un fait d‘autant plus inédit pour vous qui représentez un syndicat jeune, qui se retrouve dans cette posture pour la première fois. Vous vous entez à l’aise dans cette intersyndicale ?

Oui, il n’y a pas de problème pour l’instant. C’est vrai que la CGT avait lancé l’invitation, en octobre 2008, aux 8 syndicats. A l’époque, quand Maryse Dumas m’avait appelé, je lui avais dit tout de suite qu’on était d’accord mais je lui avais tout de suite posé la question : « mais si des organisations ne veulent pas qu’on soit là ? » puisque c’était en général le cas, à part pour le CPE. Mais elle m’avait répondu que la CGT souhaitait faire, de toute façon, avec tous ceux qui répondraient favorablement. Le fait que la CGT ait cadré les choses comme ca dès le départ, ca a certainement débloqué les choses. Et de fait, jusqu’à présent, il n’y a pas d’organisation marginalisée ou traitée comme la dernière roue de la charrette. Pourquoi cela est-il possible maintenant alors que ca a été impossible pendant des années ? Je crois que c’est à cause ou grâce à la crise. Toutes les organisations syndicales voient bien la gravité de la crise et de ses conséquences et mesurent bien qu’il y a donc besoin d’un front syndical. Je crois que c’est ca qui a poussé à construire ce front syndical qui dure et qui a été capable de construire, non seulement des mobilisations, mais aussi une plate-forme commune. Et quand on regarde cette plate-forme… Ce n’est pas la plate-forme de Solidaires, ni d’aucune autre organisation… mais ca fait très très longtemps que le mouvement syndical n’a pas construit de façon unitaire un texte avec du contenu qui dit clairement que ce n’est pas aux salariés de payer la crise… Enfin, le bilan des résultats aux élections prud’homales a aussi certainement joué…Certaines organisations qui ont eu des bilans pas très bons, ont peut-être tiré la conclusion qu’il fallait faire les choses différemment… Les élections prud’homales, c’était le 3 décembre. Moi, j’ai senti à la réunion intersyndicale qui a suivi que les choses avaient bougé…

HD. Est-ce qu’il n’y avait pas un risque que cette plate-forme soit justement un dénominateur commun minimal ?

Evidemment, quand on a commencé sa rédaction, nous n’étions pas sûrs d’y arriver. Pour nous ce qui était important, c’était le positionnement de fond consistant à dire que ce n’était pas aux salariés de payer la crise. C’était de nature à affirmer que les syndicats n’étaient pas dans une logique d’union sacrée avec le patronat et le gouvernement face à cette crise. C’était un point fort qui a été acté. Et puis même, sur les questions de régulation internationale… il y a des choses dans cette plate-forme dont je ne suis pas sûr qu’on les ait obtenues un an avant. On ne le prend pas comme un minimum, c’est une base revendicative intéressante et qui a une légitimité.

HD. Sur le contenu comme sur le type de mobilisation, vous avez à cœur en permanence de mettre en valeur des choses dont on sent bien que vous n’êtes pas entièrement satisfaits… Pourquoi ?

On a un paysage syndical diversifié, certains parlent d’émiettement. Et, même si nous avons pris la responsabilité de construire une organisation syndicale de plus, l’unité d’action est quelque chose d’important pour nous. On le vit dans les entreprises, les services, les administrations où on est. On sait que c’est toujours très compliqué mais on y travaille parce qu’on sait que c’est un élément du rapport de forces. A chaque fois qu’on a eu éclatement, cela a été mauvais pour nos luttes. C’est en tous cas l’état d’esprit dans lequel on est arrivés dans cette intersyndicale. Mais, évidemment, si on dit que c’est important pour le rapport de forces, l’intersyndicale a aussi la responsabilité de proposer des perspectives d’action. Ce qu’elle a jusqu’à présent réussi à faire. Là-dessus, nous avons dit que, entre le 19 mars et le 1er mai, il aurait fallu appeler à autre chose. Parce que face à un gouvernement qui ne bouge pas ou si peu. Mais ce point de vue est aujourd’hui minoritaire dans l’intersyndicale. Fallait-il pour autant prendre la responsabilité de casser l’unité syndicale ? Nous pensons que non. Parce que c’est un repère important, pour les salariés du public comme du privé. Mais nous pensons aussi que ce qui peut se passer sur le terrain peut aussi faire bouger les choses au sein de cette intersyndicale…

HD. Ce qui, pour la première fois est acté dans le texte du 30 mars, sur la nécessité d’actions locales au mois d’avril…

Oui et faire écrire cela dans le texte n’a pas été si simple que ca. Car certaines organisations pensent certainement qu’il faut laisser du temps au gouvernement, que la crise se gère sur le long terme… Mais, les plans sociaux c’est tous les jours qu’ils tombent et les intérimaires qui sont dégagés aussi,… les conséquences concrètes de la crise ne se sont pas arrêtées le 19 mars ! Et on ne voit d’ailleurs pas pour l’instant pourquoi ca ne s’amplifierait pas. Notre question est donc celle-là : comment maintenir le cadre unitaire national et en même temps, ne pas faire que les différences d’appréciation sur les rythmes soient paralysant. On n’est peut-être pas la seule organisation à faire face à cette contradiction et à essayer de la gérer. On pense qu’une façon de la gérer, c’est de faire ne sorte qu’il se passe plein de choses localement en terme de mobilisations.

