NPA et syndicalisme de lutte : un rôle complémentaire

dimanche 3 mai 2009.
 

La construction d’un nouveau parti anticapitaliste (NPA) rencontre un vif intérêt parmi les militants syndicaux qui dans les entreprises privées et publiques luttent pour défendre les intérêts des salariés. C’est au jour le jour que ces militants luttent contre le gouvernement et les patrons qui tentent de supprimer les acquis en portant de nouvelles attaques notamment sur l’emploi : suppressions de postes, précarisation des statuts, dégradations des conventions collectives, des horaires et des conditions de travail, licenciements individuels… Les droits syndicaux sont aussi mis à rude épreuve. Pour mener à bien cette politique de destruction sociale, gouvernement et patronat ont accentué ces derniers mois une pratique ancienne : essayer de briser, corrompre, décourager ceux et celles qui, sans relâche, mènent le combat contre ces attaques et qui sont en première ligne : les équipes syndicales combatives. Ils sont des dizaines de milliers de syndicalistes, dévoué-e-s et actif-ve-s, ne comptant ni leurs heures ni leur énergie pour soutenir, défendre, organiser leurs camarades de travail et ils se retrouvent derrière diverses étiquettes syndicales, tant il est vrai que, ramenées au niveau de l’entreprise, elles ne veulent parfois pas dire grand-chose. Ces militants peuvent souvent se sentir isolés, démunis devant des attaques organisées, concertées, relayés par les grands moyens de propagande.

Démunis car d’autres, bien sûr, n’ont parfois de délégués que le nom, prompts à suivre les directives du patronat, à signer des accords avec la certitude d’être protégés ou de faire carrière.

Cette différence est un des facteurs, en plus de la division et des reculs sociaux subis sur de grandes questions (retraites notamment), qui expliquent sans doute que les syndicats sont en perte de vitesse : baisse d’adhésions, d’équipes militantes qui s’impliquent, faible syndicalisation des jeunes, malgré une participation souvent importante aux élections professionnelles.

Les directions des confédérations syndicales nationales ne sont guère une aide dans ce bras de fer avec le patronat ou le gouvernement, car elles ont pris beaucoup de distance par rapport à la lutte qui se mène au quotidien au sein des entreprises publiques comme privées. Mis à part leur participation à la victoire du CPE, où elles étaient poussées par la jeunesse, et auparavant le mouvement de 1995, qui a démarré par des mobilisations de branche puissantes, elles ont abandonné toute volonté de construire un rapport de force tel qu’il déclenche une crise politique menaçant le pouvoir politique et patronal, ce qui est devenu nécessaire aujourd’hui pour arracher des avancées. Elles ne cherchent plus à fortiori à remplir une des tâches fondamentales du syndicalisme : partir des revendications pour déboucher, par les nécessités même de l’action et de la prise de conscience, sur une remise en cause du capitalisme, de la propriété privée des moyens de production, sans laquelle l’émancipation des travailleurs reste un vague slogan. Cet abandon stratégique amène aussi à un abandon de la lutte déterminée, de la mobilisation pour faire mettre genou à terre au patronat et au gouvernement. Les directions syndicales voient trop souvent dans le patronat et le gouvernement des « partenaires sociaux » avec lesquels il est possible, concernant la Sécurité sociale, l’emploi ou la représentativité, de faire des diagnostics partagés.

Ainsi, depuis plus d’un an, les directions syndicales reculent face à l’offensive de la droite sarkozienne, dont elles ont accepté de négocier le calendrier des contre-réformes (et pour certaines de les signer). Et cela dans un contexte où la gauche politique elle-même, jusqu’ici sous l’hégémonie du Parti socialiste, qui considère le capitalisme comme un horizon indépassable, ou qui, avec le PCF, refuse d’envisager toute autre stratégie qu’une recherche d’union de la gauche sans cesse remise à jour, ou encore se replie dans la seule défense d’un appareil sans projet.

La double besogne du syndicalisme

Dès lors l’existence d’une perspective politique nouvelle, avec l’apparition du NPA peut être une aide précieuse pour ces militants syndicaux qui eux aussi cherchent à remettre en cause le capitalisme dans leur lutte quotidienne.

