Feuerbach : L’essence du christianisme

mardi 1er août 2023.
 

Pourquoi lire aujourd’hui L’essence du christianisme paru en 1841, ouvrage du philosophe Ludwig Feuerbach, né le 28 juillet 1804 ?

* ce classique porte essentiellement sur l’analyse du type de christianisme dominant l’Europe du 19ème comme enveloppe idéologique de la réaction : le royalisme autocratique.

* Chef de file des "hégéliens de gauche" avec Bruno Bauer, le rôle de Feuerbach dans l’accouchement de la pensée de Marx et Engels ne doit pas être oublié. "Feuerbach... constitue à maints égards un chaînon intermédiaire entre la philosophie hégélienne et notre conception" (Engels 1888).

Dans cet article, je me limite à introduire la préface de L’essence du christianisme, préface très dense qui résume et conceptualise l’essentiel de l’ouvrage.

1) Ludwig Feuerbach, né le 28 juillet 1804, décédé le 13 septembre 1872

Dans les années 1830 et 1840, l’Europe vit encore sous la domination moyenâgeuse imposée par l’Autriche, la Prusse et la Russie en 1815 après la fin de l’épisode Révolution française Empire napoléonien. Une vie religieuse de rites et de dogmes imprègne toute la vie sociale ; quiconque s’en dégage se voit rejeté de la société. "C’est le faux-semblant qui est l’essence de ce temps : faux-semblant notre politique, faux-semblant notre religion, faux-semblant notre science... Etre perplexe d’esprit, inerte de coeur, dépourvu de vérité et d’opinion, bref n’avoir pas de caractère, voilà de nos jours les qualités indispensables d’un savant authentique, recommandable et orthodoxe... Aujourd’hui, celui qui dit la vérité est un impertinent... immoral." (Feuerbach)

L’autonomie d’un penseur critique ne pouvait être tolérée en Allemagne comme en Espagne, en Italie ou ailleurs par la caste féodale et cléricale qui défendait agressivement la religion comme un fondement décisif de son pouvoir. Aussi, le professeur d’université Ludwig Andreas Feuerbach se voit obligé de quitter sa chaire en 1832 et ne pourra ensuite retrouver un poste.

En 1841, il publie L’essence du christianisme, dont nous reproduisons ci-dessous quelques extraits essentiels.

2) Foi et raison

" Pour celui qui croit au miracle, celui-ci ne contredit point la raison, bien plus il est tout à fait naturel puisque c’est un effet découlant de lui-même de la toute puissance divine... Pour la foi, la résurrection de la chair est aussi claire, aussi naturelle que le lever du soleil après son coucher, l’éveil du printemps après l’hiver, la croissance des plantes à partir des graines mises en terre. C’est seulement lorsque l’homme n’existe, ne sent, ni ne pense plus en harmonie avec sa foi, donc lorsque la foi n’est plus une vérité qui pénètre l’homme, que se dresse, avec une vigueur particulière la contradiction de la foi, de la religion avec la raison... C’est pour le seul incroyant que les objets de la foi contredisent la raison ; mais celui qui y croit est convaincu de leur vérité, ils ont pour lui valeur de raison suprême.

" Mais même au sein de cette harmonie entre la foi chrétienne ou religieuse et la raison chrétienne ou religieuse, il subsiste pourtant toujours une distinction essentielle entre la raison et la foi, puisque même la foi ne peut se dessaisir de la raison naturelle. La raison naturelle n’est autre que la raison universelle, avec ses lois et ses vérités universelles ; au contraire, la foi chrétienne, ou, ce qui est tout un, la raison chrétienne est une somme de vérités particulières, de privilèges et d’exemptions particulières, donc une raison particulière. Plus brièvement et plus strictement : la raison est la règle, la foi l’exception par rapport à la règle... Même au sein de la meilleure des harmonies, il y a donc inévitablement collision entre les deux, puisque la spécificité de la foi et l’universalité de la raison ne se recouvrent pas."

3) Religion, philosophie, pathologie psychique et démarche scientifique

" Bien sûr, il va de soi, que Philosophie ou religion en général, c’est à dire sans tenir compte de leur différence spécifique, sont identiques...

" Aux yeux de la religion ou du moins de la théologie... il est indispensable de toujours maintenir la différence essentielle de la religion et de la philosophie... C’est l’image qui fonde la distinction essentielle de la religion et de la philosophie. La religion est essentiellement dramatique. Dieu est lui-même un être dramatique, c’est à dire personnel. Qui ôte à la religion l’image, lui ôte son sujet et n’a plus en main que son caput mortuum. L’image entant qu’image est chose.