HD. C’est-à-dire que vous collez à des luttes élaborées à partir de plans de licenciements ?

On est dans une situation aujourd’hui un peu paradoxale : il y a un climat de lutte. On ne peut pas dire qu’à part le 29 janvier et le 19 mars, il ne s’est rien passé… les universités, les fronts des licenciements, et puis à côté de ca, des réunions d’unions départementales et qui planifient des plans de mobilisation sur le mois. Pas encore assez mais il commence à y avoir des choses comme ca.

HD. Vous avez dit que le gouvernement commençait à bouger, à la marge…Est-ce que ca veut dire qu’il y a des mesures prises par ce gouvernement qu’il faut d’ores et déjà mettre au compte de cette mobilisation ?

Ce qui a été annoncé le 18 février ne répond pas du tout aux aspirations… la preuve par la réussite du 19 mars. Mais Nicolas Sarkozy a fait semblant de répondre, en disant donner 500 euros pour les chômeurs, 200 euros là et la suppression du tiers prévisionnel. Il a effectivement concédé ces miettes, pas du tout au cœur des problèmes posés. Mais s’il l’a lâché, c’est parce qu’il y avait eu le 29 janvier. Il ne l’aurait pas fait spontanément. Mais, dans le même discours il dit qu’il n’augmentera pas le SMIC, qu’il n’augmentera pas l’emploi dans la fonction publique, et qu’il ne touchera pas au bouclier fiscal… On voit donc bien que sur les thèmes qui sont au cœur des politiques de ce gouvernement et qui pourraient être faites assez facilement, pour l’instant c’est niet !

HD. Concrètement, que faudrait-il qu’il annonce pour mettre d’accord les 8 organisations syndicales ?

Je ne sais pas si ca mettrait les 8 d’accord mais il y a pour moi aujourd’hui trois dossiers qui sont importants : emplois, salaires et fiscalité. C’est là-dessus qu’il faudrait des mesures de fonds. Sur les salaires, c’est évidemment l’augmentation du SMIC. Sur l’emploi, il y a à la fois l’emploi dans la fonction publique (ce sont des emplois dont il y a besoin et c’est une responsabilité des pouvoirs publics de créer de l’emploi dans une période où le chômage explose), et la question de l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits. Sur la fiscalité, c’est quand même incroyable de continuer à justifier le bouclier fiscal, la défiscalisation des heures supplémentaires… c’est totalement hallucinant. Ces mesures permettraient de répondre aux besoins des gens et montreraient qu’on commence à inverser les logiques.

HD. Après le 1er mai, il y a le gong des vacances… S’il n’y a pas d’avancée significative d’ici là…

C’est un problème et une des raisons pour lesquelles nous on aurait préféré qu’il y ait des choses plus rapidement, comme rendez-vous central, c’était bien ça… Il y a bien les manifestations européennes initiées par la CES au mois de mai. C’est bien et même si Solidaires ne fait pas partie de la CES, on pense que c’est important qu’il y ait des manifestations européennes parce que cette crise n’est pas que française. Mais ce n’est pas nature à donner une suite à l’ampleur des manifestations du 19 mars, voire du 1er mai.

HD. Est-ce que vous mettez sur la table la proposition d’une journée de grève interprofessionnelle ? Si oui, est-ce que c’est une modalité capable de rassembler les salariés dans la diversité de ceux qu’on a vu le 29 janvier et le 19 mars ?

Je pense que oui. De toute façon, la question c’est que quand vous avez en face de vous des gens qui ne veulent rien entendre et qu’on continue de mettre en œuvre des choses qui vont continuer à dégrader la vie du plus grand nombre… la question c’est comment passer à une étape supérieure pour les faire céder ? Il faudra de toute façon de nouveaux rendez-vous. Et on pense que se pose aussi la question d’une grève reconductible, générale. Mais on n’est pas des fétichistes des mots, on sait bien que ca ne se décrète pas comme ca. Maintenant, ca fait aussi partie des choses qu’il faut dire, qu’il faudra à un moment donné aller au-delà qu’une grève de 24 heures. Mais, encore une fois, ca ne se décrète pas. Mais, au lendemain du 19 mars, on n’était pas opposés à une manifestation un Samedi. Tout ce qui comptait c’était qu’il y ait une suite donnée. Pour la suite, ce qui comptera pour nous c’est qu’il y ait un appel national et rapidement.