En effet, il n’y a pas de muraille de Chine entre les combats quotidiens pour préserver les acquis ou en acquérir de nouveaux et le combat pour une rupture avec le capitalisme. Ceux qui séparent de manière catégorique le combat social et syndical du combat politique sont conduits à accepter aussi l’irréversibilité du système capitaliste, les syndicats n’ayant, dès lors, comme rôle que de défendre la valeur de la force de travail et les dirigeants politiques celui de gérer le système en essayant d’en amoindrir la nocivité. Cette coupure amène souvent à des conflits entre gestionnaires de gauche et militants syndicaux, lorsque ces derniers s’insurgent contre un système que les politiques de gauche ne savent que gérer.

Pour nous le rôle des syndicats consiste en une double besogne : la défense quotidienne des intérêts des travailleurs, mais aussi, même si ce n’est pas spontané, le combat pour l’abolition du capitalisme, pour l’émancipation des travailleurs. C’était l’idée de la Charte d’Amiens, votée lors du 9° congrès de la CGT en 1906. La Charte d’Amiens était cependant un compromis c’est pourquoi elle peut conduire à plusieurs lectures. En effet, un aspect positif décrit la nécessité pour le syndicalisme de prolonger son combat par la recherche d’une perspective anticapitaliste et marque une défiance à l’égard des visions instrumentalisant la lutte sociale, pour les intérêts de partis compromis avec le pouvoir. L’aspect négatif s’exprime par un certain rejet de l’action politique qui doit rester « au dehors et à côté » du syndicalisme. Les syndicats aujourd’hui continuent de porter cette ambiguïté.

Sans penser que le syndicalisme connut à cette époque un âge d’or, nous nous réclamons de la tradition de la Charte d’Amiens. Nous sommes pour des syndicats qui ne délèguent pas aux partis politiques la fonction de représentation des salariés et qui ne doivent pas s’auto limiter aux revendications immédiates. Les syndicats doivent s’inscrire dans l’analyse politique du monde économique, la mondialisation. Mais également défendre les droits des travailleurs immigrés, des chômeurs, des précaires, des retraités, de la santé, de la criminalisation de l’action collective, de la discrimination que subissent les femmes. Le NPA, ou tout autre parti se réclamant de l’émancipation socialiste, peut et doit parler des revendications sociales, comme celles concernant les salaires et les minima sociaux ou encore l’interdiction des licenciements. Inversement, les syndicats ne doivent pas s’interdire de parler de la lutte contre le gouvernement, contre le racisme, contre la guerre, et de perspectives générales de changement de la société…

Le rapport partis/syndicats n’est donc pas la séparation des domaines d’action ou de prérogatives, mais plutôt la séparation des fonctions. Le syndicalisme a pour point de départ les intérêts immédiats des salariés, et la recherche de l’union contre la concurrence qui fait la force du pouvoir patronal. Mais dans son action, il ne se fixe aucune limitation à priori, sa seule obligation étant le respect du pluralisme existant dans la classe ouvrière, et la volonté de rassembler une force majoritaire pour agir. Le point de départ du parti de classe est différent : c’est son programme politique, son projet pour la société. Pour le défendre, il a besoin de trouver le chemin des salariés, des entreprises, des luttes sociales multiples où ses militants agissent en toute transparence, tout en respectant l’auto organisation démocratique. Sa spécificité première est d’agir en premier lieu sur le terrain politique, où se joue l’expression nationale des intérêts de classe antagoniques.

La LCR ne s’est jamais inscrite dans une conception du parti qui serait celle de gérer les institutions et ne serait donc qu’un parti électoraliste. Ni dans celle d’un syndicalisme sous la coupe des partis politiques. En Grande-Bretagne, les syndicats créèrent, à la fin du XIXe siècle, « leur » parti politique pour avoir un correspondant à la Chambre des Communes, capable de reprendre fidèlement leurs exigences. Mais cette juste recherche d’un prolongement politique à leur lutte a débouché malheureusement sur une « délégation » de l’action politique à celle du parti. En Allemagne, par contre ce fut l’inverse, le Parti socialiste cherchant à créer son correspondant dans l’action syndicale quotidienne.

