Conte du Nouvel An : La privatisation de La Poste, le Petit Prince, le renard et Nicolas Sarkozy (par Jean-Marie Haribey)

jeudi 1er janvier 2009.
 

– « Bonjour, dit le petit prince. »1

– Bonjour, répondit l’omniprésident.

– Que fais-tu ? demanda le petit prince.

– Je prépare la privatisation de La Poste et, pour cela, je mets au point ma tactique.

– C’est un jeu ? questionna le petit prince, curieux.

– Oh, non, répondit l’omniprésident, bien que je m’amuse beaucoup.

– Tu ne joues pas et tu t’amuses ? Tu présides alors.

– Oui, je préside, c’est-à-dire j’organise le déblaiement des services publics qui nous coûtent trop cher.

– Tes concitoyens t’approuvent-ils ? Leur en as-tu parlé ? questionna le petit prince.

– J’ai annoncé que La Poste changerait de statut en devenant société anonyme, mais que seuls des capitaux publics pourraient s’y investir. Quand ce sera fait, je passerai à la seconde étape qu’on appelle ouverture du capital. J’ai fait comme ça pour le gaz et la France n’y a vu que du feu.

– En somme, tu te joues de ceux qui t’ont élu.

– Comme disait mon prédécesseur, les promesses n’engagent que ceux qui les croient.

– Est-ce que je ne pourrai plus envoyer de lettre depuis mon étoile, ni en recevoir ?

– Si, si, mais tu paieras un peu plus cher quand le marché le dira.

– Alors, pourquoi veux-tu privatiser si le marché fera ce que font aujourd’hui les postiers pour moins cher ?

– Ce sont les lois de l’économie : d’abord, la Main invisible a dit que la concurrence était le meilleur système ; ensuite, on l’écrit dans les traités internationaux ; enfin, on l’applique en lui ouvrant les portes des services publics. J’instaure les portes ouvertes permanentes, même le dimanche, ricana l’omniprésident.

– Et pourquoi la concurrence est-elle le meilleur système ? s’entêta le petit prince.

– Parce que la richesse passe par le marché, répondit, agacé, l’omniprésident, et d’autant mieux qu’on diminue les impôts qui servent à payer les fonctionnaires, lesquels sont improductifs par nature, et qui, d’ailleurs, sont plus souvent en grève qu’à leur travail.

– Je ne comprends pas bien, dit le petit prince en hésitant. Tu dis que les fonctionnaires ne créent aucune richesse, qu’ils ne font rien et tu te plains qu’ils fassent grève ; tu devrais être content puisque que tu n’as pas à les payer pendant ce temps.

Pris de court, l’omniprésident s’apprêtait à lancer son célèbre joker « casse-toi, pov’con » quand son conseiller, spécialiste de Jaurès et de Blum et féru d’histoire sociale, l’arrêta : « Monsieur l’Omniprésident, n’oubliez pas que vous avez un rendez-vous important. »

Le petit prince aurait bien voulu poursuivre la conversation, mais l’omniprésident le congédia. Il s’en fut, à la recherche de son ami le renard. Il le trouva à l’orée du Bois de Vincennes, en train d’observer un remue-ménage important : les pompiers et des ambulanciers portaient secours à quelques vieux sans domicile qui grelottaient à la tombée de la nuit.

Encore marqué par sa conversation avec l’omniprésident, le petit prince demanda au renard :

– Le marché n’a pas construit des logements pour ces vieilles personnes ?

– Il ne le peut pas.

– Pourtant, l’omniprésident m’a dit que…

– Il s’est moqué de toi. Le marché ne satisfait que ceux qui ont un pouvoir d’achat. C’est pour cela qu’on a inventé les services publics, comme les pompiers que tu vois, ou l’éducation pour apprendre à lire. C’est très utile, mais ça ne rapporte pas d’argent, à personne, et c’est pourquoi l’omniprésident veut les privatiser, comme le lui demandent tous ceux qui veulent placer leur fortune, un peu menacée ces temps-ci par la crise qui sévit justement sur tous les marchés.

– Chaque fois que je te rencontre, tu m’expliques des choses incompréhensibles et qui n’existent pas sur ma planète. L’omniprésident affirme que les fonctionnaires ne produisent rien et toi tu me montres leur utilité. Sur votre Terre, les choses utiles ne valent donc rien ? Et les choses qui valent de l’argent ne sont pas utiles ? Voilà l’un des mystères de votre économie.

– C’est un peu mystérieux, j’en conviens, dit le renard. Mais, en fait, c’est assez simple. Si le travail de ceux qui oeuvrent dans les services publics n’était pas productif de quelque chose d’utile, crois-tu que le capital voudrait s’en emparer ? S’il le convoite, c’est qu’il veut lui faire accomplir un « saut périlleux »2 : un travail productif de chose utile métamorphosé en travail productif de marchandise, parce que celle-ci rapporte gros.

– Y a-t-il beaucoup de choses qui sont ainsi convoitées et prêtes à faire la cabriole ?

– Tout est à vendre, répondit le renard avec tristesse. Enfin, presque, car le capitalisme n’arrive pas à tout marchandiser. Lui échappent encore le savoir que les hommes ont dans la tête et la lumière du soleil.

La nuit était tombée, la lune ne tarderait pas sans doute, et seuls brillaient dans le noir les yeux du renard. Le petit prince semblait plongé dans ses pensées. Après un long silence, il reprit :

– Une fois que tout a été abandonné au marché, ne peut-on revenir en arrière ?

– C’est toujours délicat, car une habitude a été prise qui fait jurisprudence : on privatise les bénéfices et on socialise les pertes. C’est un jeu inventé par le capital : pile, il gagne, face, on perd.

– Et les humains laissent faire ? s’emporta le petit prince. Regardent-ils, béats, les sauts périlleux que tu décris ? Ne voient-ils pas que tout cela finit en crises à répétition, de culbutes boursières en cascades financières ? Y a-t-il au moins une raison qui pousserait à continuer de sauter dans le vide ? Par exemple, puisque la finance commande la privatisation de vos services publics, produit-elle quelque chose, elle ?

– Nenni, répondit le renard sans hésiter. C’est d’ailleurs la racine de toutes les crises financières : la finance ne produisant rien, elle finit par être arrêtée dans sa course folle, rattrapée par une vraie loi, celle-là, la loi de la valeur-travail : sans travail, point de valeur économique. Les fonds de pension en savent quelque chose. À trop vouloir s’éclater, la finance sombre lorsque crèvent les bulles, gonflées au gaz soporifique de la fiction.

– Ah ! dit le petit prince, tout surpris. Est-ce pour cela que le soleil, que personne n’a fabriqué, ne peut pas avoir de valeur économique ?

– Tout juste, dit le renard, heureux d’avoir ramené le sourire sur le visage du petit prince. S’ils le veulent vraiment, les humains ont entre les mains la preuve que la vie ne dépend pas de la marchandise. Et que la coopération est meilleure que la concurrence. Autrefois, on appelait cela le socialisme : mettre en commun. Mais les humains doivent réapprivoiser ce mot. Tu te souviens, petit prince, on ne connaît que les choses que l’on apprivoise3.

– Oui, je me souviens, je t’ai apprivoisé et tu es devenu mon ami, dit le petit prince. Je vais repartir vers mon étoile. Puisqu’on n’achète pas le soleil, l’aventure peut continuer. Je reviendrai te voir.


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