Valérie Pécresse, une héritière au service des héritiers

samedi 14 mars 2009.
 

Nous reproduisons ici un texte distribué par la Fondation Copernic il est la retranscription d’un cours sauvage fait par le cours du département de sociologie de Paris VIII Vincennes- Saint Denis, le vendredi 20 février 2009, sur le trottoir de l’ENA. Dans cette seconde partie, les origines sociales de la vision du monde au principe de la réforme Pécresse des universités, se trouvent singulièrement éclairées.

Valérie Pécresse est donc née en 1967 à Neuilly sur Seine. Cette ville, où sont concentrées nombre de grosses fortunes et dont Nicolas Sarkozy a été le maire, est l’antithèse à peu près parfaite de St Denis. Son père, Dominique Roux, est professeur d’université. Alors rassurez-vous, pas à Paris VIII-St Denis ! Mais à Dauphine, HEC et Science Po, soit dans des établissements haut de gamme et au public très sélectionné. Fait intéressant, on note aussi qu’il enseigne l’économie et la gestion, soit deux disciplines en pleine expansion dans l’université française et qui fournissent nombre d’arguments et méthodes aux réformateurs. Ce qui au passage permet de souligner que les réformes en cours ne nous sont pas qu’imposées du dehors. Mais qu’elles sont aussi préparées en interne par une fraction du corps académique.

De ce point de vue l’évolution du recrutement disciplinaire, tout comme le positionnement politique de la conférence des présidents d’université, sont instructifs. Mais revenons-en au papa de Valérie Pécresse. Non seulement celui-ci est professeur d’économie-gestion dans les établissements chics, du public comme du privé de la capitale, mais il est aussi membre du Cercle des économistes, administrateur de Radio France Outre Mer, président depuis 2007 de Bolloré télécom (qui contrôle entre autre le journal gratuit Direct soir diffusé dans le métro, la chaîne de télévision Direct 8 et l’agence de publicité Havas), administrateur de la société Omercis spécialisée dans l’envoi massif de courrier électronique, etc. Bref, c’est un parfait exemple d’universitaire entrepreneur, ou d’entrepreneur universitaire, le modèle même de ce que les réformes actuelles voudraient que nous devenions, afin notamment de renflouer les caisses - volontairement toujours plus vides pour cause de plan d’ajustement structurel qui ne dit pas son nom - des universités comme du CNRS.

Quant à la mère de Valérie Pécresse, après des études de lettres, elle est passée par Sciences Po Paris. Enfin, signalons que son grand père maternel fut longtemps le médecin de famille de la famille Chirac, ce qui facilitera considérablement sa carrière politique et qu’il enseignait aussi la médecine à l’université.

Economie, gestion, médecine, IEP de Paris…, on voit que les accointances académiques familiales de Valérie Pécresse ne sont pas anodines et sans doute contribuent-elles à expliquer sa vision de l’enseignement supérieur. Valérie Pécresse, qui se présente aussi comme une « catholique pratiquante », est donc une héritière dans tous les sens du terme. Ceci s’observe notamment dans la célérité de sa trajectoire, tant scolaire que politique. Car comme le dit un journaliste de LCI, c’est « une femme qui va très vite. » Elle sait lire dès l’âge de 4 ans, ce qui lui permet de sauter deux classes. Après avoir étudié au collège Sainte Marie de Neuilly et obtenu son Baccalauréat à l’âge de 16 ans, elle entre dans une classe préparatoire versaillaise au lycée privé Sainte Geneviève et intègre HEC, dont elle sort diplômée en 1988. Elle poursuit ensuite ses études avec un DESS de droit, ainsi qu’un DEA de fiscalité financière. Enfin, et après avoir passé le concours « en cachette », elle sort deuxième de l’ENA en 1992 et entre au conseil d’Etat en tant qu’auditrice. Elle quitte ensuite la fonction publique pour entrer en politique et en 2002, soit à l’âge de 35 ans. Elle est élue députée des Yvelines et devient porte parole de l’UMP à 37 ans.

Une si belle trajectoire ne pouvait que se conclure par un beau mariage, parfaitement homogame. En effet son mari Jérome Pécresse, qu’elle épouse en 1994 et avec lequel elle aura trois enfants, est versaillais, polytechnicien et ingénieur du corps des Ponts et Chaussées. Après différents postes de responsabilité au sein du Crédit Suisse First Boston, il est devenu directeur général adjoint et membre du comité exécutif d’Imerys, le numéro un mondial des minéraux de spécialité (3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaire).

En fait, quand on connaît un peu le milieu et la trajectoire de Valérie Pécresse, on comprend mieux pourquoi elle veut à toute force aligner les universités et le CNRS sur le modèle - aujourd’hui présenté comme humainement indépassable - de l’entreprise et pourquoi la distinction entre public et privé est si ténu pour elle. Au point même de vouloir transformer chaque université, chaque laboratoire en entreprise, et chaque universitaire, chaque chercheur en entrepreneur ; tout en plaçant à leur tête un autocrate sachant communiquer et disposant à son gré d’un personnel de plus en plus précarisé. Si bien qu’au final, on peut se demander si la politique de Valérie Pécresse n’est pas celle qui est la plus conforme aux intérêts de son milieu, de sa classe sociale. Sans doute cette proposition risque d’apparaître comme un peu trop vulgaire, un peu trop marxiste ou terre à terre. Mais à tout prendre, on peut se demander si elle n’a pas un fond de vérité…

Pour finir, ajoutons un petit complément à cette biographie, qu’il faudrait pouvoir compléter afin de mieux comprendre le sens des réformes en cours et surtout leurs conditions sociales, politiques, intellectuelles, etc., de possibilité. En effet, Valérie Pécresse intègre l’ENA en 1990 en faisant partie - ça ne s’invente pas, la réalité est souvent plus imaginative que la fiction - de la promotion Condorcet... De ce philosophe des Lumières mort sur l’échafaud et qui à la différence de Valérie Pécresse était un laïc militant qui se battra notamment pour le progrès par l’éducation, on peut rappeler une formule particulièrement d’actualité. Voilà ce que disait Condorcet, qui était pourtant d’origine noble : « Il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société où l’égalité n’est pas réelle. » (1793)


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