Un rapport de force social et politique

Pour nous, un parti doit être le lieu d’expression politique de la lutte des salariés, luttant ensemble pour leur émancipation collective, pour combattre la classe dominante, et non pas un club électoral. Il n’est pas , comme le syndicat, l’organisateur direct de la lutte des travailleurs sur les lieux de travail, mais il peut prendre des initiatives d’action (manifestations, campagnes…) pour modifier les rapports de force politiques et idéologiques. Ses lieux privilégiés d’implantation sont l’entreprise, les quartiers populaires, les lieux de travail et d’habitation des salariés, ainsi que la jeunesse, pour y défendre les idées socialistes, les idées d’émancipation, pour lutter contre l’intoxication patronale, défendre, face aux bureaucraties, la démocratie et l’indépendance de classe et donner tout son sens à la résistance quotidienne contre le patronat, point d’appui de la lutte pour renverser le capitalisme. Le parti est donc lui aussi un lieu d’organisation des salariés. Car l’action politique est aussi importante dans les entreprises, les secteurs professionnels, les quartiers populaires ou parmi la jeunesse, que dans les batailles politiques nationales. C’est dans l’entreprise que se noue la structure même du système capitaliste, la séparation entre producteurs et moyens de production, la vente de la force de travail et l’appropriation par les capitalistes de la valeur, base même du système de l’exploitation de classe.

Le rôle premier des syndicats est d’organiser, de la façon la plus large possible les travailleurs d’une entreprise, les salariés quel que soit leur métier, leur statut, leurs idées. La conséquence logique est d’organiser- lorsqu’on est sur un même site d’activité, dans une même branche- tous les salariés (quelle que soit leur entreprise), au sein du même syndicat ou de la même fédération, cassant ainsi toutes les divisions créées par le patronat.

Le fondement de l’existence du syndicat est évidemment la défense intransigeante des intérêts des salariés face au patron ou à l’Etat patron, ce qui amène logiquement à la compréhension commune de l’exploitation capitaliste, de la nécessité pour les salariés de s’organiser de manière indépendante pour la défense de leurs intérêts de classe, contradictoires à ceux des capitalistes ou de leurs mandants dans les entreprises. Sur ces bases, les syndicats doivent chercher à rassembler le maximum de travailleurs, éviter l’éparpillement syndical, constituer aussi souvent que possible un front unique de l’ensemble des salariés et des syndicats sur des bases de classes et d’actions collectives.

C’est donc bien un rapport de force politique et social d’ensemble qui se crée dans les entreprises, et en dehors des entreprises, entre les syndicats et courants syndicaux qui luttent contre le capitalisme, avec le ou les partis qui mettent cette lutte au cœur de leur politique.

Parce que le rapport entre syndicats et partis n’est pas la séparation des domaines d’action ou de prérogatives, il est normal que partis et syndicats se retrouvent au coude à coude. Le rôle de militants politiques sur leur lieu de travail est de prendre une part active dans la construction des syndicats et de la défense des salariés, en respectant leur vie démocratique propre. Ils peuvent aider à la formation, à la réflexion de l’ensemble de l’organisation et de ses militants, tout en apprenant de la réflexion tirée de l’action collective. Dans le contexte actuel de dérives des organisations du mouvement ouvrier, un parti anticapitaliste peut apporter une compréhension globale du système capitaliste, ainsi que des dimensions internationaliste, antiraciste, féministe, écologiste qui peuvent et doivent aussi être partagées dans l’expérience syndicale.

Il n’y a pas de barrière étanche entre parti et syndicat mais des centres d’activité, des points de départ différents dans le cheminement du niveau de conscience et de l’expérience accumulée, qui permettent l’adhésion à un parti ou à un syndicat….et le respect réciproque de la souveraineté des uns et des autres.

Car l’orientation générale des syndicats n’est pas la seule bataille importante à mener au sein de ceux-ci : la question de la démocratie ouvrière par les équipes syndicales elles-mêmes est tout aussi fondamentale. La force essentielle dans l’action vient de l’organisation collective des salariés eux-mêmes ainsi que de leur contrôle sur les organisations syndicales. Les fonctionnements bureaucratiques qui échappent au contrôle de l’ensemble des salariés sont un atout puissant pour le patronat. La LCR a donc toujours défendu une conception de démocratie ouvrière qui, lorsqu’elle est réalisable, dans une grève, dépasse la démocratie syndicale. Cette démocratie ouvrière est d’autant plus fondamentale qu’elle peut donner plus de force à l’unité syndicale. Inversement, la démocratie ouvrière est également plus solide lorsqu’elle est construite à l’initiative des syndicats eux-mêmes, ou au moins de plusieurs d’entre eux.

