Les dirigeants socialistes mourront de ne prendre au sérieux personne et même pas eux-mêmes (par Jean-Luc Mélenchon)

samedi 20 décembre 2008.
 

Membre du parti socialiste pendant 30 ans, le sénateur de l’Essonne vient de lancer son propre mouvement lors d’un meeting organisé le 29 novembre. En pleine discussion avec le PC et le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) pour créer un front de gauche aux européennes, il se confie à Valeurs actuelles.

Pourquoi avez-vous attendu 2008 pour quitter le PS, alors que le divorce idéologique était flagrant dès 2005 ?

En 2005, pour la première fois, les socialistes se sont affrontés entre eux, devant le suffrage universel.

Un affrontement qui avait pour enjeu l’opinion de gauche tout entière. C’est pourquoi je me suis empressé de faire des estrades communes avec l’autre gauche alors que les dirigeants socialistes m’avaient prévenu que c’était là la ligne jaune. Plus tard, ils répétaient : « Il faut dépasser le oui et le non. » Quel nombrilisme ! On ne dépasse pas entre soi ce que le peuple a décidé. Tout l’enjeu était donc de faire que le PS s’aligne sur le non et pas sur le oui. Cette bataille est perdue le 16 novembre 2006 avec l’investiture de Royal pour la présidentielle. La partie redémarre juste après avec le congrès suivant. Entre-temps il y a l’épisode du traité de Lisbonne. Là, les chefs socialistes permettent qu’il n’y ait pas de référendum. La trahison va au bout. Pour moi, c’est fini. Je n’aurai plus jamais confiance. Toutes les données de ce que j’ai à dire sont alors sur la table. Durant cette période, je multiplie les déplacements, je rencontre deux fois Oskar Lafontaine. Je m’explique, j’écris. Mes camarades socialistes ne prennent rien en considération. On ne me parle pas. Pour eux, toute conviction construite est provisoire donc dérisoire. Ils mourront de ne prendre au sérieux personne et même pas eux-mêmes.

On sait que le parti allemand Die Linke est un de vos modèles pour le développement du parti de gauche. Mais il occupe un espace où il est peu concurrencé à sa propre gauche. Pour vous, le pari n’est-il pas plus difficile avec la place qu’occupe Besancenot ?

Rien n’est transposable. Mais ce qui l’est, c’est la nécessité de rupture avec la social-démocratie. Et le concept de rassemblement de forces politiques différentes au sein d’un même front. Mais pour nous, il n’y aura pas de fusion avec le parti communiste, ni avec le (NPA). Nous ne la souhaitons pas. Le Parti de gauche est un parti creuset, distinct. Je regarde les sondages faits pour les européennes en dehors de la présence du Parti de gauche. Cela donne 10 % pour Besancenot, 20 % pour le PS et 5 % pour le PC. La formule où se regrouperaient le PC et le NPA les amènerait à 15 % contre 20 % pour le PS. À partir de là, reprendre 5 points au PS, ce n’est rien… c’est une campagne.

Apparemment, votre parti démarre bien. Mais que répondez-vous à l’accusation de division de la gauche au profit de Nicolas Sarkozy ?

Nous étions 3 000 personnes pour notre meeting fondateur, dans une salle où tout le monde avait froid, au bout de L’Île-Saint-Denis, avec le métro à 10 minutes. Je ne suis pas capable de vous dire qui étaient ces personnes. Mais j’ai testé le public en faisant la liste des pères fondateurs : La Boétie et les philosophes des Lumières, les maillotins de Paris, les sans-culottes et Robespierre. Et là, tout le monde applaudit… Dans quelle salle applaudit-on Robespierre ? Je continue avec Olympe de Gouges, car c’est le remords de tout républicain. Après cela, je parle de la gloire de la grande révolution de 1917. Toute la salle applaudit encore. C’est un public qui ne trouvera jamais son compte dans les bobards du parti socialiste, ses formules approximatives et une cheftaine qui les appelle à s’aimer les uns les autres. Si nous réussissons notre pari, personne ne pourra dire que nous avons fait un cadeau à Sarkozy. Tandis que si la gauche continue à croupir dans la social-démocratie, ce sera une promenade de santé pour lui de les affronter.

Et pour Bayrou ?

