Parti socialiste : l’impossible critique d’Israël (par Philippe Marlière)

lundi 26 janvier 2009.
 

GAZA. Alors que le PS ambitionnait de prendre "une position franche" sur Gaza, il s’est contenté de réaffirmer sa "neutralité", mettant sur le même plan "deux camps qui souffrent". Philippe Marlière décrypte cette logique, qui refuse de prendre en compte l’oppression dont sont victimes les palestiniens.

Les directions socialistes se succèdent, mais la langue de bois solférinesque est immuable à l’égard du conflit israélo-palestinien. Début janvier, le parti a publié sur son site un communiqué précisant en introduction que la « situation au Proche-Orient (…) appelle une position franche du PS ». De ce court texte, deux idées principales ressortent : d’une part, le PS rappelle son attachement à une « paix durable » fondée sur la « création d’un Etat palestinien viable et l’assurance de la sécurité pour Israël ». Le texte déplore que l’intervention militaire israélienne ait fait des « centaines de morts dans la population civile à Gaza » et ait produit une « situation humanitaire effroyable ». Cependant, les massacres des Gazaouis (dont plus d’un quart des morts sont des enfants selon les rapports des organisations humanitaires) n’ont suscité qu’une condamnation de principe d’Israël. La direction socialiste a estimé qu’il s’agit d’une intervention « en réponse aux tirs de roquettes du Hamas », et elle s’est abstenue de qualifier les actions israéliennes à Gaza.

Qualifier le conflit

La Croix Rouge à Gaza a pourtant parlé de « crimes de guerre ». David Miliband, le ministre britannique des Affaires étrangères, a déclaré devant la Chambre des Communes qu’il faudrait enquêter pour établir si des crimes de guerre avaient été commis, une manière diplomatique de critiquer l’offensive israélienne. Gideon Levy, un des éditorialistes les plus respectés en Israël, a fait part de sa « honte » devant les « massacres et destructions » à Gaza, et a averti que si les choses continuaient ainsi, une cour spéciale de justice à La Haye pourrait être conduite à juger les dirigeants israéliens (Ha’aretz, 12 janvier 2008). Le droitier Parti des socialistes européens a exprimé « sa plus profonde indignation face (…) aux conséquences de l’usage disproportionné de la force par l’armée israélienne ». Le PSE a affirmé qu’il s’opposerait au « rehaussement des relations politiques entre l’Union européenne et Israël », tant que la « crise humanitaire à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés » perdurera.

Pendant ce temps, le Bureau national s’en tient à ses deux recommandations « historiques ». D’une part, un Etat palestinien « viable » : nombre d’experts estiment que l’intervention israélienne, planifiée depuis plusieurs mois, vise précisément à empêcher l’avènement d’un Etat palestinien « viable ». Ainsi, le retrait de Gaza en 2005 a permis à Israël de redéployer les peuplements en Cisjordanie. Il est par ailleurs étonnant d’entendre les dirigeants socialistes utiliser l’expression de « sécurité israélienne », qui sous-entend que les Palestiniens vivent en sécurité. Il n’en est évidemment rien (liberté de mouvement restreinte, déplacement de populations, destruction des maisons et des champs, confiscation de terres, blocus de Gaza, liquidation physique des élites palestiniennes potentielles, prise en otage de 11000 Palestiniens qui croupissent sans jugement dans les prisons israéliennes). Etant donné que l’insécurité affecte surtout les Palestiniens, il serait plus juste de revendiquer la « sécurité pour tous ».

Les dirigeants du PS établissent une symétrie entre les tirs de roquettes de Hamas et l’usage de l’arsenal militaire le plus sophistiqué par l’une des armées les plus puissantes du monde. En renvoyant dos à dos les deux parties, Les dirigeants socialistes évitent de trancher la question. Dans le cadre des massacres de Gaza et devant l’indignation croissante dans le monde, le silence socialiste n’en devient que plus choquant [1]. En réalité, les dirigeants du PS occultent la question de la colonisation des territoires palestiniens par Israël, la cause première de ce long conflit. Cet aspect majeur de la lutte palestinienne n’est en effet mentionné dans aucun communiqué socialiste. Les dirigeants du PS appellent à faire cesser « l’engrenage de la violence ». Mais pour quoi faire précisément ? Faire appliquer la résolution 242 de l’ONU (1967) demandant le retrait des territoires occupés par la force ? Faire respecter l’article 49 de la 4e Convention de Genève (1949) qui interdit à tout Etat de transférer sa population sur les territoires qu’elle occupe militairement ? Faire détruire le mur de séparation en Cisjordanie qu’un avis consultatif de la Cour internationale de justice a déclaré illégal (2004) ? Non, puisque les dirigeants socialistes se contentent imperturbablement de renvoyer dos à dos les deux camps et s’obstinent à ne jamais prendre position sur le fond du conflit.

