De la Révolution française à aujourd’hui, en passant par la loi de 1905, le combat laïque continue

dimanche 8 octobre 2006.
 

La laïcité est beaucoup plus que l’on ne croit

Le concert médiatique répand volontiers des approximations de toutes sortes sur ce que serait la laïcité. Ni tolérance, ni liberté religieuse, ni égalité des religions devant la loi, ni neutralité, ni même seulement liberté de conscience, la laïcité est beaucoup plus que tout cela. Elle est un principe d’organisation de la société tout entière. Elle est l’organisation sociale qui permet d’harmoniser ce qui ne l’est pas, en s’appuyant sur l’Homme universel que chacun de nous porte en lui. Elle applique à la société le mouvement binaire de la raison qui est de « séparer pour comprendre », ou encore de « délier pour unir ». Elle permet ainsi de construire la société sur la part de chacun qui le rattache à tous les autres. Pour cela, elle rend également aptes les citoyens à décider de tout dans la sphère sociale, en garantissant l’insubordination absolue du citoyen à quelque autre autorité que sa raison. Inséparable de la citoyenneté et de l’égalité, la laïcité porte le projet politique du citoyen roi. Elle est ainsi le socle philosophique de la République qui fait du peuple conscient et souverain le seul fondement de l’Etat. Mais elle n’est pas un projet facile ou qui pourrait être achevé. Elle suppose « que la raison soit rendue populaire » (Condorcet), que l’éducation puisse conduire l’Homme à la majorité de ses facultés. D’où l’école comme le plus ambitieux de ses champs d’application. Elle suppose encore que l’Etat veille à ne laisser personne enfermé dans sa différence, sociale, ethnique, culturelle, religieuse, linguistique, qui pourrait amputer son pouvoir de citoyen.

Un combat qui vient de loin

Les thèses les plus folkloriques circulent sur l’origine prétendue de la laïcité. Comme l’idée saugrenue qu’elle serait en germe dans l’évolution des religions elle-même, telle l’Eglise catholique qui dit l’avoir inventée alors qu’elle a condamné officiellement le principe même de la liberté de conscience jusqu’en 1962. Plus sérieusement, la laïcité est la formule politique qu’a longuement mûri un des peuples européens les plus meurtris par les guerres de religion et l’emprise du cléricalisme. Plus que tout autre, le peuple français a fait la longue expérience d’une société rendue invivable quand les convictions particulières prétendent faire la loi pour tous. La laïcité est ainsi le fruit d’un long tâtonnement dont le débouché le plus abouti fut une Révolution française à l’ambition laïque encore inachevée.

Le moment fondateur de la Grande Révolution

Beaucoup l’oublient volontiers mais le premier grand texte laïque n’est autre que la déclaration des droits de l’Homme de 1789. En pointant « l’ignorance, le mépris et l’oubli des droits de l’Homme » comme « la première cause des malheurs publics », son préambule fait directement référence au maintien par le contrôle clérical des âmes de la société d’exploitation de l’Ancien régime. Et dès les premiers articles, le poison politique du particularisme est dénoncé en excluant désormais toute « distinction sociale » qui ne serait pas « fondée sur l’utilité commune ». On se prémunit également de toute emprise cléricale sur les affaires de la cité en précisant bien que « le principe de toute souveraineté réside dans la Nation » et que « nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Dès 1789, la Grande Révolution met ainsi une autre société à l’ordre du jour en posant les bases de la laïcité. Et le décret du 3 ventôse 1794 proclame pour le première fois la séparation de l’église et de l’Etat en précisant que la République ne salarie aucun culte et que les manifestations religieuses sont interdites hors des édifices du culte. Malmenée tout au long du 19ème siècle, la laïcité sera systématiquement remise à l’ordre du jour par les Républicains, comme en 1871 où la Commune consacre un de ses principaux décrets (2 avril) à séparer l’église et l’Etat et à supprimer tout budget des cultes. Comme si dans la laïcité, c’était en fait la République elle-même qui était à chaque fois en jeu. 1905 marque ainsi la réplique décisive qui permet l’émancipation durable d’une puissance publique qui n’appartient plus désormais à personne en particulier mais au peuple tout entier. Mais l’œuvre de laïcisation devait aussi pénétrer toute la vie sociale et publique.

Une laïcisation encore inachevée de l’espace public

Avant même la loi de 1905, l’école fut le premier laboratoire pratique de la laïcité avec dès 1880 une succession de loi laïcisant les programmes, les personnels ou encore les salles de classe elles-mêmes. Après l’école, ce sont progressivement les autres lieux publics qui furent ainsi universalisés et rendus à tous : crucifix enlevés des mairies et tribunaux, croix évacuées de l’entrée des cimetières, jusqu’aux sonneries de cloches strictement réglementées. La laïcisation des lois et des institutions fut encore plus longue : si la légalisation du divorce entame la laïcisation du droit de la famille, il faut attendre 1983 pour voir disparaître les dernières mentions du « chef de famille », survivance du patriarcat catholique en droit français. Et les femmes ne furent vraiment libres de disposer de leur propre corps, lui aussi sous l’emprise de principes religieux, qu’à partir des années 1970.

Dès 1905, après plus d’un siècle de luttes incertaines, aucun républicain ne croyait que la partie était définitivement jouée. Il ne faudra d’ailleurs que quelques mois au régime de Vichy pour délaïciser complètement l’Etat, en poussant à l’extrême l’enfermement communautaire du citoyen : la loi du 2 juin 1941 postule ainsi comme israélite toute personne qui n’adhère à aucune des confessions reconnues par l’Etat avant 1905. Une période qui laissera d’ailleurs des séquelles durables pour la laïcité en France, en relançant notamment le financement public de l’école privée qui sera ensuite conforté par les démocrates chrétiens et les gaullistes sous les 4ème et 5ème République.

Les nouveaux fronts du combat laïque

Sur le front historique de la lutte contre l’emprise cléricale sur la société, beaucoup reste encore à faire. Des territoires entiers de la République comme les trois départements de l’Alsace Moselle sont encore privés des bienfaits de la loi de 1905. Surtout l’émancipation laïque reste à porter dans l’espace européen et plus largement mondial. Au-delà du cléricalisme, l’enfermement communautaire prend aussi aujourd’hui des formes multiples (linguistiques, régionales, ethniques ...) qui contribuent à maintenir le citoyen en minorité. L’oppression économique du nouvel âge du capitalisme fait de même et épouse volontiers les mouvements particularistes. Rien de tel en effet que d’exalter le droit à la différence pour aboutir à la différence des droits recherchée par le marché. De quoi convaincre la gauche que la laïcité est plus que jamais un moteur décisif de la transformation sociale, un atout majeur pour démultiplier la force collective, pour rendre tangible l’intérêt général pour le plus grand nombre.


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