Le comportement de Bayrou évoque le PS des années 1980. Il a une vraie rigueur sur les questions importantes. Il peut gagner en 2012. C’est un littéraire, ça s’entend à l’oreille, ce n’est pas une de ces têtes d’œufs technocrates qui encombrent le devant de la scène. Sur la laïcité, il a su trouver les mots justes. Mais il était crédible parce qu’il a eu le même comportement à l’égard du dalaï-lama que du pape. Les socialistes étaient aphones une fois de plus.

Donc, le PS n’a pas été à la hauteur sur la laïcité ?

Non ! Mes chers camarades ont préféré faire les clowns à Nantes avec des écharpes autour du cou aux causeries religieuses du dalaï-lama. Je les ai entendu dire : ce n’est pas une religion, mais une philosophie. Alors dans les monastères tibétains, ce sont des philosophes, pas des moines ? Je suis très dur parce que je pense qu’il y a là derrière un fond de différencialisme que je trouve insupportable : c’est bon pour les Tibétains, c’est leur culture. Ah bon ? Donc on ne croit plus aux droits universels ? Certains ont pourtant réagi lors de la visite du pape… Oui, mais quand Hollande et Dray ont essayé de dire quelque chose, ils se sont fait ramasser par la droite. Les gens leur ont dit : « Mais dites donc, vous n’en disiez pas le dixième quand c’était le dalaï-lama ! » Il y avait donc un côté laïcité rancie, anticlérical primaire. On aurait dû dire aux intellectuels du parti : « Messieurs dames, tout le monde devant la télé ou dans la salle, vous allez écouter ce qu’il raconte et à la sortie vous ferez le décryptage. » Parce qu’on est la patrie de d’Alembert, de Diderot, alors comment rester silencieux quand quelqu’un vient nous dire que la raison sans la foi, c’est le naufrage de la raison ! Même les hommes politiques de droite font des sauts périlleux en entendant des choses pareilles, et ceux qui croient aussi. Sept cents intellectuels dans la salle, et pas un seul pour protester à la sortie ! Pauvre France !

Vous pensez que le PS est fini ?

C’est un astre mort. Il tourne, il est toujours là, mais il est mort. Pour pousser plus loin la métaphore, sa masse est donnée par son nombre d’élus, leurs salariés et les fonctionnaires désignés par eux. L’énergie propulsive de tout cela, c’est son conditionnement, une certaine forme d’usurpation, un positionnement historique : le parti de François Mitterrand. Ils n’ont plus rien à voir avec François Mitterrand, ils l’ont maudit 100 fois et ont brûlé tous ses livres. Mais ça reste le parti du poing et de la rose. Il y a un lien affectif. Regardez le mal que j’ai eu moi-même à partir ! Idéologiquement, le PS rabâche les plus vieilles recettes recuites de la social-démocratie. Regardez les gens qui le dirigent. Expliquez-moi comment François Hollande, premier secrétaire du parti, député de la Corrèze, président du conseil général, aurait eu le temps ne serait-ce que de lire. Et Mme Aubry, qui commence par dire qu’elle sera cinq jours par semaine à Lille et deux à Paris ! Cela veut simplement dire que personne ne dirige le PS. Les murs tiennent par la peinture.

En tant que philosophe, comment qualifieriez-vous le sarkozysme ?

Classiquement, c’est un bonapartisme du XXIe siècle. Quelque chose qui se donne une apparence transclassiste, au service d’une orientation de droite. Sarkozy est un fin stratège, idéologique et pratique. Quand certains disent qu’il est bling bling, peut-être que c’est un aspect de sa personnalité, mais la stupidité absolue serait de le réduire à ça. Il a une cohérence idéologique et une cohérence stratégique. Par exemple, même là, au plus fort de la crise, il continue sa politique de dérégulation sociale.La forme d’autorité qu’il exerce sur sa majorité et son gouvernement est sans précédent. Quand je pense à tout ce qu’on a pu dire de Chirac comme chef de clan, alors que Sarkozy préside des conventions du parti majoritaire ! Avant, la tradition était qu’il y avait un message lu. Au PS, après 1981, Mitterrand nous envoyait un texte, en général de huit lignes, et qui ne s’engageait guère. Mais on se mettait tous debout et on applaudissait à tout rompre tellement on trouvait ça audacieux. Vous imaginez de Gaulle en train de présider une réunion de l’UNR ?

Valentin Goux pour Valeurs Actuelles, le 11-12-2008


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