Etat d’urgence sans frontières

dimanche 3 septembre 2006.
 

L’été 2006 a été marqué par une montée sans précédent de l’instabilité et de la violence dans le monde. L’état d’urgence sociale et politique que nous avons déjà décrit à propos de la France règne également au niveau international.

Sur le plan commercial tout d’abord, le nouvel et cuisant échec des négociations de l’OMC en juillet a montré, après plusieurs années d’impasses et de contentieux à répétitions, qu’aucun accord multilatéral ne pourrait plus être trouvé avec les pays du Sud, sans remise en cause profonde des logiques inégalitaires mondiales du capitalisme de notre époque. Sur le plan politique ensuite, la guerre au Liban a manifesté à la fois un niveau de violence extrême contre les populations civiles, un nouveau recul du droit international et enfin une impuissance pathétique de l’Union européenne. Autant de périls auxquels devraient pouvoir répondre les candidats à la présidentielle française de 2007, quand on voit que notre pays reste un des derniers espoirs de la légalité internationale parmi les grandes puissances.

La guerre sale : la banalisation de la violence militaire contre les civils

Les règles de la guerre définies notamment après la 2nde guerre mondiale pour protéger les populations civiles et « humaniser » les conflits (droits des prisonniers ...) connaissent un recul sans précédent depuis 1945. La guerre du Liban en est un triste exemple : destruction d’infrastructures non militaires (y compris écoles et hôpitaux), bombardements de populations civiles (1100 civils libanais tués dont le tiers sont des enfants de moins de 12 ans, 41 civils tués en Israël), attaques délibérées de cibles protégées par le droit international (bombardements israéliens de convois de la Croix rouge et du QG de la FINUL tuant 4 casques bleus), ou encore provocation de catastrophes écologiques (gigantesque marée noire sur 140 km de côtes, soit la plus grande partie des côtes libanaises, c’est-à-dire pire que la fameuse marée noire de l’Erika).

En assurant une quasi impunité à leur allié israélien, les Etats-Unis sont les principaux responsables de cette banalisation de la guerre sale, qu’ils pratiquent eux-mêmes à très grande échelle en Irak (40 000 civils tués depuis 2003, usage d’armes semi-conventionnelles à l’uranium appauvri, pratique systématique de la torture ...).

Le recul de la légalité internationale

Là aussi ce sont les Etats-Unis qui ont fait sauter les principaux verrous moraux et politiques avec l’invasion et l’occupation illégale de l’Irak depuis 2003. Au Liban, alors que toute la communauté internationale s’était péniblement mise d’accord sur une trêve sanctionnée par une résolution de l’ONU, celle-ci a été rompue unilatéralement par Israël avec de nouveaux bombardements le 19 août, à peine 4 jours après son entrée en vigueur, et cela en toute impunité alors que le Hezbollah n’avait pas lui-même rompu la trêve. Il faut d’ailleurs rappeler qu’une précédente résolution (n°425) de l’ONU disait en 1978 quasiment la même chose que celle d’août 2006. Elle avait même créé la FINUL pour accompagner le retrait israélien du Liban qui devait être immédiat et qui ne sera effectif que 22 ans plus tard en 2000. Les chances que le droit international s’impose cette fois-ci sont donc à nouveau très faibles, à mesure que se banalisent l’unilatéralisme et la loi du plus fort.

Les médias eux-mêmes ne semblent même plus faire de cette question de la légalité un enjeu, comme si on avait déjà basculé dans un autre monde sans droit international. Peu s’émeuvent de l’enlèvement quasi officiel de membres d’un gouvernement démocratiquement élu, y compris quand ils ne font pas partie du Hamas (comme c’est le cas du vice-premier ministre palestinien récemment enlevé).

