Grève et révolte en Guadeloupe et Martinique sous le souffle de l’Amérique latine (informations de Marc Harpon, représentant à la Martinique du Parti de Gauche)

samedi 25 juillet 2015.
 

Marc est un jeune enseignant d’une vingtaine d’années ; c’est son premier grand mouvement et il est de surcroît le représentant à la Martinique du Parti de la gauche... (février 2009)

Marc commente la situation et les conditions dans lesquelles il recueille l’information : “je n’ai pas de télé, pas de radio, pas d’internet. J’essaye de collecter les informations en particulier dans les meetings. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que les nouvelles du monde ne nous arrivent plus en dehors de ce qui concerne la Guadeloupe, vaguement la Réunion et nous savons qu’un meeting de soutien se prépare à Paris, ce serait bien s’il y en avait d’autres dans d’autres villes de France, nous avons besoin de votre solidarité. Mais c’est une impression étrange, nous ne nous passionnons que pour ce qui se passe ici dans les îles, nous sommes le centre du monde“. Mais il me parle aussi de son grand père qui a peur du désordre et pendant qu’une bonne partie de la population se bat, d’autres s’inquiètent de ne pas être approvisionnés en essence, les rumeurs courent, un grand classique du genre… Et là-dessus, il y a l’annonce de ces troupes de CRS et même de militaires envoyés dans les “départements rebelles”…

Une participation sans précédent et de nouveaux “militants”

Marc a encore la tête pleine d’un meeting qui a eu lieu le vendredi soir devant la maison des syndicats. Il est 20h30, 21 heures peut-être. Les négociateurs syndicaux sortent pour parler à la foule qui est très enthousiaste et très remontée contre les médias qui mentent sur ce qui se passe en Martinique et en Guadeloupe. Les négociateurs, les dirigeants syndicaux qui prennent la parole ne sont pas des gens connus, il n’y a pas ici de personnage de la taille D’Elie Domota le dirigeant charismatique de la Guadeloupe, qui d’ailleurs a envoyé un message de soutien au meeting de ce soir qui a été salué par des cris d’enthousiasme. Mais si ces dirigeants sont peu connus c’est parce qu’encore aujourd’hui les chaînes de télévision et les radios de l’île sont mobilisés par les “officiels”, ceux qui déjà avant la grève étaient omniprésents. Ces dirigeants sont des gens responsables, des syndicalistes en qui la foule présente a confiance.

Marc m’explique que jamais on a vu en Martinique de tels rassemblements ; jeudi 5 février ils étaient plus de 15.000, lundi 9 février, ils se sont retrouvés 27.000 dans les rues de Fort de France (1). Il me dit à titre de comparaison qu’en octobre 73 jusqu’en 1974, la Martinique a connu une longue grève avec des événements dramatiques puisqu’un jeune homme est mort ; à son enterrement il y avait 10.000 personnes, aujourd’hui ce chiffre a triplé. Il me décrit la foule autour de lui, celle qui tous les jours se rassemble, défile, c’est un majorité de jeunes et de femmes. Alors qu’avant la grève les rassemblements de protestation quel qu’en soit le sujet étaient peu nombreux et regroupaient souvent des militants hommes d’un certain âge, là c’est une tout autre population que l’on croyait incapable de bouger, totalement aliénée. Ce sont des personnes “sans culture politique” mais qui font de la politique, il y a bien sûr les revendications sur la vie chère mais cela va plus loin, on entend parler de révolution socialiste et aussi beaucoup d’autonomie et même d’indépendance.

Marc me décrit de ces nouveaux militants dont la présence l’a frappé, cette femme qui tient une pancarte qui reformule en francs les prix en euros.

La revendication indépendantiste et “la trahison de Mariejeanne”

La revendication autonomiste, voire indépendantiste est également présente sur les pancartes : “on va les foutre dehors… La Martinique nous appartient”(2) Marc Harpon dans son compte-rendu sent une contradiction entre la force de cette revendication indépendantiste et autonomiste et la manière dont les indépendantistes traditionnels la traduisent voire selon lui la trahissent.

En effet, les élus de la Martinique ont lancé un appel à la raison au Collectif du 5 février, au 9° jour de la grève générale qui paralyse l’île. Le président de Région a demandé la suspension du mouvement mais la poursuite des négociations. Alors que la Martinique est totalement paralysée par la grève générale depuis 9 jours maintenant, les élus de l’île ont lancé un appel à la raison au Collectif du 5 février(3). Le président du conseil régional, Alfred Marie-Jeanne, a demandé aux syndicats de suspendre la grève tout en poursuivant les négociations(4). Des appels en ce sens ont aussi été lancés par le député-maire de Fort-de-France, Serge Letchimy, celui de Trinité, Louis-Joseph Manscour et le député Alfred-Almont. Tous les élus ont insisté sur les conséquences sanitaires de la grève. Les agents hospitaliers ne peuvent plus rejoindre leur poste faute de carburants et le matériel commence à manquer disent-ils.

