La FSU pousse à l’intensification du mouvement interprofessionnel (interview de Gérard Aschiéri, secrétaire général de la FSU)

jeudi 23 avril 2009.
 

« Notre mouvement remporte des succès. »

Le monde de l’éducation était de nouveau en mouvement le 2 avril dernier. Quelles sont les raisons et les buts de ce mouvement ?

Nous avons pour but de continuer à sensibiliser l’opinion, à rassembler les enseignants, les parents,… Cela se traduit par des initiatives plus spectaculaires et moins massives. Même si 1000 manifestations à travers le pays et 20 000 manifestants à Paris, ce n’est pas rien. La volonté de mobiliser est toujours présente. Le point commun de nos revendications, c’est évidemment les suppressions de postes. Mais il y a aussi ce qui est perçu comme une politique éducative régressive. A l’université, c’est très net : avec tout ce qui relève de la conception de la recherche, de la liberté de la recherche, de la concurrence entre les individus, les établissements, etc. Et le sentiment d’une véritable agression contre tout ce qui est transmission et constitution des savoirs dans notre pays. C’est un sentiment très fort chez nos collègues universitaires. Mais à l’école primaire et dans le second degré, il y a aussi ce sentiment d’une politique qui va à l’inverse de ce qu’il faudrait. Et notre mobilisation a remporté des succès ; il y a eu des reculs. Dans les universités bien sûr mais on peut aussi parler de la réforme des lycées qui a été reportée, de la maternelle où le ministre a tout même été obligé de modifier et ses intentions et ses propos. Et on peut même parler des RASED puisqu’au lieu de 3000 suppressions de postes, il n’y en aura de fait que 1500. Il y a donc de vrais succès partiels et en même temps une politique qui, même si elle est obligée de tenir compte du rapport de forces, continue sur sa lancée.

Vous avez parlé à plusieurs moments de « sentiments » qui traverseraient tout le monde de l’éducation. Est-ce que le fait que ce sentiment soit un peu diffus ne nuit pas à la lisibilité de votre mouvement ?

Ca peut nuire à sa lisibilité en ceci qu’il n’y a pas une revendication qui résumerait le mouvement et qui permettrait de dire : cette revendication est satisfaite oui ou non. Bien sûr. Mais en même temps, ce mécontentement multiforme est aussi une force de mobilisation. C’est l’expression d’un ras-le-bol face à des politiques qui, pour l’université, ont pris un tour nouveau, ont été accentué car elles viennent de loin. L’idée qu’il faudrait développer la concurrence dans la recherche, qu’il faudrait modifier les statuts des organismes de recherche,… c’est quelque chose qui est ancien même si la loi LRU a donné un coup d’accélérateur. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs voulu en faire le premier symbole de sa politique de rupture. Ca a été très fort et a beaucoup secoué la profession.

Cette loi et ses contenus n’ont d’ailleurs pas toujours été contestés à ce niveau là par la communauté universitaire…

Bien sûr. Mais qu’en Nicolas Sarkozy est arrivé, en 2007, une de ses premières lois a été la loi LRU. Il en a joué en cherchant l’accord d’une partie de la communauté universitaire parce que l’autonomie est aussi une aspiration chez les universitaires… Il y a un côté positif à l’autonomie. Là où il y a problème, c’est quand il y a autonomie sans démocratie, avec concurrence et en oubliant que l’université est un service public. Mais il s’est appuyé par exemple sur une partie des présidents. Et il a joué sur le temps, en passant cette loi en juillet-août, à un moment où personne ne pouvait se mobiliser. Et, en faisant des concessions sur l’absence de sélection dans les filières, il a essayé de désamorcer du côté étudiant.

Cette loi est donc passée avec une apparence de consensus. Mais il y a eu au moment de sa mise en œuvre des batailles dans les universités, qui se sont cristallisées sur l’élection des présidents d’universités. Il est frappant de remarquer que des présidents ont été élus parce qu’ils s’opposaient à cette loi. Le cas le plus flagrant est l’exemple de Paris IV où l’ancien président, Robert Pitte à été battu, alors qu’il était un des soutiens de la loi, au profit d’un homme qui est aujourd’hui dans les manifestations auprès de ses collègues. Cela veut dire qu’il y a déjà eu des bras de fer et des batailles dans les universités autour de la mise en œuvre de la loi. Et le décret sur les services n’a été que l’élément déclencheur du mouvement, supplémentaire aux propos très méprisants pour les chercheurs, qu’a tenu le président de la république.

