"Il faut monter d’un cran" : Une grève générale franche intersyndicale de 24 heures (interview de Jean-Claude Mailly, Force Ouvrière)

samedi 25 avril 2009.
 

29 janvier, 19 mars, 1er mai,… les mobilisations sont fortes (on l’espère pour le 1er mai), mais avec un rythme espacé. Ce rythme vous convient-il ?

J-C.M. La crise est longue, personne ne sait à quel moment elle va se terminer. Nous, à FO, nous considérons qu’on ne peut pas appeler à des journées de mobilisation de ce type à répétition trop fréquemment. Que faut-il faire ? Plusieurs pistes sont en débat dans l’intersyndicale, le dernier communiqué intersyndical en évoque. La position de FO c’est que si le gouvernement et le patronat ne bougent pas, il faut monter d’un cran. Pour nous, ce serait un appel commun des 8 organisations à une journée de grève franche. Une journée de grève public-privé, à l’appel de tout le monde.

Et vous sentez aujourd’hui un état de la mobilisation tel qu’un appel de ce genre pourrait avoir un résultat significatif ?

J-C.M. Nous pensons que oui. Parce qu’il y a des demandes. Il y a de la détermination chez les salariés. Mais aucune organisation, seule, ne peut réussir un appel à la grève de ce type. Pour qu’il soit réussit il faut que ce soit un appel commun. L’unité d’action jouerait en faveur d’un tel appel, oui.

Mais le 29 janvier et le 19 mars, une majorité des manifestants étaient en grève…

J-C.M. Il y a même des médias qui ont parlé de grève générale… Mais non, c’est différent. Si on dit actions de grève et de manifestations, comme lors des deux précédentes journées, ca veut dire qu’on n’appelle pas forcément à la grève. Les journées du 19 et du 29 ont d’ailleurs moins été jugées à l’aune du taux de grève qu’au nombre de manifestants. C’étaient deux mouvements puissants, avec grèves et arrêts de travail. Mais, hormis les quelques mesurettes annoncées le 18 février, ca n’a pas fait bouger les choses sur des questions que l’on juge clés comme celle du pouvoir d’achat des salaires.

Au titre de ce qui a bougé du côté gouvernemental, il y a la création d’un fonds social d’investissement… Mesure ou mesurette ?

J-C.M. C’est une structure souple, de coordination, qui ne fait ni l’objet de signature ni l’objet d’un décret… C’est ce que nous voulions. Car nous ne voulions pas qu’à travers la constitution d’un nouveau « bidule », l’Etat prenne le pilotage de tout, y compris ce qui relève d’organismes paritaires existants. Chacun doit rester dans ses responsabilités.

Donc c’est plutôt positif…

J-C.M. Sur la méthode, oui. Mais prenez des situations comme celle d’Arcelor-Mittal à Florange, si on ne peut pas échapper au chômage partiel long et massif, il faut bien que les salariés aient des garanties. Pour nous elles doivent êtres claires : pas de rupture du contrat de travail, une rémunération la plus forte possible (l’idéal c’est 100%) et un système de formation.

Florange, les plans de licenciement annoncés quasi quotidiennement,… est-ce une chape de plomb supplémentaire sur les salariés ou, au contraire, une raison de mobilisation ?

J-C.M. D’habitude, dans une période de crise, le premier réflexe des salariés est de baisser un peu la tête, de se dire « pourvu que ca me tombe pas dessus »… On n’est pas dans ce genre de situation aujourd’hui. La crise est encore plus grave que les précédentes mais les salariés ne baissent pas pour autant la tête. Ils l’ont montré le 19 mars et le 29 janvier et ils le montrent régulièrement dans les conflits locaux. _ Ça veut dire qu’il y a notamment un très fort sentiment d’injustice auquel le gouvernement n’a pas répondu. Et ce n’est pas un décret sur la rémunération des patrons, qui concernera 8 chefs d’entreprises, qui va changer fondamentalement les choses. Sur les revendications concrètes, en matière d’emploi, de pouvoir d’achat, de services publics, il n’y a pour le moment pas de réponse.

Vous avez parlé du chômage partiel. Quelles autres mesures le pouvoir et le patronat devraient prendre pour que vous soyez satisfaits ?

J-C.M. Sur les questions d’emploi, il y a différents types de mesures. L’amélioration des dispositifs sur le chômage partiel est la plus urgente. Une disposition législative qui obligerait à des contreparties sociales à chaque fois qu’une entreprise bénéficie d’une aide publique est aussi nécessaire, avec obligation d’information des syndicats et des instances représentatives. Mais il faut qu’il y ait une disposition légale pour sortir de coup par coup. Le 9 avril, on a par exemple appris que le fonds stratégique d’investissement mettrait 10 millions d’euros dans Heuliez… quels types de contreparties sont exigées ? Ensuite, nous sommes partisans d’un gel des licenciements dans les entreprises et secteurs qui ne connaissent pas de difficultés particulières. Dernière chose, l’emploi public : 30 000 emplois supprimés dans la fonction publique, c’est 30 000 jeunes qui ne trouvent pas de boulot. L’Etat doit donner l’exemple ; c’est vrai aussi au sein des personnels civils de défense nationale où il y a un programme de 54 000 suppressions de postes ! Et regardez les problèmes qui se posent au Pôle emploi ou au sein des Caisses d’allocations familiales (CAF) où on ne recrute insuffisamment.