Nous pensons donc que, au quotidien, il est vital de respecter le fonctionnement démocratique du syndicat. Même lorsqu’une direction syndicale est convaincue de la justesse d’une prise de position, cette position n’a d’intérêt et d’utilité que si elle correspond à un débat et à une décision démocratique prise pas les instances du syndicat. Il ne sert à rien qu’une direction vote par exemple une revendication d’augmentation salariale uniforme de 300€ nets pour tous, si cela ne correspond pas à un débat et à une pratique réelle du syndicat et de ses sections. De même, il est important que le syndicat s’oppose à toute logique de soumission à des consignes ou des considérations venant de telle ou telle organisation politique ou surtout de telle ou telle structure de pouvoir. Ainsi, quelle que soit la couleur d’un gouvernement ou d’un ministre, cela ne doit rien changer à la détermination du syndicat de faire aboutir ses revendications. Si la pratique d’un gouvernement, même de gauche, l’amène à s’opposer aux intérêts collectifs des salariés, il doit trouver contre lui les syndicats qui sont là pour défendre les salariés.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à une offensive patronale sans limite, relayée, amplifiée par le gouvernement. Il apparaît en même temps aux yeux du plus grand nombre que les partis de la gauche traditionnelle, dans la gestion des villes, des départements, gèrent aussi le système en acceptant les règles fixées par la classe dominante. Les dirigeants des grandes confédérations syndicales, y compris ceux de la CGT, ont baissé la garde devant l’offensive du MEDEF qui s’est déployée depuis la « refondation sociale » de 1999-2000 et s’est largement concrétisée depuis l’arrivée de Sarkozy. La bataille nationale pour les retraites en 2003, aura été la dernière lutte où la direction CGT est apparue en résistance aux yeux des travailleurs, après la trahison de la CFDT qui a approuvé le plan Fillon. Depuis, craignant l’isolement et la remise en cause de sa place institutionnelle, elle n’avance que lorsque ses partenaires sont prêts à avancer avec elle (il en fut ainsi lors de la mobilisation victorieuse contre le CPE) et se garde bien de tracer un programme revendicatif anticapitaliste qu’elle pense désormais hors de portée.

Dès lors, l’action syndicale de lutte de classe est trop souvent renvoyée à l’action dans les sections d’entreprises ou les unions locales Cette action de lutte de classe nécessite pourtant, pour être efficace, à la fois une convergence des courants critiques internes aux confédérations, qui doivent faire la preuve pratique de leur efficacité, et en même temps la défense d’une unité syndicale nationale plus efficace et plus durable que la seule unité ponctuelle. Cette unité doit rassembler les forces qui agissent en défense des revendications du monde du travail, qui se trouvent essentiellement au sein de la CGT, de Solidaires et de la FSU..

Dans ce contexte, le NPA peut être un atout précieux pour soutenir l’action syndicale : non pas pour remplacer le syndicat, mais pour être un lieu de travail politique, de réflexion et de popularisation d’une ligne d’affrontement contre le patronat, pour donner confiance et armer ceux qui, quelque soit leur syndicat, ne se résignent pas à la passivité et veulent mener une action anticapitaliste. Le NPA en retour ne peut que s’enrichir des actions, des réflexions menées par les militants lutte de classes dans les syndicats.

Respecter l’indépendance des uns et des autres n’empêche pas la permanence et la vigueur du dialogue. Le parti a le droit de mettre en avant des exigences sociales, des revendications, de critiquer des syndicats qui se refusent à avancer des programmes ou des formes d’actions de lutte. Les militants syndicalistes ont un droit réciproque de formuler leurs exigences et d’interpeller les partis, notamment ceux qui, engoncés dans la gestion quotidienne, en viennent à s’opposer aux exigences des travailleurs ou vis à vis de ceux qui gèrent avec routine leur parti sans se soucier de l’action et de la mobilisation de masse.

En un mot l’action politique et l’action syndicale sont complémentaires qui aident à avancer dans la lutte des classes.

Sylviane Charles, Léon Crémieux, Dominique Mezzi

Membres de la Commission nationale ouvrière de la LCR

CHARLES Sylviane, CREMIEUX Léon, MEZZI Dominique


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