Comment cette bataille, qui va aujourd’hui bien au-delà des simples syndiqués, s’articule-t-il avec le mouvement initié par les 8 syndicats, interprofessionnel ?

Il y a d’abord un élément factuel qui est que les mobilisations interprofessionnelles ont été, pour les universitaires, une occasion d’afficher très fortement leur mobilisation. Même si le mouvement des universités n’a pas commencé le 29 janvier, il est apparu très fortement à partir du 29 janvier. Et le 19 mars a aussi contribué à donner du souffle. Le « tous ensemble », c’est quelque chose de porteur. Mais inversement, l’existence de mobilisations qui durent, et qui remportent des succès, ca donne envie aux autres… En revanche, un de nos problèmes est que le rythme d’un mouvement interprofessionnel ne colle pas avec le rythme d’un mouvement comme celui des universités. Et je sais que beaucoup d’universitaires voudraient que ca aille plus vite au plan interprofessionnel. Mais c’est d’une certaine manière un grand classique : quand il y a un mouvement fort dans un secteur, ce mouvement a en général tendance à se retourner, se disant « mais que font les autres » ? Sauf que ca ne marche pas comme ca. La solidarité existe, bien sûr mais on ne fait pas des mobilisations très fortes seulement sur la solidarité.

A la dernière réunion intersyndicale, vous vous êtes félicité que le communiqué encourage les actions tout au long du mois d’avril et qu’il pense déjà à l’après 1er Mai. Ca veut dire que la FSU pousse à l’intensification du mouvement interprofessionnel ?

Oui mais je crois que c’est quelque chose qui fait assez l’accord parmi les 8 syndicats : on est dans une période où on a sans doute besoin de cette intensification et le texte du 30 mars va effectivement dans ce sens. Car on voit bien que, au-delà de l’université, il ya une intensification de la tension sociale. Ce qu’on a vu les semaines précédentes, les actions d’occupation, de séquestration de cadres,… Tout ca c’est un signe que tout le monde perçoit bien. Toute la difficulté pour les 8, c’est de prendre un bon rythme, en restant à 8. C’est-à-dire d’avoir un accord à 8 tout en créant les conditions pour que les salariés, les chômeurs, les retraités qui ne sont pas dans ces secteurs en lutte, puissent se retrouver avec tout le monde. C’est un réglage parfois un peu délicat. Il faut sans doute aussi varier les modalités d’action pour que ca marche. C’est le débat que nous aurons pour l’au-delà du 1er mai. L’unité on y tient, parce qu’il nous semble que les salariés y sont très attachés et que, si ils nous ont suivi si massivement le 29 janvier et le 19 mars, c’est aussi parce qu’il y avait cette unité. Elle donne de la crédibilité au mouvement.

Il y a donc la plate-forme revendicative des 8 organisations syndicales. Comment sera-t-il possible d’être satisfaits à 8 vis-à-vis de cette plate-forme ?

Il y aura toujours débat. On sait bien que la plate-forme elle-même peut être sujette à interprétations. C’est le propre de tout compromis. Mais l’objectif c’est de rester ensemble et, pour le moment, ca fait 3 mois que cela tient. Au moment du CPE, c’était simple, notre revendication c’était le retrait. Lorsque nous avons obtenu le retrait, l’unité s’est arrêtée. Là nous sommes dans une autre dynamique. Simplement, ce que je pense aussi c’est que le fait d’être ensemble change les relations entre les organisations, entre les personnes… On se comprend mieux, on s’écoute. Et ca, je pense que c’est un acquis pour l’avenir.

Quels sont les types de mesures sociales qui vous permettront de dire, ca y est, on est satisfaits ?

