Point de vue : Obama choisit Paul Volcker, un ennemi de longue date de la classe ouvrière

samedi 6 décembre 2008.
 

Le président élu Barack Obama a annoncé mercredi la nomination de l’ancien président de la Réserve fédérale (Fed) Paul Volcker à la tête du comité de Conseil économique de la Maison-Blanche pour superviser la politique de stabilisation des marchés financiers du nouveau gouvernement. Le choix de Volcker, âgé de 81 ans, place aux côtés du nouveau président un ennemi invétéré de la classe ouvrière et démontre le caractère de classe du gouvernement droitier qu’Obama est en train de former.

Au cours de la semaine, Obama a sélectionné l’ensemble de son équipe : Timothy Geithner, l’actuel président de la Réserve fédérale de New York qui deviendra secrétaire au Trésor ; Lawrence Summers, l’ancien ministre des Finances de Clinton, qui prendra la tête du Conseil économique national, le chef du groupe à la Maison-Blanche pour la coordination de la politique économique ; et Peter Orszag qui deviendra le directeur du Bureau de la Gestion et du Budget. Summers, Geithner et Orszag sont tous des protégés de Robert Rubin, l’ancien secrétaire au Trésor de Clinton, ancien PDG de Goldman Sachs et actuellement le directeur et vice-président de Citigroup

Ces nominations ont toutes été accueillies favorablement par Wall Street avec une hausse de 1200 points des valeurs boursières depuis que le nom de Geithner a été rendu public vendredi dernier. Les républicains du Congrès ont acclamé le choix de Geithner et de Summers et un article de l’ancien conseiller politique de Bush, Karl Rove, dans la rubrique « éditorial et opinion » de l’édition du 28 novembre du Wall Street Journal, était intitulé, « Applaudissements de Thanksgiving (fête du jour d’Actions de grâces) d’Obama : il a composé une équipe économique de premier ordre. »

Mais, c’est le choix de Volcker qui est l’avertissement le plus net lancé à l’adresse de la classe ouvrière. Aucune autre personnalité de l’histoire contemporaine américaine n’est aussi étroitement associée à la création délibérée du chômage de masse pour réduire les salaires et détruire la résistance organisée de la classe ouvrière en réponse aux exigences du patronat américain. Il a mis en vigueur une politique qui a entraîné la destruction de vastes sections de l’industrie et l’accroissement explosif de la spéculation financière dans l’économie américaine.

Volcker avait été président de la Fed de 1979 à 1987, une période critique de l’histoire de la classe ouvrière américaine durant laquelle le mouvement ouvrier officiel fut effectivement détruit en tant qu’instrument de légitime défense des ouvriers et les syndicats furent transformés en ce qu’ils sont aujourd’hui : un mécanisme servant à supprimer les luttes des travailleurs et à détruire leurs emplois et leurs salaires.

Le président démocrate, Jimmy Carter, avait nommé Volcker, un ancien directeur de la Chase Manhattan Bank, pour diriger la Fed en août 1979, à un moment charnière pour la classe dirigeante américaine et le monde capitaliste en général. L’arrivée au pouvoir trois mois plus tôt de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne avait constitué le premier signal d’un net virage droitier de la part du patronat mondial. Le choix de Volcker avait initié un tournant identique aux Etats-Unis qui avait abouti en novembre 1980 à l’élection de Ronald Reagan en battant Carter, le président sortant.

Une flambée des prix avait provoqué une série de grèves dures de la part des travailleurs cherchant à défendre leur niveau de vie et le gouvernement Carter avait encaissé une défaite humiliante quand plus de 100.000 mineurs de charbon avait débrayé pendant 111 jours en 1977-78 en défiant l’interdiction présidentielle de faire grève conformément à la loi Taft-Hartley [loi qui limite le droit de grève]. La Maison Blanche n’avait pas été en mesure de faire plier les mineurs, ils brûlèrent publiquement sur les piquets de grève des copies de la sommation du président qui ordonnait le retour au travail, et Carter fut obligé de s’en remettre à la direction du syndicat des mineurs, le United Mine Workers, pour faire que les travailleurs n’obtiennent aucun acquis de leur lutte.

On fit appel à Volcker pour initier la politique qui éliminerait l’inflation et les luttes pour la progression des salaires de la classe ouvrière, en encourageant la hausse du taux de chômage. Sous sa direction, la Fed augmenta rapidement les taux d’intérêt à 20 pour cent, un niveau sans précédent, faisant ainsi chuter l’achat de maisons et de voitures ainsi que d’autres biens durables et déclenchant une série de faillites d’entreprises.

Ce bouleversement économique contribua fortement à la défaite de Carter lors de l’élection présidentielle mais cette perspective ne posa aucun problème à Volcker dont la loyauté envers le parti démocrate et le président qui l’avait nommé était reléguée en seconde position, bien loin derrière son profond attachement aux intérêts à long terme du capitalisme américain et qui requéraient les méthodes les plus draconiennes.

En 1981, après que Reagan fut arrivé à la Maison-Blanche, Volcker travailla étroitement avec le nouveau gouvernement républicain et fut renommé en 1983 par Reagan pour poursuivre sa trajectoire de lutte contre l’inflation. Durant les années 1982-83, l’économie américaine avait plongé dans la plus grave récession de la période d’après la Deuxième Guerre mondiale.