Et puis, il y a le pouvoir d’achat. Moi je ne comprends pas : personne ne sait combien de temps la crise va durer, est-ce qu’elle va continuer à s’amplifier ? Or quand on ne sait pas, il faut actionner tous les leviers. _ Aujourd’hui, ils n’en ont actionné qu’un : le plan de relance de l’investissement. Mais sur la consommation, il n’y a rien. Pourquoi ne pas actionner le levier consommation, c’est un levier indispensable. Ca rejoint un autre débat, sur la répartition de la valeur ajoutée sur lequel nous avons une divergence d’appréciation avec le gouvernement. On sent très bien qu’ils veulent venir vers une répartition des profits pour favoriser les formes de rémunération flexibles (intéressement ou autre). _ Alors que nous, nous voulons parler de la répartition des richesses, c’est-à-dire de la valeur ajoutée. Ca c’est la répartition entre le capital et le travail.

Vous disiez que la crise est longue, quelle en est votre analyse ?

J-C.M. On est dans une crise du système capitaliste. Ca ne veut pas dire que c’est la fin du système capitaliste mais ca veut dire qu’il y a des éléments structurels dans cette crise. Et l’une de mes craintes, c’est qu’on ne s’attaque pas à ces questions structurelles. Il y a un an, deux ans, on était autour de 50 milliards d’euros de déficit public et le premier ministre déclarait le pays « en faillite ». On est aujourd’hui à 100 milliards de déficit. Toujours pas de faillite mais que fera-t-on au moment de la reprise économique ? Revenir à la règle qui veut qu’on ne dépasse pas les 3% de déficit public en serrant de nouveau à fond les dépenses publiques et les dépenses sociales ? C’est un des gros risques de la crise actuelle. C’est pour cela qu’il faut travailler aussi sur les éléments structurels de notre société. Il ne suffit pas simplement de gérer une période de crise.

Et il faudra aussi être satisfaits à 8 syndicats… sacré défi ?

J-C.M. Pour le moment, ça marche. On est d’accord sur des objectifs, ce qui n’empêche pas chaque organisation d’avoir ses priorités, ses revendications spécifiques. Par exemple, je crois qu’on est les seuls à demander qu’on remette en place des systèmes de préretraite. Mais cette unité d’action, c’est une force pour les salariés vis-à-vis de nos interlocuteurs. Pour le moment ca marche et après on verra…

Vos adhérents sont-ils demandeurs de cette unité syndicale ?

J-C.M. Oui mais ils ne veulent pas faire n’importe quoi. C’est caricatural mais on se souvient de 2003 et de la lutte échouée sur les retraites. C’est pour ça que nous disons que si le gouvernement ne bouge pas, il faudra passer un cran supérieur. Le 1er mai, on espère que ça va marcher, bien entendu… les premiers éléments qui remontent sont d’ailleurs positifs. Dans des départements modestes, 7-8 manifestations sont d’ores et déjà prévues.

Besoin d’unité pas à n’importe quel prix mais besoin d’unité qui pousse quand même FO à faire de ce 1er mai une journée unitaire…

J-C.M. Ce n’est pas la première fois. Nous ne faisons pas systématiquement des 1er mai dans l’unité d’action, c’est vrai. Mais on l’a déjà fait : en 2002, contre l’extrême droite qui était arrivé au second tour de l’élection présidentielle et en 2003, au moment de la bagarre sur les retraites, nous l’avons fait. Et même en 2006, juste à la fin de la lutte contre le CPE, j’avais fait le défilé dans l’unité d’action à Rennes. On décide de la faire quand on est dans une situation particulière. C’est le cas aujourd’hui.

La division des syndicats est-elle selon vous un facteur aggravant de la faible syndicalisation des salariés français et de la faible participation aux élections prud’homale, au cours desquelles FO a perdu un peu de son influence ?

J-C.M. Non, moi j’ai toujours considéré que dans une démocratie, le pluralisme est une nécessité. S’il y a pluralisme, c’est qu’il y a des positions différentes. Mais ne confondons pas tout. Si le taux de syndicalisation était plus élevé, ce serait mieux, bien entendu. Mais, est-ce que pour autant les droits des salariés français sont inférieurs aux droits des salariés dans lesquels la syndicalisation est plus forte ? Non. Un des éléments qui explique cela, c’est ce que j’appelle la République sociale. Quand on signe un accord interprofessionnel ou de branche, il y a une procédure d’extension qui fait que celui-ci s’applique à toutes les entreprises. Ce qui fait que vous soyez salarié d’une TPE, d’une multinationale, syndiqué ou non, vous avez les mêmes droits. Il y a des pays où chaque syndicat gère sa propre assurance chômage, où les accords ne s’appliquent qu’aux seuls adhérents des syndicats signataires,… Mais ca, c’est un système dont on ne veut pas parce qu’on est attachés aux valeurs républicaines. Quant aux prud’hommes… quel crédit réel peut-on apporter à une élection où, malheureusement, un électeur sur quatre est allé voter ?

Entretien réalisé par Vincent Bordas et Dominique Sicot.


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