Quasiment aucun média français (à l’exception de l’Humanité) ne s’est non plus vraiment posé la question de savoir où se trouvaient les deux soldats israéliens capturés par le Hezbollah le 12 juillet et ce qu’ils y faisaient. La question n’est pourtant pas anecdotique puisque c’est cet acte qui a été utilisé par Israël pour justifier sa guerre contre le Liban. Or ces deux soldats faisaient partie d’un commando qui aurait été surpris par le Hezbollah sur le territoire libanais à Aïta Al-Chaab, à 900 mètres de la frontière. Pourtant cette capture de prisonniers a été immédiatement qualifiée d’ « enlèvement » et de « déclaration de guerre » par le 1er ministre israélien, alors même que la présence de soldats israéliens sur le sol libanais était illégale.

L’impuissance de l’Union européenne face à l’impérialisme des Etats-Unis

Sur le dossier libanais encore plus peut-être que pour la guerre en Irak, l’Union européenne est restée complètement impuissante face au glissement tragique de cette crise en dehors des limites du droit international. A Gaza comme à Beyrouth, l’UE assiste à la destruction méthodique de toutes les infrastructures qu’elle avait aidé (parfois à 100 %) à construire ou à reconstruire. Après un florilège de déclarations officielles du genre « il ne faut pas rester les bras croisés » (ministre espagnol des affaires étrangères), l’UE finit par refuser de se prononcer pour un « cesser le feu immédiat », sous la pression quasi exclusive du Royaume Uni.

La diplomatie française put certes prendre seule le relais pour arrêter le massacre, mais après avoir perdu plusieurs semaines pendant lesquelles plusieurs centaines de vies civiles auraient pu être épargnées. Une fois encore, l’Europe bute ainsi sur son incapacité à incarner une puissance vraiment alternative à celle des Etats-Unis, mission que la France seule n’assure que très ponctuellement et imparfaitement.

Cette guerre au Liban a montré une nouvelle fois que la domination américaine de la scène internationale conduit à des déséquilibres intenables, mène ses alliés aux pires erreurs et alimente la radicalisation extrémiste de peuples entiers. Outre les dégâts et les victimes, le bilan politique de la stratégie israélo-américaine est en effet complètement désastreux, puisqu’il se solde par l’affirmation de l’Iran comme poids lourd et nouveau phare de la résistance du monde arabe, sans parler de la crédibilisation du Hezbollah comme seule défense viable du Liban et sa légitimation aux yeux d’une part encore plus large de la société libanaise. Ce bilan calamiteux n’a pas empêché Bush de lancer le 12 août une diatribe délirante accusant « l’Iran et la Syrie d’être seuls responsables de la guerre contre le peuple du Liban et d’Israël » (ces deux derniers pays étant rangés sur le même plan des victimes !).

L’ambiguïté de Sarkozy et Royal

Le moins rassurant pour la France et pour l’espoir qu’elle peut encore porter au niveau mondial est certainement la grande ambiguïté et discrétion dont ont fait preuve les deux principaux candidats choisis par les médias pour 2007.

A commencer par Nicolas Sarkozy qui, comme lors de la guerre en Irak, a préféré se faire plutôt discret en renonçant sur ce sujet à son habituelle gesticulation médiatique. Ses quelques prises de positions montrent pourtant clairement la couleur. Le 16 juillet sur TF1, le ministre de l’Intérieur livre une vision particulièrement manichéenne de la crise : pour lui « il y a un agresseur, le Hezbollah, qui se comporte de manière invraisemblable » et « Israël doit se défendre, a le droit de se défendre ». Pire, le 19 juillet, il durcit encore cette position dans son entretien à Paris avec le ministre israélien de l’intégration auquel il demande froidement « de combien de temps l’Etat d’Israël a-t-il besoin pour terminer le travail ? » (propos rapportés publiquement le soir même par le ministre et cités dans Le Monde).

Quant à Ségolène Royal, elle n’a pas dit grand-chose sur la guerre au Liban. Plutôt que d’appuyer les efforts diplomatiques de la France, elle a insisté sur le fait que « les Etats-Unis ont un rôle clé à jouer » et a lancé l’idée saugrenue d’en appeler à « Bill Clinton pour peser au niveau international ».

Article de l’hebdomadaire A Gauche


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