Deuxième congrès de Die Linke : Merci Oskar

dimanche 23 mai 2010.
 

Je me trouve avec Raquel Garrido et Lars Steinau depuis hier soir en Allemagne, à Rostock, au bord de la Mer Baltique, où nous assistons au deuxième Congrès de Die Linke. Dès notre arrivée, nous avons été accueillis par le responsable aux relations extérieures du Parti. Helmut Scholz nous informe que nous bénéficions d’une attention toute spéciale. La direction de Die Linke a en effet décidé de ne pas solliciter d’invités internationaux par souci d’économie et aussi parce que ce Congrès sera consacré en grande partie à des désignations internes qui risqueraient de paraître fastidieuses à des non avertis. Mais elle a fait une exception pour le PG, destinataire d’une invitation personnelle d’Oskar Lafontaine. Nous ne sommes pas peu fiers !

C’est un Congrès très particulier pour Oskar. La maladie s’est brutalement invitée dans une existence toute entière consacrée à la lutte politique depuis qu’on lui a découvert il y a quelques mois un cancer de la prostate. Dès lors Oskar a préféré ne pas se représenter à la présidence du Parti. Cette décision irrévocable a pris tout le monde de court. Les grands médias ont immédiatement prédit l’éclatement de Die Linke ! Le Congrès de Rostock doit pour la première fois désigner un seul président du Parti en remplacement du binôme constitué jusqu’ici par Oskar avec l’ancien président du PDS Lothar Bisky. Chacun s’attendait à ce qu’Oskar Lafontaine soit élu. Car sa personnalité joue un rôle essentiel dans l’alliage unique qu’est Die Linke. Se mêlent en effet dans ce parti des histoires politiques très différentes.

Bien sûr, ce qui a séparé hier beaucoup de ceux qui militent aujourd’hui dans un même parti, c’est le Mur. Or ça, c’est difficile à dépasser. Non pas que le bilan de cette période ne puisse être établi par la discussion collective, tout au moins pour la part qui a besoin d’être mise en partage. Nous constatons ainsi que l’histoire de cette séparation n’est pas du tout occultée. En nous faisant présenter le contenu des séminaires d’accueil des nouveaux adhérents par les responsables du secteur formation de Die Linke, nous remarquons qu’elles y occupent une place importante. Le projet de programme du Parti qu’une camarade de la commission internationale vient de traduire sur son temps libre (je me demande combien d’heures cela représente, à coup sûr pas moins d’une cinquantaine !) revient longuement sur le bilan de l’Allemagne de l’Est. La nécessité d’un bilan argumenté est donc traitée avec sérieux et courage. Le petit groupe de militants de la CDU qui s’est installé ce matin à l’entrée du Congrès pour brandir le nom de personnes tuées sur le Mur ferait bien de s’inspirer. Leur cirque insultant n’apporte rien à la compréhension des événements qui font partie maintenant de l’histoire commune de leur pays depuis la réunification. Die Linke a fait bien plus en la matière avec son travail critique sur le bilan de la DDR.

Mais pour autant un parti tout seul fut-il Die Linke ne peut pas effacer des clivages qui continuent de structurer très profondément la société allemande. La réunification du pays est inachevée. Peut-être la grande divergence qui a duré plus de quarante ans entre deux systèmes économiques, sociaux, politiques séparés par le Mur ne sera jamais complètement effacée. Pour l’heure elle se prolonge dans la différence qui se résorbe, mais qui n’a pas disparue, des résultats électoraux à l’Est et à l’Ouest. Dès lors, qu’on le veuille ou non, les militants de Die Linke ne sont pas dans la même situation, renforçant leur poids à 30% dans un Land de l’Est ou s’implantant rapidement à 6% dans un Land de l’Ouest.

Il suffirait de laisser le vote départager les candidats potentiels objecteront certains. Mais la direction du Parti ne cherche pas à faire émerger un point de vue simplement majoritaire. Elle refuse qu’une position l’emporte sur une autre par le seul argument du nombre. Elle veut obstinément forger une culture commune pour dépasser les anciens clivages. Un travail patient s’est donc mis en place pour présenter une proposition consensuelle de nouvelle direction au Congrès. Il y aura donc deux présidents, quatre vice-présidents, deux secrétaires généraux et deux secrétaires au développement du parti. Au final, par la conviction, la direction est parvenue à ce qu’il y ait autant de candidats que de places. Tous les délégués, plutôt que de reproduire les anciennes appartenances, voteront donc à plusieurs reprises pour des représentants qui n’ont pas le même parcours que lui. Gregor Gysi, le co-président du groupe parlementaire, toujours décisif en ces circonstances, a fait le compte. Parmi ces dix responsables, il dénombre 2 anciens du SED (parti communiste est-allemand), 5 anciens du SPD, 3 qui n’ont appartenu à aucun de ces deux partis. Nous remarquons que cette nouvelle équipe se distingue également par sa jeunesse. Ce sont en quasi-totalité de nouveaux élus des récents scrutins, régionales, législatives et européennes.

Presque tous les principaux responsables du parti sont renouvelés. Au milieu de tous les départs, celui des deux anciens présidents revêt une signification particulière. Un hommage leur est rendu dans le temps opportunément requis par le dépouillement des bulletins de votes pour l’élection de leurs successeurs. Les remerciements du Parti à Oskar Lafontaine nous touchent bien sûr particulièrement. Gysi rappelle que Die Linke n’existerait pas sans la décision claire et courageuse d’Oskar. Lafontaine a démissionné de son poste de ministre de l’économie lorsqu’il a compris que le nouveau chancelier qu’il avait fait élire après avoir été lui-même élu président du SPD, Gerhard Schröder, était décidé à s’engager dans une politique de « troisième voie » blairiste. Oskar se met alors en retrait de la vie politique. Mais il cherche activement une issue à la catastrophe que représente pour lui l’effacement de la gauche allemande. Il discute régulièrement avec Gysi, le fondateur du PDS. Un jour celui-ci a le courage de lui demander s’il envisagerait de quitter le SPD. Oskar répond tranquillement oui. Mais il attend encore de voir si le SPD va changer d’orientation à l’issue d’une importante élection qui se tiendra à la fin de l’année 2005, dans son bastion de Rhénanie-du-Nord Westphalie, qui vient justement d’être renouvelé il y a quelques jours. Le SPD subit ce jour-là une raclée électorale. Schröder ne change rien à sa ligne. Oskar aura le courage de s’arracher à son parti pour adhérer au tout jeune WASG, qui plafonne à 2% aux élections. Il y met une condition : qu’une alliance électorale soit nouée dans la perspective d’un parti commun entre le WASG et le PDS. En quelques mois, il obtient la constitution du Linkspartei, qui rencontrera un succès immédiat aux élections législatives (8%). L’engagement de Lafontaine a donc permis qu’une alternative de gauche émerge en Allemagne. Aujourd’hui, cinq ans plus tard, Die Linke est un parti solide qui recèle nombre de dirigeants, de porte-paroles, d’élus de grande qualité. Le parti a largement dépassé le noyau de ses fondateurs. 20% de ses membres ont adhéré ces deux dernières années. Il est installé dans le système allemand des partis avec 12% des voix aux dernières législatives, soient cinq millions d’électeurs.

A la fin du discours d’hommage à Lafontaine, l’organisation du Congrès lance le Temps des Cerises. Nous nous regardons étonnés. Oskar monte à la tribune dire quelques mots en retour. Il remercie ses camarades d’avoir choisi cette « chanson de la Commune et de la gauche française ». Merci Oskar !


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