La dévastation économique s’était particulièrement concentrée dans le Midwest industriel, les aciéries, les usines automobiles, les mines de charbon furent fermées, nombre d’entre elles définitivement. La ville de Detroit entra dans un déclin qui se poursuit à ce jour, et il en fut de même de Buffalo, Akron, Youngstown, Gary, Indiana et d’innombrables villes industrielles.

En réaction aux attaques perpétrées par le patronat et le gouvernement Reagan, il y eut la plus importante vague de grèves depuis les années 1940, à commencer par la grève des contrôleurs aériens du syndicat PATCO d’août 1981 durant laquelle Reagan ordonna le licenciement de 12.000 travailleurs, et chacun des licenciements fut maintenu. Il bénéficia de l’appui de l’ensemble de l’élite dirigeante américaine, tant démocrate que républicaine, ainsi que de l’aide décisive de la bureaucratie des centrales syndicales de l’AFL-CIO qui empêcha toute mobilisation à grande échelle des travailleurs derrière les grévistes du PATCO, qui furent isolés et vaincus.

Volcker s’était distingué quand il avait félicité Reagan pour avoir brisé la grève du PATCO, qualifiant son action de facteur le plus important pour maîtriser l’inflation.

PATCO servit de modèle aux luttes qui suivirent : Greyhound, Phelps Dodge, Hormel, International Paper, A.T. Massey Coal, Continental Airlines, et Eastern Airlines. Des groupes isolés de travailleurs engagés dans des luttes combatives et prolongées, dans de nombreux cas contre la répression d’Etat et la violence des employeurs, furent tous poignardés dans le dos par le syndicat AFL-CIO. Il en résulta la destruction des syndicats locaux, l’arrestation, l’emprisonnement et même le meurtre de grévistes, le renforcement de l’appareil bureaucratique et l’émergence du corporatisme c’est-à-dire le « partenariat » syndicat-patronat, qui devint la philosophie directrice des syndicats américains.

Tout au long de cette période, il y eut un front bipartite anti-travailleurs à Washington : le républicain Reagan à la Maison-Blanche, le démocrate Volcker à la Fed, un Sénat contrôlé par les républicains et un Congrès contrôlé par les démocrates. Des gouverneurs et des maires démocrates travaillèrent main dans la main avec des grands groupes briseurs de syndicats, en recourant à la Garde nationale ou en mobilisant la police locale contre les grèves dans l’Arizona, le Minnesota, le Kentucky, la Virginie de l’Ouest et d’innombrables grandes et petites villes.

Le rôle joué par les démocrates dans le sauvetage de l’entreprise Chrysler en 1979-80 est particulièrement d’actualité aujourd’hui. Le gouvernement Carter avait fourni des garanties de prêts à Chrysler en retour de concessions faites par le syndicat United Auto Workers (UAW), dont les premières réductions de salaire et de prestations jamais imposées par un grand syndicat américain à ses propres adhérents. Cela allait devenir le modèle pour les négociations des années 1980.

Tout comme un criminel revenant sur les lieux du crime, Volcker retourne à Washington comme principal conseiller d’un autre gouvernement du parti démocrate qui prépare le renflouement de constructeurs automobiles en faillite aux dépens des travailleurs de l’automobile et de la classe ouvrière en général. Il peut compter sur sa propre expérience directe avec la bureaucratie des UAW pour exiger que le syndicat finisse le travail qu’il avait commencé il y a trois décennies : la transformation de ce qui était autrefois la section la plus puissante de la classe ouvrière américaine en une masse de travailleurs occasionnels, surexploités, à bas salaire et sans droits.

Quand Obama a annoncé qu’il allait mettre sur pied le Conseil du président pour la reconstruction économique avec Volcker à sa tête, il a loué le « jugement sain et indépendant » de l’ancien président de la Fed. Ce « jugement » inclut un soutien de la première heure pour la campagne présidentielle d’Obama : en février dernier Volcker avait fait don de 2.300 dollars pour la campagne des primaires d’Obama, la plus grosse somme qu’il ait jamais versée à aucun candidat, démocrate ou républicain.

« Paul Volcker n’est pas venu à Washington depuis un moment, » a dit Obama, « et c’est en partie pour cette raison qu’il est capable de fournir une nouvelle perspective. »

Le bilan de Volcker durant les années 1979 à 1987 donne une idée de ce que sera cette « nouvelle perspective ». En 1982, le chômage avait atteint 11,3 pour cent aux Etats-Unis, le double de celui de 1975. Le salaire moyen des jeunes travailleurs avait chuté de 30 pour cent durant ces années, jusqu’en 1987. La mortalité infantile, la violence familiale, la toxicomanie et d’autres effets concomitants aux privations économiques avaient fortement augmenté.

Mais, le un pour cent le plus riche de la population avait vu, durant cette période, sa richesse augmenter d’un pourcentage ahurissant, soit de 50 pour cent. C’est pourquoi l’élite dirigeante américaine aime à se souvenir des années Volcker et c’est la raison pour laquelle l’aristocratie financière par le biais de son serviteur Obama a demandé à ce que ce vieux réactionnaire lui rende un dernier service en lançant un assaut contre la classe ouvrière.

de Patrick Martin


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