Marc Harpon explique que cette prise de position d’Alfred Mariejeanne est vécue comme une véritable trahison. Déjà, selon lui, les “indépendantistes” diffusent des tracts qui ne correspondent pas à la fièvre de la population, à ses exigences, il n’y est question que de statut, d’assemblée unique, cela passe au-dessus de la tête de tous les gens qui font une politisation rapide sur d’autres bases. Donc il y a à la fois une exigence d’autonomie, voir d’indépendance et un discours des indépendantistes “officiels” qui ne cadre pas avec ce que pensent les gens.

Et l’appel de Mariejeanne qui est le même que celui lancé par la députée UMP de la Guadeloupe Lucette Michaux-Chevry est vécu comme une trahison ; cela nous dit Marc a “fait un effet monstre” ici. Parce qu’au même moment il y avait un changement dans le discours du patronat, de l’Etat et de Jego. Jusqu’ici la tonalité générale avait été “on comprend”. Mais depuis vendredi la situation s’est durcie et le thème est devenu “assurer la liberté du travail” ; on insiste sur les conditions sanitaires, les difficultés vécues par les gens.

Sans vouloir interpréter ce qui se passe dans les Antilles, il me semble qu’il faut les resituer dans le contexte en plein mouvement de la Caraïbe qui s’arrime à une Amérique latine elle même en pleine évolution politique. Il faut bien comprendre que pour toute la région de la Caraïbe (anglophone et hispanophone), les Antilles françaises sont considérées comme des Colonies et la France comme la dernière puissance coloniale de la zone. Il y a de plus en plus à partir du Caricom (antilles anglophones) et de Cuba, un mouvement tendant à l’unification de la Caraïbe et ses liens avec l’Amérique latine par le biais du Venezuela. La revendication indépendantiste a évolué et place comme nous le voyons en porte à faux les indépendantistes traditionnels qui privilégient de plus en plus les jeux politiciens.

Cette situation qui se durcit et qui risque de déboucher sur une répression sous prétexte d’assurer la liberté du travail ou d’empêcher la dégradation de la situation sanitaire montre l’inquiétude du gouvernement français face à un processus qu’il ne contrôle plus. Au même moment le LPK de Guadeloupe quittait la table des négociations. set Sarkozy a annoncé vendredi matin la mise en place d’un conseil interministériel de l’outre-mer. Il a reconnu que la crise révèle un profond problème de société mais on ne peut manquer d’être frappé par l’absence totale de mesures adaptées(5) ce qui laisse ouverte bien sûr la solution répressive. Voici d’ailleurs deux photos que l’on vient de m’envoyer et qui témoignent de l’envoi aujourd’hui même de troupes de CRS sur la Martinique.

Une atmosphère d’auto-organisation

Face à ce monde politique, politicien incapable de prendre la mesure d’une crise violente, ce qui est frappant selon Marc Harpon c’est la responsabilisation de la foule et celle des syndicalistes qui dirigent le collectif du 5 février 2009. Dans le meeting auquel a participé Marc, les syndicalistes face à l’intransigeance de l’Etat et du patronat ont fait des propositions en particulier pour le ravitaillement en carburant et sur le plan de la nourriture autant que sur celui des ordures.

Les syndicalistes sortaient d’une réunion de négociation entre les élus, le collectif et le préfet. Ils ont dénoncé l’attitude des élus, y compris comme nous l’avons vu celle de Mariejeanne. Les syndicalistes ont proposé des amendements aux 39 propositions de Jego. Le prefet renvoie aux commissions, en ce qui concerne la commission des prix qui devrait permettre aux Martiniquais de récupérer leur pouvoir d’achat. Réunie l’après-midi ça a été un dialogue de sourds, la grande distribution tenue par les békés veut constituer une liste d’articles, alors que les syndicalistes veulent des “classes d’aliments”.

Pour le ravitaillement en carburant, certes l’essence manque mais la distribution est assurée pour que l’essentiel passe, en particulier la priorité des priorités est le sanitaire, les hôpitaux ; tout en s’assurant gréviste, ce secteur fonctionne. La décision prise par les syndicats est d’alimenter le plus grand nombre de points avec un rationnement à 30 euros. De même est organisé le ramassage des ordures pour éviter les épidémies.

Enfin à l’exemple de ce qui se passe en Guadeloupe si la grande distribution est bloquée sont favorisés les petits marchés, où les producteurs locaux viennent au contact direct de la population. An nou soutyen pwodiksyon péyi-a manmay, sé avenir alimentaire nou an !

Comme me l’a déclaré Marc au téléphone : dis bien que ce sont des gens responsables qui pensent à la population qui leur fait confiance. Nous vivons une situation riche et intense. Ce serait bien qu’il y ait en France, dans beaucoup de villes des réunions de soutien et la dénonciation de la propagande des médias.

reportage de Marc Harpon

mis en forme par Danielle Bleitrach


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