Philo-sionisme de sens commun

Depuis Guy Mollet, les dirigeants socialistes ont inconditionnellement soutenu Israël, à travers les liens noués avec le Mapaï (l’ancêtre d’Avoda, le Parti travailliste actuel) et lors d’événements marquants (l’expédition de Suez en 1956). Jusque dans les années 80, une doxa socialiste a présenté Israël comme un Etat socialisant, démocratique et sa politique a fait l’objet d’un consensus indiscuté, y compris lors de la guerre des Six-Jours en 1967. Un philo-sionisme de sens commun a longtemps régné au sein du PS. Israël, après la Shoah, y était perçu comme la réponse légitime à l’antisémitisme, un prolongement du combat antifasciste. Son aventure pionnière en Palestine était donc aussi nécessaire que sympathique. Dans ce panorama socialiste, les Palestiniens, inconnus, sans représentants, ni entité nationale, étaient des êtres invisibles. Dans le contexte de la Guerre froide, Israël était regardé comme un îlot « occidental » dans un monde arabe tourné vers l’URSS.

François Mitterrand perpétua le mythe du « socialisme des kibboutzim », alors qu’Israël dirigé par le Likoud leur avait tournés le dos. Mitterrand se déclara toutefois partisan d’un Etat palestinien à la Knesset en 1981 et établit des liens avec le Fatah de Yasser Arafat. A partir des années 80, avec la guerre du Liban (massacres de Palestiniens dans les camps de Sabra et de Chatila en 1982 par des milices libanaises avec la bénédiction d’Israël), les esprits commencèrent à évoluer. Des jeunes générations de militants issues de la guerre d’Algérie, de Mai 68 et, plus récemment, celles attachées aux droits des peuples, commencèrent à s’intéresser à la question palestinienne. A partir du déclenchement de l’Intifada et de la médiatisation du conflit (télévision, internet), la base socialiste se démarqua de plus en plus de la position a-critique de la direction du parti.

Une note « non autorisée et misérable »

C’est dans ce contexte que Pascal Boniface, chargé des questions stratégiques au PS, écrivit en avril 2001 une note interne destinée à François Hollande. Se référant à l’occupation des territoires par Israël et à la lutte de libération nationale du peuple palestinien, Boniface pose un point de principe : « Dans n’importe quelle situation de ce type, un humaniste, et plus encore un homme de gauche, condamnerait la puissance occupante ». Il poursuit : « Imaginons un pays où le premier ministre [Ariel Sharon] a été directement lié [et condamné par la Cour suprême israélienne] à des massacres de civils, principalement femmes et enfants, dans des camps de réfugiés désarmés [les camps de Sabra et Chatila en 1982] (…) Ce serait une situation inacceptable. Elle est pourtant tolérée au Proche-Orient ». Boniface avertit qu’on « ne combattra pas l’antisémitisme en légitimant l’actuelle répression des Palestiniens par Israël » et dénonce le « terrorisme intellectuel qui consiste à accuser d’antisémitisme ceux qui n’acceptent pas la politique des gouvernements d’Israël (et non pas l’Etat d’Israël) ». Loin de prôner un rééquilibrage en faveur de la communauté d’origine arabe ou musulmane en France (comme ses détracteurs l’en ont accusé), Boniface conseille aux dirigeants du PS de procéder à une lecture politique du conflit, basée sur le respect des « principes universels et non pas du poids de chaque communauté ». Il conclut : « Il est grand temps que le PS quitte une position qui, se voulant équilibrée entre le gouvernement israélien et les Palestiniens, devient, du fait de la réalité de la situation sur place, de plus en plus anormale, de plus en plus perçue comme telle, et qui par ailleurs ne sert pas – mais au contraire dessert – les intérêts à long terme du peuple israélien et de la communauté juive française ».

Ce texte confidentiel atterrit sur le bureau de l’ambassadeur israélien à Paris. Ce dernier mena, avec plusieurs institutions juives, une violente campagne contre l’auteur de la note. Laurent Azoulai, responsable socialiste en région parisienne et président du Cercle Léon Blum, diffusa une lettre au lendemain du 22 avril 2002 intitulée « Le Pen doit remercier Boniface ». Il y expliquait que la défaite de Lionel Jospin était en partie due à la fuite de l’électorat juif après la publication de la note de Pascal Boniface. Aux « Douze heures pour l’amitié France-Israël », le 22 juin 2003, Dominique Strauss-Kahn fit référence à une « note non autorisée et misérable » sous les huées du public ; Laurent Fabius démissionna du Conseil d’administration de l’IRIS ; Pierre Moscovici, secrétaire national aux relations internationales, retira à Boniface son poste de délégué national et, de toutes parts, on accusa Pascal Boniface d’antisémitisme. Lâché par la direction hollandaise, Boniface démissionna en 2003 d’un parti dont il était membre depuis 1980 [2].