Sur l’emploi, il y a par exemple deux types de mesures, qui sont assez explicites dans la plate-forme et dans lesquelles tout le monde se retrouve : le retrait des dispositifs de défiscalisation des heures supplémentaires et l’arrêt de la suppression de postes dans la fonction publique. S’il y avait réponse là-dessus, on pourrait dire qu’il y a un vrai changement de politique. Deuxième chose, sur les salaires. Il y a ce qui peut être fait immédiatement comme une augmentation du SMIC. Et puis, il y a les négociations salariales. Même si chaque organisation ne porterait pas la même appréciation sur leur résultat, il y a accord entre toutes pour dire qu’il faut des négociations salariales. Enfin, un troisième ensemble de mesures est assez nouveau, c’est l’idée du conditionnement des aides aux entreprises, sur des orientations et même pour plus de démocratie sociale dans la gestion de ces entreprises. A mon avis ces trois éléments sont précis dans la plate-forme et marquent bien qu’on souhaite un changement d’orientation en matière de politique économique et sociale. Mais, pour prendre la proposition de la CFDT d’un fonds d’investissement social, sur laquelle elle met beaucoup l’accent. Cette proposition n’est pas en contradiction avec ce que nous disons tous, y compris parce que ca remet en cause les choix fait par la loi Tepa en matière de fiscalité.

Un des faits marquant de la manifestation du 19 mars, c’est le retour en force des salariés du privé. Et les secteurs les plus en lutte, comme l’automobile, c’est évidemment des salariés du privé. Comment les fonctionnaires peuvent-ils s’identifier et s’inscrire dans ce mouvement ?

Il y a plusieurs niveaux. D’abord, quand dans un bassin d’emploi ou dans une ville, une entreprise est menacée, tout le monde se mobilise, fonctionnaire ou pas. Parce que l’instituteur du coin ou le professeur de collège, il sait que ca va y compris avoir des répercussions sur lui. Deuxièmement, on est là dans une situation où, au-delà de l’intérêt de chaque secteur, il y a bien un accord pour dire que les politiques conduites, dans leur globalité, ne vont pas. Troisièmement, la question des suppressions d’emplois dans la fonction publique, ce n’est pas que l’affaire des fonctionnaires. C’est d’ailleurs au moins autant l’affaire des autres que celle des fonctionnaires. Car qui va payer le prix de ces suppressions de postes ? Les jeunes qui sont en attente d’emploi. Parce que ces suppressions, c’est effectivement pas des fonctionnaires qui vont se retrouver au chômage mais bien des gens qui attendaient un emploi et qui vont se retrouver pénalisés. Enfin les usagers vont payer ce prix, par une dégradation de la qualité des services publics. L’hôpital ou l’éducation en sont de très bons exemples. D’ailleurs, toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’il y a un accord très large, au-delà des seuls fonctionnaires, pour condamner les suppressions de poste et en particulier dans la santé et dans l’éducation.

Donc la montée en charge du privé dans les manifestations ne m’inquiète pas, au contraire. C’est positif parce que ca ne peut pas être le secteur public qui porte à lui seul la bagarre sur des sujets de société aussi profonds. Et ca m’inquiète d’autant moins que les revendications des fonctionnaires, d’une certaine manière, elles concernent tout le monde. Y compris la revendication d’augmentation de leurs salaires… Les fonctionnaires, c’est 5 millions de personnes, soit 20% du salariat. Je suis convaincu que si l’état et les collectivités en tant qu’employeurs, adoptaient une politique salariale un peu ambitieuse, ca mettrait de l’essence dans la machine… augmenter les salaires de millions de personnes a des effets sur la relance par le consommation. Mais ca aurait aussi un effet d’entraînement sur le privé.

Et, inversement, vous pensez pouvoir mobiliser la population sur les politiques éducatives, au-delà des parents d’élèves ?

Globalement les français ont assez confiance dans le système éducatif et surtout dans les enseignants. Et l’idée que l’éducation, c’est un investissement pour l’avenir, je pense que c’est une idée pas très difficile à faire partager.

Sur la suppression des emplois publics, une exception a été faite par Nicolas Sarkozy pour apporter les renforts de 1800 personnes au pôle emploi…

Heureusement ! Mais ça ne suffit pas. On est alerté par nos collègues du pôle emploi sur la dégradation considérable des conditions de travail, qui va de pair avec une dégradation de la qualité du service rendu aux chômeurs. Mais nos camarades des services territoriaux nous alertent aussi sur les services sociaux et la difficulté dans laquelle se trouvent les personnels face à la demande d’aide sociale liée à la crise. Il y a démultiplication des besoins et les services publics sont aujourd’hui sous-dimensionnés face à ces besoins.

Entretien réalisé par Dominique Sicot et Vincent Bordas


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