" Or dans ce livre les images ne seront érigées ni en pensées, ni en choses mais considérées en tant qu’images - c’est à dire la théologie ne sera traitée ni comme pragmatologie mystique (ainsi que le fait lamythologie chrétienne), ni comme ontologie (ainsi que le fait la philosophie spéculative de la religion) mais en tant que pathologie psychique.

" Mais la méthode employée ici par l’auteur est tout à fait objective - c’est celle de la chimie analytique. C’est pourquoi partout où cela était simplement nécessaire et possible on a introduit des documents..."

4) Quelle méthode ?

" Les pensées de mon livre ne sont que des conclusions, des conséquences tirées de prémisses, qui elles-mêmes ne sont pas à nouveau des pensées mais au contraire des faits objectifs, soit vivants, soit historiques... Je rejette de façon absolument radicale la spéculation absolue, immatérielle, qui se complaît en elle-même, la spéculation qui tire sa matière d’elle-même. Il y a un monde entre moi et ces philosophes qui s’arrachent les yeux de la tête pour pouvoir mieux penser. J’ai besoin des sens pour penser et avant tout des yeux ; je fonde mes pensées sur des réalitésque nous ne pouvons jamais nous approprier que par le moyen de l’activité sensible ; je n’engendre pas l’objet à partir de la pensée, mais à l’inverse la pensée à partir de l’objet : seul est objet ce qui existe à l’extérieur de la tête.

" Si je suis idéaliste, c’est seulement dans le domaine de la philosophie pratique, autrement dit je n’y constitue pas en limites de l’humanité et de l’avenir, les limites du présent et du passé. Je crois au contraire que bien des choses qui passent aujourd’hui aux yeux des praticiens myopes et timorés pour des rêves, pour des idées à jamais irréalisables, pour de pures chimères, existeront demain dans la plénitude de la réalité... Bref : l’idée n’est pour moi que la foi dans l’avenir historique, dans la victoire de la vérité et de la vertu, elle a pour moi une signification exclusivement politique et morale."

5) Quelle philosophie ?

" Une philosophie qui voit la chose vraie non pas dans la chose objet de la raison abstraite, mais dans la chose objet de l’homme réel et total.. une philosophie qui dans la lettre comme au fond pose justement l’essence de la philosophie dans la négation de la philosophie, c’est à dire proclame que seule la philosophie faite chair et sang, faite homme, est la vraie philosophie...

" Non pas la substance de Spinoza, ou le moi de Kant et de Fichte, ou l’identité absolue de Schelling, ou l’esprit absolu de Hegel, bref aucune essence abstraite, seulement pensée ou imaginée, mais un être réel, ou plutôt le plus réel des êtres, l’homme ; qui a donc pour principe le principe de réalité le plus positif... Ne pas inventer, mais découvrir, "dévoiler l’existence", tel fut mon unique but.

" Le principe de la philosophie spéculative antérieure : "Je porte sur moi-même tout ce qui est mien", cette formule des anciens, je ne peux malheureusement pas me l’appliquer. J’ai tant de choses hors de moi, que je ne puis transporter avec moi dans la poche ou dans la tête...

6) "L’homme (et l’anthropologie) à quoi je réduis la religion et que je désigne comme son objet et son contenu vrais"

" J’élève l’anthropologie à l’état de théologie, tout comme le Christianisme transforme l’homme en Dieu, en rabaissant Dieu à l’état d’homme...

" La religion est le rêve de l’esprit humain. Or, dans le rêve lui aussi, nous nous trouvons non pas dans le néant ou dans le ciel mais sur la terre : dans le royaume de la réalité - à cette seule réserve que (par la religion) nous voyons les choses réelles... dans l’apparence délicieuse de l’imagination et de l’arbitraire.

" Le sacré grandit à mesure que décroît la vérité et que croît l’illusion, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacré.

" J’accepte ce Christ religieux, mais je montre que cet être supra-humain n’est rien d’autre qu’un produit et un objet des sentiments surnaturels de l’homme.

" Mon objet principal est le Christianisme, la religion, à l’état d’objet immédiat, d’essence immédiate de l’homme.

" Le Christianisme a depuis longtemps disparu, non seulement de la raison mais aussi de la vie de l’humanité ; il n’est plus rien qu’une idée fixe qui se trouve dans la contradiction la plus criante avec nos compagnies d’assurances incendie-et-vie, nos chemins de fer et nos locomotives... nos théâtres et nos cabinets d’histoire naturelle."


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