Avec les gouvernements israélien et états-unien

La gestion brutale du « cas Boniface » ne fit pas rentrer dans le rang les récalcitrants. A la fin 2003, un « Appel trans-courants pour une paix juste et durable au Proche-Orient », rédigé par Pierre Joxe et Paul Quilès (signé par Stéphane Hessel, Michel Rocard, Hubert Védrine, Martine Aubry, Jean-Luc Mélenchon, Henri Nallet, Arnaud Montebourg, Manuel Valls et de nombreux militants), vint saluer l’initiative de Genève (celle-ci proposait un plan de paix alternatif concocté par d’anciens négociateurs des rencontres de Taba). Cet appel socialiste remet doublement en cause la doxa de l’appareil. Il évoque le « droit au retour des réfugiés palestiniens de 1947 et de 1967 » et revendique une « citoyenneté pleine et entière des Arabes palestiniens de nationalité israélienne (20% des Israéliens) ». La question du droit au retour fait une entrée fracassante dans le débat socialiste. Ce texte se penche pour la première fois sur les discriminations dont sont victimes les Arabes-Israéliens du fait de leur origine ethnique et religieuse ; une mention qui écorne l’image de démocratie exemplaire véhiculée par la direction socialiste. Le texte appelle Israël « à respecter les droits de l’homme, le droit international et les Conventions de Genève, à l’instar des démocraties dont l’Etat israélien se réclame ».

En 2008, une contribution pour le congrès de Reims fut rédigée par Monique Cerisier-Ben Guiga (sénatrice des Français de l’étranger). Le texte, intitulé « Palestine : l’exigence du courage politique », fut signé par des militants de tous les courants. Il s’agit, à ce jour, de l’appel qui s’écarte le plus de la position historique de la direction socialiste. Les signataires remarquent que 61 ans après le plan de partage de l’ONU, il n’y a ni Etat palestinien, ni véritables négociations. Pour ces socialistes, le conflit israélo-palestinien est de nature coloniale : « Ces négociations opposent une puissance occupante à un peuple occupé, sans aucun mécanisme de suivi des engagements, ni par les Etats-Unis qui ne veulent rien exiger d’Israël, ni par l’Union européenne ». Le texte note le refus d’Israël de négocier et rappelle que « [p]as plus le Hamas islamiste aujourd’hui, l’OLP laïque d’hier n’était considérée par Israël comme un interlocuteur valable ». Les signataires estiment que « dans une négociation, on ne choisit pas son partenaire et c’est toujours avec l’adversaire que se conclut la paix ». En d’autres termes, il s’agit du respect du principe d’auto-détermination des peuples. Le texte (rédigé avant l’intervention israélienne) décrit Gaza comme une « prison à ciel ouvert, privée de tout, soumise à un blocus (…), à des incursions meurtrières, (…) des destructions. La colonisation de la Cisjordanie ôte l’Etat palestinien de toute base territoriale, donc de toute existence possible ». Pour Israël, il s’agit de « gérer la question palestinienne et non de négocier pour une paix durable ».

Les « violations des résolutions de l’ONU » [par Israël] peuvent entraîner à terme un « choc des civilisations », tant est grande la « révolte et l’indignation dans l’ensemble du monde arabe et au-delà ». L’appel préconise la constitution d’un Etat palestinien souverain en Cisjordanie, à Gaza et sur les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale ; le démantèlement de toutes les colonies et une « solution juste pour le retour des réfugiés, sur la base du droit international ». La texte n’appelle pas à des sanctions contre Israël, mais demande la suspension de l’accord de rehaussement des relations Israël-UE. Cette contribution trans-courant montre des militants de base en phase avec une grande partie de l’opinion internationale. Les dirigeants socialistes sont, pour leur part, plus proches de la position israélienne et états-unienne.

Dépolitisation et ethnicisation

Cette mise en perspective historique était nécessaire pour comprendre la « prise de position » des dirigeants du PS à propos de l’intervention à Gaza. La défense inconditionnelle d’Israël pendant les années Mollet et Mitterrand a fait place à un soutien certes toujours inconditionnel, mais biaisé et feutré. Les dirigeants socialistes étouffent tout débat interne sur la question des territoires occupés, car ils savent que ce serait ouvrir la boîte de Pandore de la mise en accusation d’Israël. La direction socialiste manie une langue de bois épaisse qui met en scène de manière équidistante « deux camps qui souffrent ». Un tel procédé est partial, c’est-à-dire favorable à Israël, car il ne prend pas en compte l’injustice faite aux Palestiniens en 1948, puis en 1967 et depuis. En se taisant sur l’occupation des terres palestiniennes, la direction du PS dépolitise le conflit. Cet évitement politique a pour conséquence d’ethniciser la question. L’insistance socialiste sur l’« insécurité israélienne » renforce de manière quasi-subliminale la perception de sens commun selon laquelle Israël – un Etat démocratique et « occidental » – ne fait que défendre ses citoyens contre des islamistes qui n’hésitent pas à perpétrer des attentats-suicides.

Le communiqué socialiste relatif à Gaza exprime la crainte que ce conflit ait des « répercussions jusque dans notre pays ». Amateurisme politique ou pur cynisme de la part des auteurs du texte ? Car c’est justement en rompant avec leur position de fausse neutralité et en portant un jugement d’ordre politique, reposant sur les principes de morale universelle (droit des peuples à l’auto-détermination) et de droits universels (respect des résolutions de l’ONU et de la Convention de Genève), que les dirigeants du PS pourront désamorcer en France toute tension communautaire autour de cette question. Le positionnement de l’appareil socialiste contribue au contraire à entretenir la flamme des passions communautaires.


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