HD. La CGT dit, regardez ce qui s’est passé en Guadeloupe, leur mouvement s’est construit sur le très long terme… C’est un scénario auquel vous croyez ?

Je pense que la CGT a raison en disant cela. Dans notre syndicat, quand des gens disent qu’il faut faire comme en Guadeloupe, j’explique toujours que si la Guadeloupe en est arrivée là c’est qu’il y avait un contexte très particulier (liée à l’héritage colonial et aux structures économiques discriminantes). Mais c’est vrai qu’il y a eu ce travail depuis des mois, qui a consisté à tisser patiemment des liens. C’est vrai que ca prend du temps ; c’est un argument qui est juste. Mais les conséquences de la crise sont quand même lourdes et elles vont malheureusement s’amplifier. Donc si on laisse passer trop de temps, il y a un risque que les gens le subissent avec fatalité. C’est ca la difficulté : on ne peut pas claquer des schémas et espérer refaire ce qu’ils ont fait en deux ans patiemment et, en même temps, il y a une certaine urgence. Personne n’a l’équation parfaite et ce sont des questions qu’il faut arriver à débattre avec les salariés, l’intersyndicale ne répondra pas à tout.

HD. C’est aussi pour vous un appel à l’inventivité sur le type d’actions…

Bien sûr. On a un mélange, qu’on avait déjà un peu vu pendant le CPE, où les grèves c’est important mais où le nombre de manifestants dans la rue est aussi important. C’est pour cela que je pense qu’il faut conjuguer les deux. Et quand on voit le nombre de manifestants les 29 janvier et 19 mars dans les petites villes de province… c’est vraiment la population qui est descendue manifester. Ce qui est logique, au-delà des salariés dans les entreprises en difficulté, c’est la population qui est touchée par la crise.

HD. Et il y a aussi des grèves pour l’augmentation des salaires, comme cela a été le cas chez Magnetto, chez GDF-Suez… Vous pensez que c’est un signe ?

Je pense qu’il y a aujourd’hui une compréhension assez large dans le monde du travail sur l’idée que ce n’est pas à nous de payer la crise. Ce qu’ont tenté le patronat et le gouvernement sur l’union nationale ne marche pas. Et c’est amplifié avec tout ce qui se passe autour des salaires des patrons, des bonus, des parachutes dorés. Il y a à mon avis une accélération de la prise de conscience de ce qu’on dit depuis des années sur les inégalités dans le partage des richesses. Donc, le fait que même en période de crise, les gens se battent sur la question des salaires, ca veut dire que le chantage à la crise ne marche pas. Et ce sont des éléments qui me font dire que, même si on n’arrive pas à gagner aujourd’hui, on ne sera plus dans les mêmes paramètres pour l’avenir. Des pressions idéologiques fortes comme on en a eu ces dernières années, marcheront à mon avis moins bien dans l’avenir.

HD. On parle beaucoup de radicalisation… C’est une construction médiatique ou il y a quand même quelque chose qui se passe ?

Il y a une partie de construction médiatique, sur les termes employés : radicalisation, violence,… Mais il y a effectivement une colère qui monte. Des gens qui sont le dos au mur, se mobilisent mais ont l’impression que personne ne les écoute, que ce qui continue à prévaloir c’est les bénéfices,… c’est logique que la colère monte ! Et je trouve que c’est mieux que la colère s’exprime de manière collective, plutôt que les gens intériorisent et s’en rendent malades, dépressifs,… ou des actions désespérées individuelles.

HD. Si on revient sur les prud’hommes et sur les élections à la SNCF, les résultats restent ambigus. Vous progressez un petit peu mais est-ce vraiment autant que vous l’espériez ?

Ce sont d’abord des élections différentes. Sur les prud’hommes, on a une progression importante dont on est relativement satisfaits, même si on voudrait toujours progresser plus. Mais les prud’hommes, c’est vraiment l’illustration de l’implantation syndicale. Mais une fois dit ca, c’est quand même le syndicalisme de lutte (j’y mets la CGT et Solidaires) qui progresse et le syndicalisme qui a théorisé sur l’accompagnement, qui régresse et de façon importante. Sur la SNCF, on retrouve la progression du syndicalisme de lutte, même si la CGT est déjà tellement haute que c’est devenu compliqué pour elle de progresser…

HD. Qu’est-ce qui fait que la progression de Solidaires existe mais est plus modeste qu’annoncée ?

Dans les deux cas, c’est l’implantation de notre syndicat. Et puis sur ces grandes élections, il n’y a jamais non plus de grand bouleversement sur un seul scrutin. Le syndicalisme ne marche pas comme ca. Les progressions sont plutôt liées à des présences et des pratiques sur le terrain. Et, même à la SNCF, nous avons des trous d’implantation.

Entretien réalisé par Dominique Sicot et Vincent Bordas


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